Plusieurs milliers de généralistes et d’internes sont attendus au congrès du Collège de médecine générale, qui s’ouvre ce jeudi 21 mars au Palais des congrès de Paris. L’occasion d’aborder tous les enjeux auxquels est confrontée la spécialité, plus que jamais bousculée par la maitrise médicalisée des dépenses et par la montée en compétences des autres professions de santé. “On voit chacun essayer de gagner plus de son côté et le médecin généraliste a l’impression de se faire dépiauter de ses activités…”, souligne le Pr Paul Frappé, président du CMG, dans une interview accordée à Egora, partenaire de ce congrès.

 

Egora.fr : Le congrès du CMGF 2024 est dédié cette année aux “mythes et réalité en médecine générale”. Qu’entendez-vous par là ? S’agit-il de démythifier l’exercice de la spécialité ?

Pr Paul Frappé : L’idée est de mettre le focus sur les mythes que l’on peut avoir dans la santé de manière générale, et plus particulièrement dans le domaine du soin et de la médecine générale. Ce thème fait également référence à la dimension de récit dans le soin, sur laquelle il faut sans doute mettre plus l’accent. Il ne suffit pas de proposer la bonne prise en charge, il faut aussi l’inscrire dans le parcours de vie des patients. L’anthropologue Jean-Loïc Le Quellec animera d’ailleurs la keynote de clôture sur la question des sciences et des mythes.

Une séance plénière sera consacrée à la certification périodique, en théorie obligatoire pour tous les professionnels de santé depuis le 1er janvier 2023. Où en est-on de sa mise en place, en pratique ?

La certification périodique est en vigueur mais il n’y a pas encore de référentiels disponibles. Chaque conseil national professionnel (CNP) a été appelé à construire un référentiel, celui de la spécialité de médecine générale a donc été élaboré par des généralistes. Il faut désormais homogénéiser ces différents référentiels pour donner une certaine cohérence, et éviter que chaque profession prenne une direction différente, même si la HAS avait donné des repères. La DGOS est en train de finaliser ce travail, avant de pouvoir rendre ces référentiels publics… C’est toujours “pour bientôt”, mais gageons que la récente nomination de Nadiège Baille à la présidence du Conseil national de la certification périodique, restée longtemps vacante, permettra d’avancer efficacement !

 

“ On se retrouve un peu face à une politique du chiffre ”

 

La question des arrêts de travail va également faire l’objet d’une session. Le Gouvernement poursuit sa quête d’économies sur ces dépenses. Après les MSO-MSAP de plusieurs centaines de généralistes, l’Assurance maladie compte renforcer la pertinence des prescriptions en imposant plus largement l’usage des référentiels de durée par pathologie. Quelle est votre position sur ces documents ?

Bien entendu, les généralistes ne peuvent pas être hermétiques aux enjeux de gestion de l’Assurance maladie ni aux enjeux sociétaux… Mais il faut garder du sens dans ces actions. Aujourd’hui, on se retrouve un peu face à une politique du chiffre. Ce qui a été contesté dans les MSO-MSAP c’est le sentiment d’injustice ressenti par certains, qui peuvent être sanctionnés pour des choses qui échappent un peu aux praticiens. Les référentiels ont un intérêt, ils peuvent être même extrêmement pratiques comme outils de dialogue avec certains patients. Ça évite une négociation directe entre médecin et patient, en amenant un tiers dans la discussion et peut permettre une prise de conscience par rapport au souhait initial. Mais ça doit rester une référence. Si c’est utilisé comme un outil bête et méchant de contrainte, en empêchant d’individualiser les prises en charge, on aura là encore cette perte de sens.

 

 

Toujours dans cette quête d’économies, l’Assurance maladie souhaite inscrire dans le futur accord conventionnel 15 objectifs chiffrés de pertinence : sur les arrêts de travail mais aussi sur la prescription d’antibiotiques, d’analgésiques, d’imageries, sur l’hyperpolymédication, etc. Souscrivez-vous à cette démarche de maitrise médicalisée des dépenses sur la forme, comme sur le fond ?

Il est normal que l’Assurance maladie surveille certaines dépenses et que cela amène la profession à modifier certaines pratiques. L’enjeu -on y revient- est que ce soit des objectifs qui aient du sens et qui soient partagés entre les parties. On l’a bien vu avec la Rosp : si on met de l’argent en regard d’objectifs qui soit ne sont pas consensuels, soit sont chiffrés “au jugé”, il n’y a pas d’adhésion et ça n’aide personne : ni l’Assurance maladie, ni la société, ni les médecins.

 

“ C’est un peu dommage qu’une rémunération devienne une pochette surprise ”

 

Souhaiteriez-vous être consulté, en tant que CNP, sur la définition de ces objectifs de pertinence ?

Lors des précédentes conventions, on a créé des documents Rosp. La dernière proposition n’a pas forcément été utilisée dans un sens constructif, ce qui a refroidi la rédaction de nouvelles propositions collégiales cette année. L’an dernier, lors du congrès, on a mis en avant la perte de sens des forfaits, du fait que leur versement est totalement détaché de l’effort qu’ils sont censés rémunérer : certains mois, d’énormes sommes sont versées aux médecins et le mois suivant, il n’y a quasiment rien. Les indicateurs sont trop nombreux et calculés de telle façon qu’ils ne permettent pas au médecin de se dire “si je modifie telle chose, il y aura un impact direct”. Les médecins attendent leur forfait à telle date et à chaque fois c’est la surprise. C’est un peu dommage qu’une rémunération devienne une pochette surprise : c’est beaucoup d’argent, mais ça ne valorise pas directement un effort. Tout le monde se rejoint sur le fait qu’il faut restreindre le nombre d’indicateurs. Et si derrière, les versements pouvaient être homogénéisés tout au long de l’année, ce serait plus perceptible.

 

 

La Cnam souhaite faire disparaître la Rosp au profit d’un forfait de prévention avec un nombre restreint d’indicateurs de santé publique (vaccination, dépistage et suivi) mais qui seront valorisés patient par patient. Un médecin toucherait ainsi 5 euros de plus pour le patient qui aura bien fait son dépistage de cancer colorectal… Est-ce une bonne façon de valoriser la prévention ?

Est-ce que vraiment la Rosp a disparu ? Je pense qu’on lui donne un autre nom… Ces propositions rendent la rémunération directement dépendante du comportement du patient ; il n’y a pas de meilleure façon de dire aux médecins de choisir les patients les plus fiables… Bien sûr, humainement, personne ne fera ça… mais là encore c’est une perte de sens ! Je pense qu’il faut faire le deuil de la valorisation de certains enjeux lorsque ceux-ci ne sont pas accessibles à un indicateur qui soit à la fois centré sur la pratique du médecin, quantifiable de façon fiable, adapté au profil de patientèle de chaque médecin, et dont la pertinence sociétale et scientifique est consensuelle. Si toutes ces cases ne sont pas cochées, il vaut mieux utiliser cet argent autrement.

 

Toujours au sujet de la prévention : le CMG a-t-il été sollicité pour définir le contenu des bilans de prévention qui doivent se mettre en place ?

On a participé aux discussions. Nous étions assez enthousiasmés au début : c’était l’occasion de reconnaître une activité qui existe depuis longtemps chez les médecins généralistes, de la structurer davantage. En fait, étant donné le tarif actuel (30 euros pour 45 minutes), on comprend bien que ça ne s’adresse pas aux médecins généralistes… ça va sans doute évoluer.

 

“ Tout le monde voudrait que les généralistes passent plus de temps sur leur spécialité ”

 

La nouvelle maquette du DES de médecine générale continue de susciter la controverse. Après les Doyens, les présidents de CME ont à leur tour alerté sur les “conséquences délétères” de la réduction de la durée du stage en service de pédiatrie (de 6 à 3 mois). Partagez-vous cette inquiétude ?

A la fac, on est bien placé pour avoir toutes les semaines quelqu’un qui vient taper sur l’épaule du coordinateur de médecine générale pour lui dire que “les généralistes ne connaissent rien à… [et là vous mettez ce que vous voulez], laissez-nous faire X heures d’enseignements là-dessus”. On a ça sur la santé mentale, sur la visite de pré-reprise, sur l’endométriose, sur la dermato… Je peux vous en citer un paquet! La médecine générale étant transversale, tout le monde voudrait que les généralistes passent plus de temps sur leur spécialité, en oubliant parfois que c’est une spécialité à part entière. Si on veut vraiment que les internes apprennent la médecine générale, en appliquant à la lettre la logique défendue par les présidents de CME, on devrait faire 100% de l’internat en médecine générale… Il y a besoin d’ouvrir le regard durant l’internat de médecine générale certes, mais on n’est plus dans la découverte comme dans l’externat. Parallèlement, il ne faut pas se voiler la face, ça crée un problème d’effectifs dans les services de pédiatrie C’est une vraie préoccupation pour les établissements et pour l’offre de soins, mais c’est un enjeu qu’il faut distinguer de l’enjeu pédagogique. On ne peut pas utiliser cet argument pour dire que les généralistes seront mal formés à la pédiatrie, là on va trop loin. Il n’est pas question d’avoir des généralistes qui ne sauront pas prendre en charge des jeunes patients en ambulatoire… Au final, je crois que la boussole ne doit pas restée bloquée sur la pédiatrie : pour professionnaliser efficacement les futurs généralistes, je dirais qu’il faut veiller plus particulièrement à ce que l’internat procure une formation suffisante dans le champ de la santé de l’enfant, de la santé des personnes âgées, de la santé au travail et de la santé mentale. Cela peut passer par des stages hospitaliers aussi bien que des stages ambulatoires. Et pas forcément par une maquette contrainte, afin de permettre localement de se focaliser sur la qualité pédagogique pour déterminer les stages à ouvrir.

 

La rémunération à l’acte des futurs Docteurs juniors de médecine générale nuirait également à la qualité de la formation ainsi qu’à la qualité des soins, disent-ils. Qu’en pensez-vous ?

On parle souvent de responsabilité sociale des universités : elles sont là pour former à l’exercice réel. Or, aujourd’hui, l’exercice réel en ville est encore majoritairement libéral. Ignorer qu’il y a une rémunération à l’acte, c’est quelque part se défaire de cette responsabilité. On a la responsabilité de former des jeunes qui ne vont pas tous être en établissement, de les former à la réalité de terrain. L’enseignement doit s’inspirer de l’existant. Aujourd’hui, on diabolise le paiement à l’acte et on ne jure que par le salariat ou le forfait. Je pense que le pendule va revenir car tout mode de rémunération a des effets pervers. Aucun n’est 100% vertueux. Ils ont tous des défauts : la capitation peut inciter à sélectionner les patients dont le profil est le mieux valorisé et à les recevoir moins souvent. Il n’y a pas de modèle idéal. La réponse est peut-être au milieu de tout ça, dans un mix ou dans un choix… Mais il y aussi besoin d’être rétribué pour ce qui est réellement fait, pas seulement par tête ou par heure passée.

 

“ Pourquoi, aujourd’hui, n’y a-t-il pas d’acte pour coter l’échographie en médecine générale ? ”

 

La délivrance d’antibiotiques sans ordonnance par les pharmaciens en cas de test positif pour l’angine et la cystite va se mettre en place. Le CMG est-il consulté à ce sujet ?

Nous sommes un peu consultés sur tous ces sujets de transferts d’activités. Et à chaque fois, la réponse que l’on donne c’est : trouvons un cadre pour ces évolutions. Parce que là, c’est fait morceau par morceau, au gré des lobbies et des corporatismes qui ont l’oreille la plus proche et on ne sait pas où ça mène… Sur ce thème, on a parfois l’impression que les politiques sont comme des business angels : ils écoutent, recueillent des idées et quand l’idée leur plait, ils la financent et lui donnent un cadre réglementaire. Résultat : on mélange les rôles et les activités de chacun. Il peut y avoir des évolutions extrêmement cohérentes dans chacun des métiers, mais il faut une logique. Il n’y a pas de visibilité globale, d’explications ni d’embarquement de tout le monde pour que chacun y trouve son compte. Pourquoi, d’un coup, l’angine deviendrait un problème crucial sur lequel il y a besoin de faire évoluer les métiers ? Prenons déjà le temps de screener tous les motifs de consultation et de prévention les plus fréquents en soins primaires et posons sur chacun d’eux une grille élaborée de façon consensuelle – car on ne peut pas faire de la coopération dans l’opposition – pour voir quelles sont les évolutions logiques et utiles. De la même manière, il y a des évolutions qui ne sont pas mises en place alors quelles seraient très pertinentes. J’ai encore entendu personne dire au niveau politique “on va aussi faire évoluer le métier de médecin généraliste”. A part le contrôler… Personne n’a de proposition face à l’évolution de la société, des connaissances, des techniques, du besoin de respiration des métiers, de l’enjeu de simplification du parcours des patients. Tout cela pourrait justifier de faire évoluer le métier de médecin généraliste. Pourquoi, aujourd’hui, n’y a-t-il pas d’acte pour coter l’échographie en médecine générale ? Pourquoi la psychothérapie de soutien est si mal reconnue en médecine générale ? Ce sont des activités qu’il faut encourager. Cela permettrait peut-être une certaine acceptabilité de ce qui se passe : on voit chacun essayer de gagner plus de son côté et le médecin généraliste a l’impression de se faire dépiauter de ses activités…

 

 

La prescription d’arrêts de travail en téléconsultation a été limitée à 3 jours (hors médecin traitant). Faut-il aller plus loin dans l’encadrement de cette pratique en interdisant, par exemple, la prescription d’antibiotiques ?

Je pense qu’il ne faut pas tuer la téléconsultation, qui peut être un outil bien utile. Mais ce n’est pas la réplication telle quelle d’une consultation physique : des travaux montrent qu’elle est utilisée davantage pour l’obtention d’une ordonnance et la validation d’un auto-diagnostic que pour trouver la réponse à une situation totalement ouverte, inconnue. La pratique évolue, on commence à avoir des référentiels qui sortent, comme celui de la HAS ou sur un autre plan le manuel de télésémiologie. Les sociétés de téléconsultation elles-mêmes posent des limites, par exemple ne pas délivrer de certificat en téléconsultation. On est tous conscients qu’il y a des dérives et que le cadre n’est pas complètement bien posé mais ça va venir. La population tout comme les médecins doivent encore apprivoiser l’outil et intégrer qu’on ne peut pas l’utiliser pour tout.

 

C’est parfois le seul recours…

La téléconsultation peut simplifier le parcours du patient mais il faut aussi comprendre que derrière, il y a toujours un médecin. Un médecin qui n’exerce pas en physique. Est-ce que la téléconsultation permet vraiment d’économiser du temps médical ? J’aimerais voir les études à ce sujet. Il ne faut pas que ça vide les cabinets médicaux. Si on en fait le modèle ultime, on risque d’aggraver la crise du manque de disponibilité de médecins.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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