Inspectrice générale des affaires sociales, Nadiège Baille a pris la tête du Conseil national de la certification périodique le 8 mars, succédant au Pr Lionel Collet, parti à la Haute Autorité de santé. Avec sa nomination, la procédure de certification, officiellement entrée en vigueur au 1er janvier 2023 et à laquelle les sept professions de santé à ordre doivent se conformer, va (enfin) pouvoir s’accélérer. Un décret précisant le contenu du dispositif vient ainsi de paraître. D’autres – sur les comptes individuels ou le contrôle de l’obligation – sont en gestation. A l’instar des référentiels, élaborés par les CNP, qui devront tous être validés pour le mois de juin. “L’accompagnement du déploiement est une étape à ne pas manquer”, insiste Nadiège Baille.

 

Egora : Vous avez pris la tête du Conseil national de la certification périodique. Une place restée vacante depuis plusieurs mois après le départ du Pr Lionel Collet pour la HAS. Comment s’est passée votre prise de fonctions ?

Nadiège Baille : Nous avons fait le lien avec le Pr Lionel Collet que j’ai eu au téléphone : ce n’est pas rien de lui succéder ! Je suis très fière qu’on ait pensé à moi pour ces responsabilités. J’ai été beaucoup sollicitée par les différents membres de l’instance. Il y a un volontarisme des professionnels de santé pour travailler et avancer sur la certification périodique. Je crois que la finalité, qui est de garantir une adaptabilité des compétences à l’évolution des prises en charge, s’impose à tous. Cela vaut qu’on soit à l’hôpital ou en exercice libéral. Il y a une évolutivité très forte des connaissances et compétences médicales et paramédicales, mais aussi des conditions d’exercice. On voit bien en ville, par exemple, combien les exercices coordonnés, collégiaux, font de plus en plus sens pour les soignants, médecins ou non médecins. Le lien avec le patient change aussi !

 

Quelle est l’ampleur de la tâche ?

L’enjeu est vraiment important. La procédure va permettre de certifier tous les professionnels inscrits aux ordres sur des périodes de six ou neuf ans. Il faut qu’ils s’y retrouvent sur les quatre axes qui composent l’obligation de certification périodique [maintien des connaissances, des compétences, relation avec le patient, et la santé du praticien, NDLR]. La demande qui a été faite est que les conseils nationaux professionnels (CNP) puissent être mobilisés et missionnés pour l’élaboration des référentiels sur la base d’un cadre méthodologique défini par la Haute Autorité de santé. Ils doivent tenir compte de l’état actuel de l’art [la médecine, par exemple] et se projeter sur les besoins à venir. Les CNP doivent ainsi identifier les différentes actions que les professionnels de santé vont pouvoir suivre, quelles sont celles qui pourront être labellisées ou non.

 

Où en est-on ?

Certains CNP ont déjà adressé leur référentiel à la Direction générale de l’offre de soins. C’est le cas de ceux des médecins généralistes et des pharmaciens. Ils doivent passer par un pôle de relecture scientifique composé de professionnels de santé qui émettent un avis. Un aller-retour peut être fait pour améliorer tel ou tel point du référentiel. Les paramédicaux sont également en ordre de marche.

 

 

Il y a un volet réglementaire qui est également en gestation et qui a bien avancé. Un décret qui donne précisément le contenu des actions [vient de paraître]. Trois autres décrets sont également en préparation. D’abord, celui sur la gestion des comptes individuels, pour lequel il y a une saisine de la Cnil. Le projet de décret devrait être transmis au Conseil d’Etat en juin. On a aussi un décret sur le contrôle [du respect de l’obligation] par les ordres professionnels qui est en cours de finalisation, et devrait prochainement être soumis à concertation. Et puis, on attend un décret sur les conditions de saisine de la Haute Autorité de santé dans l’éventualité où certains référentiels ne répondraient pas aux critères définis par l’instance de certification périodique.

 

Quel sera votre rôle dans tout cela ?

Mon rôle n’est pas de définir les référentiels, qui sont élaborés par les CNP. En revanche, il y a un cadre et des critères sur les orientations scientifiques à donner, et ça, c’est le rôle de l’instance collégiale que je préside. Je veille également à l’absence de lien d’intérêt entre ceux qui vont rendre un avis et définir quelles actions seront éligibles à la certification. Mon rôle est aussi d’accompagner le déploiement du dispositif. Nous allons d’ailleurs travailler à un plan de communication avec les acteurs. Il y a vraiment ce rôle d’animation qui est dévolu à l’instance de certification.

 

La certification est officiellement entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Mais la machine n’a pas encore vraiment démarré. Pourquoi ?

Ce que je viens d’évoquer nécessite un travail de fond. Les CNP ont été sollicités en 2022 pour la création des référentiels. Un accompagnement leur a été octroyé par la DGOS, mais ce n’est pas simple. Discuter du positionnement des uns et des autres, construire les compétences attendues… Tout cela prend du temps. Il y a vraiment eu ce souci de concertation afin de garantir une approche pragmatique. Au sein de l’instance collégiale, nous avons une personnalité qualifiée canadienne, qui décrit très bien le temps qu’il a fallu pour mettre en place le dispositif au Canada. Mais aujourd’hui, c’est quelque chose sur lequel personne ne reviendrait. Je pense qu’il vaut mieux prendre ce temps-là plutôt que de vouloir sortir un référentiel type qui ne fait pas tellement sens pour les professionnels.

Pour rassurer les professionnels, les actions de formation qu’ils ont menées depuis le 1er janvier 2023 seront intégrées dans les comptes individuels [qui seront hébergés sur une plateforme gérée par l’Agence du numérique en santé]. On ne part pas d’une page blanche.

 

Compte-tenu de ce retard, y aura-t-il des ajustements en matière de référentiels, d’orientations, d’offres de formation ?

Personne ne peut fermer la porte à des ajustements si besoin. Mais, évidemment, tout cela s’appuie sur un cadre réglementaire et législatif. Ce dernier laisse néanmoins pas mal de souplesse sur la prise en compte des actions. L’objectif est que les référentiels répondent bien aux enjeux de compétences, de pratiques professionnelles, d’innovation et de santé.

 

Les référentiels élaborés par chacun des CNP ne sont pas encore disponibles. Quand doivent-ils tous être rendus ?

Courant avril, nous réunirons l’instance de certification périodique afin de faire un point d’actualité et de rappeler l’attendu de transmission de ces référentiels pour le mois de juin. A ce moment-là, les ateliers – associant les professionnels sous le pilotage de la DGOS – auront rendu leurs conclusions pour l’élaboration des comptes individuels de certification. Nous aurons ainsi les supports pour lancer la certification périodique de façon opérationnelle.

 


© Claereboudt/Egora

 

Que contiendront les quatre blocs qui constituent le socle de la certification périodique (maintien des connaissances, des compétences, relation avec le patient, et la santé du praticien) ?

Ces blocs permettent de définir les critères d’éligibilité des axes des référentiels. Les actions de type DPC, formation continue, EPP, etc. devront ensuite être rattachées à ces axes. D’autres actions pourront être éligibles, comme la participation à un congrès, par exemple. Un congrès ne satisfera pas automatiquement à l’obligation de certification périodique. Il pourra être éligible comme une action de certification s’il prévoit des sessions de formation spécifiques et que ces dernières rentrent dans l’un ou l’autre des champs d’actualisation des connaissances et des compétences. Les référentiels devront permettre de les identifier.

 

Craignant un “dérapage” des coûts du dispositif, l’Igas a préconisé de s’appuyer sur les actions déjà existantes financées par les professionnels eux-mêmes ou les établissements. Suivrez-vous cette recommandation ? Doit-on comprendre que les actions de DPC seront mises à la marge ?

L’idée n’est pas de superposer les différents dispositifs. Il faut bien sûr s’appuyer sur les dispositifs existants. D’ailleurs, les actions de DPC peuvent émarger sur les deux premiers blocs de la certification périodique [maintien des connaissances et des compétences]. Ça ne les écarte pas du tout. Entre les actions de DPC, les actions de formation continue et les actions conduites par les établissements de santé, il faut trouver une synergie. Cela permettra de donner une visibilité aux professionnels.

 

 

L’obligation triennale de DPC demeure donc une démarche impérative à satisfaire ?

Oui. C’est une obligation légale. Il faut bien se dire que la certification périodique concerne les sept professions à ordre, mais le DPC concerne l’ensemble des professions de santé. Cela n’aurait pas de sens de faire disparaître l’obligation de DPC.

 

Comment vont s’articuler la certification périodique et les autres obligations qui incombent aux professionnels de santé ?

On partage tous cette volonté que tout s’emboîte et fasse sens. J’aurai un œil très attentif là-dessus. Mais, pour l’instant, je ne peux répondre à “comment” l’articulation se fera. Ce qui est certain, c’est qu’il faut faire du lien entre les différentes obligations. L’évaluation des pratiques professionnelles, par exemple, est une obligation dont on comprend le sens en termes de sécurité d’exercice pour les professionnels. Il faut que nous puissions retrouver ce marqueur fort dans la certification périodique. Nous allons nous appuyer sur les outils existants. Il faut pour cela que les référentiels puissent se positionner sur ce corpus solide. Mais cela nécessite des critères établis afin d’éviter de se disperser. Car il y a un sujet de temps, de disponibilité, pour les professionnels de santé.

 

Ne risque-t-on pas un empilement des obligations pour les soignants, et donc un désengagement de leur part ?

Je serai attentive à cela. L’instance de certification périodique associe très largement les acteurs [syndicats, ordres, CNP, personnes qualifiées, associations de patients]. Il y a un avis éclairé des professionnels sur leurs craintes. L’accompagnement du déploiement est une étape à ne pas manquer. L’objectif est d’embarquer les professionnels. La France n’est pas le premier pays à espérer monter la certification périodique. Ça fonctionne bien dans les autres pays. Il faut s’inspirer de ce qu’il se fait ailleurs.

 

Quelles seront les sanctions encourues par les médecins qui ne se plieraient pas à l’obligation de certification périodique ?

Cela m’ennuie de parler de la sanction – qui peut aller jusqu’à l’interdiction d’exercice. La question est légitime, mais je ne crois pas que les professionnels aient envie d’entendre parler de cela maintenant. J’ai à cœur de les accompagner dans leurs parcours. Je connais les difficultés des exercices libéraux et hospitaliers. Les actions qui seront utiles pour les professionnels doivent pouvoir se retrouver dans la certification périodique. Sinon on aura manqué quelque chose. Les professionnels participent de façon suffisamment récurrente à des actions de formation continue pour qu’on les amène tous vers leur obligation de certification. Nous aurons par ailleurs des tableaux de bord, des suivis réguliers, qui permettront d’identifier les professionnels en difficulté et de les accompagner.

 

Comment cadrer les missions de contrôle des ordres ? Est-ce votre rôle ?

Non, ce n’est pas notre rôle. Mais, comme je l’ai dit, il y aura un cadre réglementaire.

 

En savoir plus sur Nadiège Baille :

Nadiège Baille, 54 ans, a eu un parcours essentiellement hospitalier puisqu’elle a été directrice de plusieurs hôpitaux avant de rejoindre l’Igas, en décembre 2022. Elle est diplômée de l’École des hautes études en santé publique. Elle a d’abord exercé aux Hospices Civils de Lyon “pendant une dizaine d’années”, où elle s’est occupée “des sujets de carrière” : “paie, rémunération des professionnels non médicaux”, etc. Elle a ensuite rejoint le centre hospitalier de Trévoux dans l’Ain, qu’elle a dirigé pendant six ans. Elle a également assuré plusieurs intérims dans le département, notamment au CH du Haut Bugey. “Dans ce cadre, j’ai pu travailler avec des généralistes et des associations de maintien à domicile sur les parcours de soins des personnes âgées”, explique-t-elle. Elle a ensuite rejoint le centre hospitalier de Montélimar, dans la Drôme, où elle est là aussi restée six ans. Avant de revenir aux Hospices Civils de Lyon comme direction adjointe “en charge des fonctions stratégie, recherche, innovation, affaires médicales et du pilotage des plateaux techniques (biologie, imagerie)”. Nadiège Baille a ensuite dirigé le CHU de Dijon durant quatre ans, en pleine crise Covid. Durant sa carrière hospitalière, elle a cherché à rendre l’hôpital plus ouvert sur son environnement, et à créer des connexions entre les acteurs. A l’Igas, l’une de ses premières missions a été de travailler sur l’universitarisation des professions paramédicales ou encore le développement de la recherche paramédicale. “Le rapport vient de sortir”, indique-t-elle. Elle a également travaillé sur la gouvernance des établissements de santé. Puis, elle a été sollicitée pour présider le Conseil national de la certification périodique. Elle garde en parallèle son poste à l’Igas.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt, cheffe de rubrique Rencontres

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