C’était l’une des promesses de campagne du président de la République : offrir des bilans de prévention à tous les Français à quatre âges clés de la vie afin de “promouvoir des comportements favorables à la santé”. Le dispositif – accessible auprès des médecins, des sages-femmes, des pharmaciens et des infirmières – devrait être officiellement lancé, dans les prochaines semaines, par la nouvelle ministre de la Santé.

 

À la Direction générale de la santé (DGS), on est en train de mettre la dernière main à l’ouvrage et il ne manque plus que la signature de la nouvelle ministre en bas du texte de l’arrêté et le lancement d’une campagne de communication vers le public pour que le dispositif “Mon bilan prévention”, annoncé par Emmanuel Macron en 2022, puisse officiellement être lancé. Ce sont ainsi 15 millions de Français qui pourraient prétendre, dans les prochaines semaines, à ce dispositif, pris en charge à 100 % en tiers payant, auprès, au choix, d’un médecin généraliste, d’un pharmacien, d’une infirmière ou d’une sage-femme en ville. Et quel que soit le professionnel consulté, la rémunération est la même : 30 euros en métropole et 31,50 euros dans les départements et régions d’outre-mer (Drom), précise le site ameli.fr. De plus, le bilan “ne pourra faire l’objet d’aucun dépassement” et ne sera “facturé qu’une seule fois par personne et par tranche d’âge avec le code acte “RDV””.

Cette cotation du bilan est cumulable, “si nécessaire”, précise la DGS, avec celle d’une consultation classique pour un médecin généraliste ou celle d’un autre acte s’il est réalisé dans la foulée, par exemple une vaccination ou un frottis. Quatre tranches d’âge clés ont été définies : 18-25 ans, 45-50 ans, 60-65 ans et 70-75 ans. Contrairement aux examens de prévention des centres de la Sécu pour les personnes les plus éloignées des soins ou encore aux check-up proposés dans certaines cliniques, l’objectif n’est pas tant de détecter d’éventuelles pathologies que de prévenir leur apparition.

 

Des objectifs “concrets, réalistes et réalisables”

En pratique, les assurés concernés pourront prendre un rendez-vous, d’une durée de 30 à 45 minutes, auprès du professionnel de santé de leur choix. S’ils le souhaitent, ils pourront remplir au préalable un autoquestionnaire de santé adapté à chaque tranche d’âge, accessible sur le site du ministère ou sur “Mon espace santé”. “L’autoquestionnaire permet de préparer le bilan et d’indiquer de quoi on veut parler, mais il n’est pas obligatoire, précise Gaëlle Jamet, cheffe du projet à la DGS. Les professionnels de santé disposeront, de leur côté, d’une fiche d’aide au repérage des risques.” Par exemple, dans la tranche d’âge 45-50 ans, les femmes pourront dire si elles souhaitent – ou non – aborder la question de la ménopause. Au cours de l’entretien, tous les sujets identifiés pourront être explorés : de la santé mentale à la santé sexuelle, des examens de dépistage aux vaccinations, des problèmes d’addiction aux violences conjugales… Et les professionnels s’appuieront sur des outils comme l’intervention brève ou l’entretien motivationnel.

À l’issue de cet entretien, un plan personnalisé de prévention (PPP) sera mis en place. “C’est un petit plan d’actions concrètes que le professionnel et la personne rédigent ensemble pour que les objectifs soient concrets, réalistes et réalisables”, poursuit Gaëlle Jamet. Et le document envoyé systématiquement – avec l’accord du patient – au médecin traitant est consigné dans “Mon espace santé”. “C’est une bonne base, estime le Pr Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale. Il y a un vrai effort pour ouvrir le champ à un grand nombre d’axes de prévention et pas juste deux ou trois thèmes à la mode. Nous faisons tous de la prévention au quotidien, mais cela reste intéressant d’avoir un temps et une structuration dédiés mais aussi d’introduire de l’entretien motivationnel.”

 

Un “travail au long cours”

Du côté des syndicats, la faiblesse de la rémunération apparaît déjà comme un gros frein, tout comme le manque de temps. “Ce n’est ni fait ni à faire, critique ainsi le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML. Si le bilan est réalisé par le médecin, cela va lui prendre davantage de temps qu’aux autres professionnels parce qu’il va fouiller et vouloir aller beaucoup plus loin. À 30 euros, ce n’est pas possible ! De toute façon, la prévention ne peut pas se reposer sur un seul acte.” À la FMF, la circonspection prévaut. “Nous n’avons évidemment rien contre, résume la Dre Patricia Lefébure, sa présidente. Mais nous ne sommes pas sûrs que ce soit très utile de faire trois ou quatre consultations de prévention au cours de sa vie. C’est un travail au long cours, consultation après consultation. Et ça ne sert à rien de faire le repérage d’un risque sans suivi derrière. Ce n’est pas parce que vous demandez à un patient s’il fume qu’il va s’arrêter de le faire, si on ne met rien en place pour l’aider.”

Une fois n’est pas coutume, les positions semblent plutôt alignées. “Nous sommes tout à fait favorables au développement de la prévention, qui est une des missions du généraliste, et nous avons d’ailleurs depuis longtemps porté l’idée de consultation de prévention, indique la Dre Margot Bayart, vice-présidente de MG France. Nous avons aussi travaillé ce sujet avec les infirmières dans le cadre du soutien au dispositif Asalée. Mais aujourd’hui, nous sommes quand même un peu interpellés par le fait que ce bilan de prévention puisse être réalisé par différents professionnels et nous nous demandons comment les choses vont s’articuler dans le cadre du parcours de soins…” Les retours des bilans de santé réalisés via les CPAM ou la Mutualité sociale agricole (MSA) incitent la généraliste à la prudence. “Souvent, ce sont des patients déjà bien suivis qui y vont. C’est très bien, mais généralement ce qui est proposé ensuite, c’est ce que je fais déjà”, ironise-t-elle, craignant avec ce nouveau dispositif des “redondances” et surtout un “risque de fragmentation de la prise en charge”.

À la CSMF, on parle en connaissance de cause, car le syndicat a signé en 2019 un partenariat avec l’institution de prévoyance Klesia pour la mise en place de consultations de prévention spécifiques à certains métiers, à commencer par les transports. “Une consultation complexe et longue qui justifie pleinement son niveau de rémunération fixé à 125 euros” payée par la branche professionnelle, souligne la confédération. Si le sujet ne relève pas, en principe, des discussions conventionnelles en cours avec l’Assurance maladie – puisque le tarif des bilans de prévention a été fixé par arrêté –, il a néanmoins été abordé. “Agnès Firmin Le Bodo, la précédente ministre déléguée, nous avait confirmé que les consultations faites par un médecin seraient rémunérées à hauteur de 30 euros en plus d’une consultation, souligne le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. Ça n’avait pas été très clair au départ, sans doute parce que les pouvoirs publics n’étaient pas à l’aise d’afficher une différence de tarif par rapport aux autres professions. C’est pourquoi notre proposition est que ces bilans se fassent dans le cadre des consultations à haute valeur ajoutée qui sont aujourd’hui en négociation.”

Les pharmaciens, dont les missions sont en constante extension, sont également concernés par les bilans de prévention. Cependant, ils ne semblent pas les plus pressés. “Ce n’est pas en tête de nos priorités, reconnaît Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Dans notre feuille de route, nous avons mis en premier le déploiement de la vaccination, puis les prises en charge des angines et des cystites.” A contrario, le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) se “réjouit de la mise en place de ce dispositif et encourage fortement la profession infirmière à y participer, même s’il peut paraître imparfait ou insuffisant”. Le Collège de la médecine générale n’est, pour sa part, pas opposé à ce que d’autres professions réalisent ces bilans, mais à condition “qu’il y ait une dimension pluriprofessionnelle derrière et que cela permette à tout le monde de s’organiser autour d’un discours commun”, met en garde Paul Frappé. La phase pilote lancée dans les Hauts-de-France depuis cet automne a déjà montré l’intérêt de s’appuyer sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour déployer le dispositif.

 

 

“Ce n’est pas un check-up” : entretien avec Christine Jacob-Schuhmacher, sous-directrice en charge de la santé des populations et de la prévention des maladies chroniques à la DGS

Après une phase pilote lancée dans les Hauts-de-France en octobre dernier, les bilans de prévention devaient être lancés dès janvier dernier. Quand aura lieu le lancement ?
C’est un chantier vaste et un projet innovant ! Le lancement officiel a été un peu retardé par le changement de gouvernement, mais il aura bien lieu, début 2024, soit dans les toutes prochaines semaines. Nous avons déjà commencé la communication à destination des professionnels de santé, notamment par la mobilisation des ARS, qui ont organisé des réunions sur le terrain avec les représentants des URPS et des structures d’exercice coordonné. Les outils ont été coconstruits avec les professionnels depuis le printemps 2023, notamment les Ordres et les CNP, que ce soit pour les autoquestionnaires, les fiches thématiques et la plateforme d’e-learning développée en partenariat avec l’EHESP.

En quoi sont-ils innovants ?
Ils sont fondés sur une approche holistique de la santé, c’est beaucoup plus complet que ce que font les Britanniques par exemple, puisqu’on va parler de santé mentale, de santé environnementale, éventuellement de violences physiques et psychiques envers les femmes. L’objectif, c’est de donner des clés aux Français pour acquérir une culture de la prévention en santé. Pendant trente à quarante-cinq minutes, ils prendront le temps de discuter tranquillement avec un professionnel de santé sur leurs habitudes de vie et identifier avec lui les changements qu’ils peuvent introduire, notamment en matière d’alimentation, de sommeil ou d’activité physique.

Pourquoi l’avoir confié à quatre professions ?
Tous sont formés à la prévention au cours de leurs études. Par ailleurs, nous sommes optimistes et nous pensons que les Français vont se saisir de cette offre. C’est pourquoi nous avons souhaité que le maximum de professionnels puissent y répondre. Certains patients préféreront le faire avec leur médecin de famille, d’autres auront plus de facilité à parler avec l’infirmière libérale qui les suit à domicile. Et dans tous les cas, c’est le médecin traitant qui prendra le relais, si besoin.

Pourquoi avoir choisi cette formule plutôt qu’une consultation médicale de prévention ?
L’objectif, c’est d’instaurer une vraie culture de la prévention. On ne va pas ressortir du rendez-vous avec une ordonnance, comme souvent après une consultation. Ce n’est pas non plus un check-up, car on ne cherche pas la présence d’éventuelles maladies mais plutôt à intervenir avant leur apparition, en initiant un changement de comportement grâce à l’identification des facteurs de risque. Dans certains cas, cependant, des actes de prévention seront réalisables à cette occasion, comme une vaccination si le professionnel est habilité. Et si un besoin particulier est identifié, le patient sera aiguillé grâce à une cartographie des ressources de prévention disponible dans le bassin de vie, qui est déjà en ligne. Enfin, l’entretien permettra aussi de rappeler et d’inciter à faire les examens de dépistage des cancers en levant les freins éventuels de la personne.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Véronique Hunsinger

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