Ce mardi 12 mars, près de 7 900 étudiants en sixième année de médecine passent les Ecos tests, nouvelle étape de la réforme du concours de l’internat. Après les EDN en octobre, ces examens “blancs” sont la répétition des Ecos* nationaux prévus fin mai. À la tête de la Conférence nationale des doyens des facultés de médecine, le Pr Benoît Veber supervise la mise en place de ces épreuves. Au-delà de la R2C, il maintient son opposition à la rémunération à l’acte des internes de quatrième année de médecine générale. “On est en train d’écrire la mort de la médecine hospitalière.”
Egora : Le taux de réussite de ces premières EDN frôle les 97 %. Vous avez exprimé votre satisfaction lors de la publication de ces résultats. Des écarts persistent toutefois entre les facultés, avec 99,6 % de réussite pour la meilleure et 84,9 % pour la moins bonne. Comment s’expliquent ces différences ?
Pr Benoît Veber : Tout d’abord, la population d’étudiants n’est pas la même à Paris-Saclay ou à Paris Sorbonne, qu’à Bobigny, Limoges ou Rouen… Et, peut-être aussi, qu’il y a des capacités dans certaines facs à mieux entraîner, il y a peut-être des différences de performances pédagogiques. Il ne faut pas l’exclure. Ça a le mérite de bousculer un peu les enseignants et de nous permettre de relire un peu nos process. Après, il faut aussi accepter que la population étudiante n’ait pas la même motivation. Je prends toujours l’exemple de Paris Sorbonne, où les étudiants veulent tous faire chirurgie plastique, ophtalmologie et cardiologie, et donc ils s’en donnent les moyens. C’est vrai que dans un certain nombre de facultés, dont la mienne [à Rouen, NDLR], il y a un bon tiers de promo qui a envie d’être médecin généraliste. Ce qui est très bien. Il faut qu’ils comprennent maintenant qu’il y a quand même un minimum de connaissances à acquérir, y compris pour être médecin généraliste.
Au total, un peu moins de 280 étudiants n’ont pas réussi les EDN. Que se passe-t-il pour eux ?
On ne va pas les abandonner. Ils poursuivent leurs stages cette année et ont accès à toutes les épreuves d’entraînement que les facs peuvent faire. On les aide à se préparer au mieux pour repasser les EDN en octobre prochain. On a même aménagé du temps d’arrêt de stage pour leur permettre d’avoir une période de révision intense. Ils vont être, comme leurs collègues de cinquième année, libérés dans la première quinzaine de juillet. Puis, il y a beaucoup d’endroits, et c’est le cas à Rouen, où l’on organise, si nécessaire, un parcours à la carte sur l’année qui suit, car ces étudiants ne sont pas très nombreux. Finalement, ils remettent les pendules à zéro et recommencent l’année prochaine en passant les EDN d’octobre.
Mais, pour revenir sur ces premières EDN, elles restent un succès : il y a trois messages forts. Tout d’abord, c’est que les étudiants, quand il le faut, sont capables de travailler et de performer. C’est un élément très positif. Mais surtout, avec ces épreuves, on les met en sécurité. En effet, le message pour les étudiants qui ont obtenu 14/20 [note minimale pour réussir les EDN] est : “vous avez les connaissances pour être interne”. Et, celui pour la population est :”on va mettre à votre disposition des internes qui ont des connaissances vérifiées”. C’est quand même deux bons messages qui correspondent, je crois, à la responsabilité des facultés de médecine.
Pour valider ces épreuves, les étudiants devaient obtenir au minimum 14/20 aux items de rang A, connaissances considérées comme essentielles pour tout médecin. Certains carabins ont jugé cette note trop élevée. Est-il envisageable qu’elle soit réduite dans les prochaines années ?
Il y a peut-être deux éléments de réponse. D’abord, cette note a été discutée avec les représentants étudiants. Même au départ, j’ai entendu parler d’un souhait de ces représentants d’avoir une note plus élevée, plutôt 16/20. D’autre part, on sait que le 10/20 ne suffit pas. Cette note est celle qui était appliquée aux examens facultaires les années précédentes. On a fait le constat qu’il y avait des étudiants qui avaient assez facilement 10/20, mais qui probablement n’avaient pas les connaissances de base. Avec 14/20, on voit que les étudiants sont massivement capables de l’obtenir. Cela veut dire qu’ils sont meilleurs. On verra comment on pilote cette réforme. Nous sommes en attente, le comité scientifique et les doyens, de l’ensemble des données anonymisées des épreuves, de façon à voir, par exemple, quelles questions ont bien marché ou non. On se réservera bien sûr le droit de discuter du 14/20, mais, pour l’instant, je ne vois pas d’élément qui le remette en cause.
Fin mai, les étudiants de sixième année passeront les Ecos nationaux, examens basés sur des mises en situation. Ce mardi 12 mars, des Ecos tests sont organisés dans toutes les facultés de médecine. En quoi consistent ces épreuves “tests” ?
On est dans une année charnière. Les Ecos nationaux sont une première et c’est même, dans la forme que l’on va mettre en place, une première mondiale. En France, c’est la première fois que dans toutes les facs de médecine, au même moment, on va jouer les mêmes scénarios pour évaluer le niveau de compétences et participer au classement des étudiants. Le CNG**, dont c’est la charge d’organiser les épreuves nationales, a développé un algorithme de gestion des grilles de correction pour ces Ecos. Et, en plus, on est sur des binômes [d’observateurs], ce qui ne s’est jamais fait dans le monde. Tout cela demande une logistique informatique, technique et de mise en œuvre dans les facs qu’il nous faut tester avant l’épreuve réelle de mai. C’est à cela que servent les Ecos tests. Ces examens ont quand même une valeur importante pour les étudiants, puisqu’ils vont aussi servir d’Ecos facultaires pour valider le certificat de compétence clinique qui permet de finir la sixième année des études médicales.
Lors des Ecos nationaux, les étudiants devront passer dix stations différentes. Ces mises en situation visent à évaluer les futurs internes sur onze compétences attendues. Les Ecos tests comptent-ils autant de stations ?
Il y en a moins. Cette fois-ci, il y aura cinq stations [par étudiant]. Il y a deux stations avec des patients standardisés, et une station avec un professionnel de santé standardisé. Alors qu’en mai, il y aura trois stations sur dix avec un patient standardisé, et une avec un professionnel de santé standardisé. Il y a donc une petite nuance. Les autres stations vont tester d’autres savoir-faire, ça peut être un geste clinique par exemple, ou éventuellement un savoir-faire sur une réaction d’ordonnance.
Les Ecos nationaux ont lieu dans moins de trois mois. La barre a été placée “très haut”, comme vous avez déjà pu le dire. Serez-vous prêts les 28 et 29 mai prochains ?
On n’a pas le choix, donc on va être prêts. Après, on est un peu sous pression. On a vraiment besoin des Ecos tests de mars car si on s’aperçoit qu’il y a des bugs, c’est le moment ou jamais de les corriger. Pour mai, on est en train de finaliser les choses. On en parle tous les mois avec les doyens, et plusieurs fois par mois dans le comité de suivi. Toutes les facs sont équipées des matériels considérés comme nécessaires pour ces Ecos. On a ciblé un certain nombre d’entre eux, comme du matériel d’otoscopie, des mannequins de massage cardiaque, du matériel pour faire des sutures… Sur le matériel, il n’y aura pas de problème. C’est un petit peu plus complexe sur les patients standardisés car, même s’ils sont indemnisés, ce sont des volontaires.
Il faut que l’on en ait suffisamment pour l’épreuve de mai. On y travaille très activement, et on est en train de les former. Mais c’est vrai que certains patients standardisés déclinent l’offre quand on leur dit qu’il va falloir qu’on les voie trois semaines avant l’épreuve pour qu’ils puissent apprendre le scénario, qu’on puisse les faire répéter…
Des facultés pourraient-elles manquer de patients standardisés ?
À vrai dire, celles qui étaient en grande difficulté feront éventuellement appel, pour cette année, à des étudiants d’écoles d’art dramatique, voire à des acteurs, même si ce n’est peut-être pas le standard recommandé au niveau international. Pour la première année, ça nous paraît acceptable. On a eu une première enquête [menée auprès des doyens] qui nous montre qu’on est presque à l’étiage. On en refera une autre fin mars pour s’assurer que tout va bien. J’émets donc encore une toute petite réserve. Je serai plus serein début avril pour savoir clairement si on est tous dans les clous ou pas.
L’autre défi porte sur la nécessité d’avoir deux observateurs par station, dont l’un provenant d’une autre faculté de celle de l’étudiant. Ce dernier critère va-t-il pouvoir être respecté ?
La logistique est compliquée, mais c’est calé. Toutes les facs ont désigné, par tirage au sort ou désignation du doyen, les collègues observateurs qui devaient participer aux Ecos. Parmi ceux-là, elles ont désigné ceux qui allaient changer de fac. Ils sont donc prévenus, et tout cela est géré. Ce qui est clair, c’est qu’il peut y avoir des binômes de deux observateurs extérieurs, mais il ne peut pas y avoir des binômes de deux observateurs internes. Il y a, en plus, plus d’observateurs qui bougent pour garantir, en cas d’un malade de dernière minute, que chaque binôme sera bien toujours constitué au minimum d’un observateur extérieur.
En février, vous nous avez présenté la procédure envisagée afin d’affecter les futurs internes à l’issue des EDN et des Ecos. Elle prévoyait que l’algorithme d’appariement, développé par le CNG, tourne “deux ou trois fois à blanc” avant d’attribuer aux étudiants une spécialité et une subdivision en fonction de leurs vœux. Cette procédure n’avait pas encore été validée en comité de pilotage interministériel. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le cahier des charges a été validé. Le nombre de tours à blanc sera peut-être plus important, plutôt aux alentours de six : c’était une demande des étudiants. Mais le top départ de l’obligation d’exprimer ses vœux avec un minimum de 40 vœux par étudiant, ainsi que la nécessité de rajouter des vœux pour ceux qui ne verraient pas, au bout de plusieurs tours à blanc, un classement apparaître, sont maintenant calés. Normalement, l’immense majorité des étudiants devraient être affectés dès le premier tour d’appariement, et c’est l’objectif. Le cahier des charges étant validé, il faut maintenant finaliser [cette procédure]. Cela devrait apparaître dans un arrêté, probablement à la fin du mois.
Début mars, plusieurs associations étudiantes, dont l’Anemf***, ont présenté une enquête sur la réforme de la Paces, mise en place il y a trois ans. Elles y dressent un bilan alarmant de cette réforme et formulent de nombreuses demandes. Avez-vous lu ce rapport ?
Non, je ne l’ai pas lu. Je ne veux pas le lire tout de suite, car les doyens sont en train de travailler sur des propositions et je veux avoir l’esprit libre. Evidemment, il y aura un groupe de travail qui devra se mettre en place avec les étudiants, mais il ne faut pas entrer dans un effet tunnel. Cette réforme a des forces et des faiblesses. On a peu parlé de ses forces et beaucoup de ses faiblesses. Il faut quand même essayer de conserver ses forces, qui sont la marche en avant des étudiants. Le fait qu’il n’y a plus d’étudiants qui, au bout de deux ans, n’ont rien.
L’autre objectif de cette réforme, c’est la diversification des profils. Sur ce point, les doyens sont intimement convaincus qu’il faut relire le process. D’ailleurs, j’en avais personnellement parlé avec Sylvie Retailleau [ministre de l’Enseignement supérieur], il y a un an. On était tombés d’accord sur l’idée que c’était l’heure de le faire, car on a passé les trois ans de la réforme. Mais nous sont tombés dessus d’abord l’audit de la Cour des comptes, qui est en cours, et l’injonction du Conseil d’Etat au Gouvernement de modifier les oraux d’admission des étudiants en deuxième année.
Quelles solutions doivent être privilégiées ?
Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises : je pense que l’on doit revoir cette réforme pour lui donner plus de lisibilité. C’est son principal défaut. La lisibilité pour rentrer dans les études en santé est très mauvaise. Tout le monde se précipite sur les Pass et ne comprend pas le fonctionnement des LAS****. Il faut donc donner de la lisibilité sur ces dernières. Je pense aussi que l’on est allé trop loin dans l’offre de LAS. Il faut probablement se limiter à entre trois et cinq LAS.
Il y a, par ailleurs, à gérer l’interclassement des étudiants en LAS qui est, là encore, tout sauf lisible. On est amené à classer des étudiants qui viennent de différentes LAS, et cela pose un vrai problème. Actuellement, il y a un calcul qui est fait et qui génère une espèce de flottement. C’est une boite noire. Un étudiant qui a 12 de moyenne dans sa licence peut se retrouver interclassé à 11 ou à 13 sans comprendre pourquoi. Il faut sortir de ça. La proposition que je fais est que, pour pouvoir être recevable au concours passerelle, les étudiants doivent valider leur licence, éventuellement avec une note différenciée en fonction des licences. Il faut donc que le jury donne, licence par licence, la note au-delà de laquelle un étudiant peut postuler aux études de santé. De plus, les étudiants en LAS ont tous une mineure santé qui fait l’objet d’une épreuve unique. Classons-les donc, une fois qu’ils ont obtenu le niveau dans leur licence, sur la base de cette épreuve.
Concernant la quatrième année de médecine générale, François Braun, alors ministre de la Santé, a tranché en juin 2023 en faveur d’une rémunération à l’acte des “docteurs juniors”. La Conférence des doyens a récemment rappelé son opposition à cette rémunération dans une lettre adressée au Gouvernement, qui a fait vivement réagir les syndicats étudiants. Pourriez-vous rappeler les raisons de votre position ?
Avant tout, je souhaite rappeler qu’on est très favorables à la quatrième année. On a soutenu très vigoureusement le principe de cette année supplémentaire, car la médecine générale est une discipline comme les autres. Elle doit donc avoir un internat comme les autres avec une phase de consolidation. De plus, cette quatrième année permet de libérer un semestre qui permet l’accès aux formations spécialisées transversales. Je suis intimement persuadé que c’est très important pour un jeune généraliste de pouvoir colorer son internat en se donnant une sorte de surcompétence. Si maintenant on se penche sur la rémunération, il y a plusieurs problèmes qui s’associent à celle à l’acte. Il y a d’abord un problème d’équité entre les internes. Comment on explique à interne chirurgien, qui va avoir six années d’internat dont deux de docteur junior, qu’il est payé 2 200 euros nets par mois, alors que l’interne de médecine générale, qui a une formation plus courte, est payé 4 500 euros nets par mois [montant maximal pouvant être perçu par les internes] ? C’est le premier problème.
Le deuxième est que nous considérons qu’il y a un problème d’équité pédagogique à double titre. Le premier est d’associer une pression de production pour se former. L’interne qui est payé à l’acte, en particulier à 30 actes par jour [maximum de consultations que l’interne peut réaliser], a une pression de production forcément associée. Cela va potentiellement gêner sa formation. De plus, il y a un problème d’éthique de formation pour le maitre de stage, qui va toucher des honoraires en fonction de l’activité de son interne. Cela génère un biais dans l’accompagnement des étudiants. Il n’est pas normal que le maitre de stage, qui a déjà des indemnités par les ARS pour encadrer les internes, touche de l’argent sur l’activité de l’interne.
Enfin, et c’est le plus grave à mon sens, pour pallier le manque d’équité entre les internes, on sait que les autres spécialités demanderont à passer sous le même registre si la rémunération à l’acte est validée pour la médecine générale. Or, que va-t-il se passer quand les internes vont partir en libéral pour être docteurs juniors payés 4 500 euros nets, alors que le salaire d’un chef de clinique ou d’un praticien hospitalier débutant est de 3 800 euros ? Ça veut dire qu’on aura plus de médecins dans les hôpitaux publics. On met à mal l’équilibre entre la médecine ambulatoire libérale et la médecine hospitalière. Il faut préserver cet équilibre, et là on est en train de le rompre. On est en train d’écrire la mort de la médecine hospitalière de tous les petits hôpitaux qui n’auront plus de médecins, car les jeunes ne reviendront pas à l’hôpital s’ils sont payés quasiment 1 000 euros de moins [que durant leur internat].
Les syndicats y voient, eux, une solution pour valoriser efficacement le travail et la rémunération des internes….
Tout le monde est d’accord pour qu’ils soient mieux payés. Je ne dis pas qu’il ne faut pas payer les internes, mais je dis qu’il faut garder un gradient en fonction des responsabilités de chacun. L’interne reste encore un étudiant, il ne peut pas être payé plus cher qu’un médecin senior débutant à l’hôpital public. Ce n’est pas possible. On a besoin d’une médecine hospitalière qui tienne la route, et qu’il y ait donc des jeunes qui s’y engagent.
De plus, 40 % des médecins actuellement qui sortent de nos études souhaitent être salariés. Qu’allons-nous faire de ces internes ? C’est encore une iniquité différente. Tous ceux qui vont travailler en centres de santé ne seront pas payés à l’acte.
Pour éviter une telle iniquité, l’Isnar-IMG propose que les centres de santé versent un forfait, sous forme de prime, aux “docteurs juniors” de médecine générale. Est-ce envisageable ?
C’est un vœu pieux. Je ne vois pas comment les centres de santé peuvent faire ça. On peut toujours demander des choses, mais il faut être réaliste… Ce ne sera pas obtenu. Il y aura donc, quand même, une inégalité très forte au sein de la même discipline. Enfin, si la prime obtenue devient supérieure au salaire d’un chef de clinique ou d’un praticien hospitalier débutant, ce n’est une fois encore pas entendable.
* Epreuves nationales dématérialisées (EDN) et Examens cliniques objectifs et structurés (Ecos).
** Centre national de gestion (CNG).
*** Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf).
**** Les Parcours d’accès spécifique santé et les Licences “accès santé” (Pass et LAS).
Source :
www.egora.fr
Auteur : Chloé Subileau
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