A l’occasion de la 2e édition du congrès francophone de l’échoscopie, qui s’est tenue le 1er février dernier, de nombreux médecins généralistes sont revenus sur leur pratique de l’échographie au sein de leur cabinet. Si cette pratique n’est pour l’heure pas encore recommandée par la Haute Autorité de santé, les généralistes estiment que cet outil leur permet de “gagner du temps” dans la prise en charge de leurs patients. A tel point, que certains indiquent qu’elle pourrait permettre de faciliter l’accès aux soins, notamment dans les déserts médicaux.

 

Si certaines communes semblent plus épargnées, dans d’autres, il faut parfois attendre jusqu’à un mois pour obtenir un rendez-vous chez un radiologue. Dans les services d’urgences, les temps d’attente s’allongent aussi. Et si l’échographe utilisé par les médecins généralistes était une des solutions ? A l’occasion de la 2e édition du congrès francophone de l’échoscopie (ou échographe clinique ciblée, ECC), qui a eu lieu le 1er février dernier à Paris, plusieurs généralistes ont raconté leur expérience depuis qu’ils réalisent des échographies au sein de leur cabinet.

C’est en 2009 que le Dr Dominique Rémy, généraliste en Vendée, décide d’investir dans un échographe, pour se “rendre service”. Aujourd’hui, le médecin reconnaît que cela a “changé [sa] vie”. Car pour lui, cet outil “permet avant tout d’améliorer les prises en charge”. Il se rappelle d’une patiente de 19 ans qui était venue le consulter six mois après être tombée sur la fesse gauche. Depuis sa chute, la jeune femme a gardé une bosse qu’elle souhaite enlever. Le médecin estime qu’il n’y a aucune urgence, mais “compte tenu des difficultés d’accès à l’imagerie” dans son département, il décide de lui faire une échographie dans son cabinet et constate à l’image la présence d’une “boule”. “Je mets un coup de doppler et là je me dis ça ce n’est pas un lipome”, se souvient-il. Le généraliste vendéen, l’oriente vers un confrère et lui prescrit une IRM. Elle révèle une “formation parenchymateuse de tissus graisseux avec un rehaussement à l’intérieur”. Une biopsie est réalisée et fait état de sarcomes alvéolaires des parties molles. La patiente est traitée dans la foulée. “S’il n’y avait pas d’échographie précoce faite par un néophyte, elle n’aurait pas pu être dépistée tôt”, explique le médecin.

 

 

Le Dr David Macheda, généraliste en Haute-Savoie, se souvient, quant à lui, de la demande d’un médecin régulateur de sa région. Ce dernier venait de recevoir l’appel d’un patient de 73 ans, qui se plaignait d’une douleur au mollet, avec présence d’une piqûre. Il soupçonne un érysipèle et devrait orienter le patient vers les urgences, mais le temps d’attente est de 5 heures 30. Alors, il demande au Dr Macheda, s’il possède toujours son appareil d’imagerie. Le généraliste décide alors de prendre en charge le patient dans son cabinet. Il réalise une échographie ciblée à l’endroit de la piqûre et diagnostique finalement une phlébite. Le médecin lui prescrit alors le traitement adéquat. “Avec l’échographe le diagnostic est immédiat et le patient est de retour chez lui moins d’une heure et demie après son appel au 15”, estime-t-il. S’il reconnaît que dans certaines situations cela peut permettre de désengorger les urgences, il ajoute que cela coûte aussi “beaucoup moins cher à la collectivité”.

 

“En dix secondes le diagnostic est fait”

L’échographe utilisé par les généralistes permet aussi, selon la Dre Patricia Lefébure, généraliste dans les Yvelines et présidente de la Fédération des médecins de France (FMF) de ne pas passer à côté de certains diagnostics. Elle raconte le cas d’un patient à qui elle a découvert un épanchement pleural au niveau du poumon gauche grâce à son appareil. “En dix secondes, j’ai posé la sonde à l’endroit de sa douleur, et ça y est le diagnostic est fait”, constate-t-elle. Ce patient avait pourtant déjà passé un scanner dont le compte-rendu indiquait : “il existe un léger feutrage dans le cul de sac osso diaphragmatique droit.” “Le radiologue avait bien vu quelque chose mais il a quand même conclu ‘scanner normal’ au bout du compte”, ajoute la Dre Lefébure.

 

 

Si elle n’avait pas eu d’échographe dans son cabinet, la généraliste aurait envoyé son patient faire une imagerie, “probablement un gril costal, mais ça n’aurait évidemment rien apporté”, précise-t-elle. En plus, avec la “chaîne” de personnels entre le patient et le radiologue, elle reconnaît que les médecins auraient pu passer à côté du bon diagnostic. “Lorsque le patient arrive aux urgences, l’interne griffonne “douleurs thoraciques, suspicions d’embolies pulmonaires”. Ensuite, c’est le technicien qui fait le scanner et qui l’envoie au radiologue. Finalement le radiologue n’a aucun lien avec le patient”, constate-t-elle dans la majorité des cas. “Si le radiologue avait vu le patient et s’il savait qu’il avait mal précisément à cet endroit, peut-être qu’il n’aurait pas conclu ‘scanner thoracique normal’”, s’interroge-t-elle.

S’il a décidé de s’équiper c’est “pour pouvoir faire un peu plus choses” dans sa pratique, commente le Dr Richard Talbot, médecin généraliste dans la Manche et membre de la FMF. Le praticien exerce dans un secteur rural, avec peu de spécialistes. Mais il tient à préciser qu’il n’est pas là “pour remplacer les radiologues”. “En palpation thyroïdienne, je suis une quiche, maintenant que j’ai un appareil d’imagerie ça m’aide dans pas mal de situations”, assure-t-il. Un jour, un patient se présente dans son cabinet avec une hyperthyroïdie. Il décide de faire une échographie. A l’image, il distingue la présence de “nodules, de liquides, d’artéfacts…” “J’ai fait mon boulot de médecin généraliste, j’ai dépisté un truc qui n’est pas pour moi, j’envoie le patient au centre de référence des nodules thyroïdiens, explique le généraliste. Avec uniquement la palpation je n’aurais pas pu faire ce diagnostic.”

 

Une cotation boudée

Sur le marché, les prix de ces appareils peuvent aller de 900 euros pour les outils les plus facilement transportables à plus de 300 000 euros. Alors pour voir leur acte technique récompensé et pour leur permettre d’amortir le coût de leur nouvel outil, les médecins ont la possibilité de coter l’acte technique d’échographie. Mais l’Assurance maladie ne permet pas de coter à la fois la consultation et l’acte technique d’échographie (ADE), comme le déplore le Dr Cornaire, médecin généraliste sur le réseau social X : “Quand j’explique aux patients que mon stationnaire d’écho m’a coûté 25 000 euros et que l’Assurance maladie m’empêche de coter l’échographie et la consultation, et que je suis obligé de les faire revenir pour facturer… 37,60 euros sur une échographie des parties molles… Ils hallucinent… Il est important de faire à la Sécurité sociale la publicité qu’elle mérite.”

 

 

Si les médecins qui témoignent lors du congrès d’échoclinique semblent convaincus de la nécessité d’utiliser cet appareil d’imagerie, ils sont, en effet, moins enclins à coter cet acte. Le Dr Talbot reconnaît qu’il ne “cote presque jamais l’échographie”, mais précise que c’est un “choix personnel”. “La cotation nécessite un cadre très strict, il faut respecter le référentiel de l’échographie. Il faut garder les photos, il faut rédiger un compte rendu dans les normes. Ça prend du temps et finalement je ne vois pas l’intérêt par rapport au temps passé. Je préfère mettre trois lignes dans mon observation sans coter.”

 

Absence de recommandations de la HAS

D’après le code de la Santé publique, tous les médecins généralistes sont habilités à réaliser des échographies. A l’exception des images obstétricales et fœtales, qui elles “ne peuvent être réalisées que par des médecins et des sages-femmes disposant de compétences reconnues par un diplôme en attestant ou un titre de formation équivalent les autorisant à pratiquer ces actes”.

 

 

Pour effectuer une échographie, les médecins sont en revanche soumis à une obligation de moyens et donc de formation. Ils doivent “avoir acquis suffisamment de connaissances et une compétence indubitable dans le maniement de cet examen”, indiquent les médecins du congrès. De nombreuses formations pour les aider à maîtriser l’échographe fleurissent en France. Certaines – que dénonce le Dr Jean-Philippe Masson, président de la Fédération nationale des médecins radiolgoues (FNMR) [voir interview] – se déroulent sur un week-end et permettent aux généralistes de repartir avec un appareil. Une seule est reconnue par l’Ordre des médecins. Il s’agit du DIU d’échographie.

Si cette pratique semble de plus en plus entrer dans les cabinets des médecins libéraux, il faut tout de même rappeler que la Haute Autorité de santé (HAS) ne la recommande pas. Dans un document datant du 27 juillet 2022, l’instance indique que “l’analyse préliminaire de la littérature disponible et la recherche d’essai clinique dans la base de données ClinicalTrials révèlent un manque de données sur l’utilisation de l’échographie clinique ciblée (ECC) par les médecins généralistes”. C’est pourquoi la HAS juge l’évaluation de cet acte “prématurée”. Elle demande au Collège de médecine générale (CMG) de “préciser les situations clinique pour lesquelles le médecin généraliste estime que l’utilisation de l’ECC est pertinente et apporte une valeur ajoutée à l’examen clinique” et de “décrire les conditions de réalisation (et notamment de formation) de l’ECC en médecine générale pour l’ensemble des situations cliniques identifiées”.

Pour l’un des médecins membre du groupe de travail du CMG, c’est un travail colossal. “Dans cent ans peut-être qu’on y arrivera”, ironise-t-il. Le médecin confie également qu’à l’étranger, l’utilisation de l’échographe par les praticiens qu’ils soient radiologues ou cliniciens est bien plus courante. “Mais en France on a un blocage et c’est très dur de le lever”, reconnaît-il.

 

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Mathilde Gendron

Sur le même thème :
Cancers : alerte sur l’augmentation des délais d’accès aux soins
Une nouvelle sonde “qui tient dans la poche” pour “rendre l’imagerie médicale accessible à tous les soignants”
L’échographie, une technique en développement en pédiatrie
Démographie médicale : le pire est à venir