En France, 3,3 millions de personnes sont touchées par l’infertilité, une affection en hausse, et dont les causes sont nombreuses. Face à la détresse des couples, le Pr Samir Hamamah, chef du service de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier, appelle à un sursaut préventif.
Un couple sur quatre rencontre des difficultés pour avoir un enfant après 12 mois d’essais. Face à la hausse de l’infertilité, Emmanuel Macron a annoncé, lors d’une conférence de presse organisée mi-janvier à l’Elysée, l’instauration d’un « grand plan de lutte contre ce fléau ». Ce futur plan fertilité, dont l’Elysée prévoit le lancement dans les six prochains mois – soit avant l’été, un délai optimiste –, sera le premier consacré au sujet en France. Il reposera en grande partie sur le rapport(1) remis en février 2022 au Gouvernement par le Pr Samir Hamamah et Salomé Berlioux, fondatrice de l’association Chemins d’avenirs.
Les deux experts y dressent un panorama des nombreuses causes de l’infertilité. Selon Samir Hamamah, elles peuvent être rangées en trois grandes catégories, de nature sociétale, environnementale et médicale. « Aucun de ces trois grands types de causes n’a un poids plus important que l’autre. Les trois aboutissent à des situations d’infertilité, à savoir l’incapacité de réaliser son projet parental sans aide médicale », explique-t-il. Dans leur rapport, les deux experts accordent cependant la primeur au « déclin naturel de la fertilité avec l’âge », selon eux le premier facteur d’infertilité.
En cause, un recul très prononcé de l’âge lors de la parentalité : de 24 ans en 1974, l’âge moyen de la mère lors de son premier accouchement atteignait 28,8 ans en 2019. Selon l’Institut national des études démographiques (Ined), la tendance devrait se poursuivre ces prochaines années – en Espagne, cet âge s’élève à 32,8 ans. Parmi les bébés nés en 2020, un quart avaient une mère âgée de 35 ans ou plus à la naissance, un quart un père âgé de 38 ans ou plus. Selon Samir Hamamah, « les Françaises doivent savoir que leur fertilité chute avec l’âge. Chez la femme, elle est optimale à 25 ans, et elle commence à chuter au-delà ».
Une « confiance excessive » dans la PMA
En cause derrière ce vieillissement des jeunes parents, la recherche d’une stabilité professionnelle et affective, mais aussi les difficultés financières et organisationnelles qu’occasionne l’arrivée d’un enfant. A ce recul de l’âge, s’ajoute « une confiance excessive » dans l’efficacité de la procréation médicale assistée (PMA). Selon le médecin, « celle-ci n’est pas une baguette magique qui permet de régler tous les problèmes d’infertilité ». Chez les femmes en recherche de grossesse après 40 ans, 36 % resteront sans enfant. D’autant que les chances de succès de l’AMP chutent rapidement : de 13 % chez les femmes de 38/39 ans, le taux d’accouchement après ponction tombe à 2,5 % chez celles de 43 ans et plus.
Selon Samir Hamamah, « il va falloir revoir l’ensemble de notre politique familiale, de notre politique nataliste. L’augmentation de l’infertilité n’explique pas à elle seule la chute de la natalité ». Si elle demeure bien placée parmi les pays européens, la France connaît un net recul. De 2,03 en 2010, l’indice conjoncturel de fécondité, à savoir le nombre moyen d’enfants par femme, n’était plus que de 1,68 en 2023. Face à cette baisse, Emmanuel Macron a appelé lors de sa conférence de presse à un « réarmement démographique », liant fertilité et natalité. Au-delà de la rhétorique va-t-en-guerre, le parallèle entre les deux sujets, l’un médical, l’autre démographique, lui a valu de nombreuses critiques. Interrogé à ce sujet, Samir Hamamah estime qu’« il s’agit avant tout d’informer la population, mais sans paraître ‘pro-nataliste’ ».
Environnement, mode de vie et causes médicales
Au-delà du recul de l’âge au premier enfant, l’infertilité progresse pour des raisons tout autres que sociétales. Et ce, en France comme ailleurs : entre 1973 et 2011, la concentration de spermatozoïdes dans le sperme a chuté de 52,4 % au niveau mondial, soit une perte moyenne de 1,4 % par an, selon une méta-analyse publiée en 2017(2). Derrière ce phénomène, l’environnement paraît le coupable le plus évident. Notamment les perturbateurs endocriniens, molécules omniprésentes qui interfèrent avec le fonctionnement hormonal, et impliquées dans de nombreuses maladies chroniques, du cancer au diabète, en passant par l’obésité, les troubles neurologiques du développement… et l’infertilité.
Que ce soit par nos assiettes, nos vêtements, nos produits d’hygiène, mais aussi par l’air, le sol et l’eau, « nous sommes exposés à des centaines de molécules toxiques », rappelle Samir Hamamah. « Nous y sommes tous vulnérables, de la conception à la mort. Il s’agit d’un scandale de santé publique dont on parle beaucoup, mais sans que rien ne soit réellement fait. Il faut d’abord informer, éduquer, à l’échelle collective comme individuelle. Raison pour laquelle mon rapport propose la création d’un logo reprotoxique, apposé sur tout produit de consommation contenant des perturbateurs endocriniens ».
Egalement en cause dans l’infertilité, la pollution de l’air, le tabagisme, la consommation excessive d’alcool, le cannabis, l’obésité, mais aussi une alimentation de mauvaise qualité, pauvre en fruits et légumes. Pour l’homme, l’exposition à une température trop élevée au niveau testiculaire, que ce soit en cas de conduite automobile prolongée, de pratique intensive du vélo ou de la moto, ou chez certaines professions (verrier, boulanger, pizzaiolo, etc.), altère aussi la spermatogénèse.
Enfin, l’infertilité compte aussi de nombreuses raisons médicales, dont l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques et l’insuffisance ovarienne prématurée chez la femme. Chez l’homme, elle peut être d’origine hormonale (comme l’hypogonadisme), testiculaire (la varicocèle est la première cause d’infertilité masculine), ou liée à des lésions des voies génitales. Dans les deux sexes, diverses infections peuvent favoriser l’infertilité, qu’elles soient sexuellement transmissibles (Chlamydia trachomatis, Neisseria gonorrhoeae, VIH, HPV, etc.) ou non (virus ourlien responsable des oreillons, virus de l’hépatite C, etc.).
Vers des consultations spécifiques ?
Dès lors, comment informer les jeunes adultes, en couple ou non ? Selon Samir Hamamah, « il faut rester positif, parler de prévention. Cette démarche doit impliquer les médecins généralistes, les sage-femmes, les infirmières en pratique avancée ». Parmi les préconisations du rapport, la mise en place d’une consultation préconceptionnelle – « trois mois avant la mise en route du bébé », avance le médecin –, au cours de laquelle les jeunes couples ayant un projet parental se verraient proposer une évaluation de leur environnement et de leur mode de vie, avec des conseils afin de maximiser leurs chances.
Le rapport propose aussi une consultation longue « santé reproductive et fertilité » assortie d’un examen clinique, à la demande de tout homme ou femme en âge de procréer. Par courrier de l’assurance maladie, chaque personne âgée de 29 ans, âge à partir duquel il est autorisé de congeler ses gamètes, se verrait rappeler l’existence de cette consultation, éventuellement en vue d’une autoconservation. En marge de la conférence de presse de janvier, l’Elysée a indiqué envisager la proposition d’un examen gynécologique et d’un spermogramme lors de la consultation de prévention prévue à l’âge de 25 ans. Ces examens, entièrement remboursés, pourraient être proposés dès cette année.
[D’après un entretien avec le Pr Samir Hamamah, chef du service de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier]
Références :
(1) Samir Hamamah et Salomé Berlioux. « Rapport sur les causes d’infertilité, vers une stratégie nationale de lutte contre l’infertilité », février 2022.
(2) Levine H et al., « Temporal trends in sperm count: a systematic review and meta-regression analysis » Human Reproduction Update, 2017 Nov 1;23(6):646-65.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Romain Loury
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