Depuis plusieurs jours, les prescriptions d’arrêts de travail sont dans le viseur des caisses primaires d’Assurance maladie, qui n’hésitent pas à dégainer des mises sous objectif de généralistes en nombre. Alors que Bercy vient d’annoncer vouloir s’attaquer au sujet afin de réaliser des économies dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale, attention de ne pas donner l’envie aux médecins traitants sur le terrain de déplaquer, prévient le Dr Luc Duquesnel, président du syndicat Les Généralistes-CSMF. « On harcèle et maltraite 6 000 médecins de famille », dénonce-t-il aujourd’hui.

 

Ces derniers jours, on observe une hausse des procédures de mise sous objectif (MSO) des médecins généralistes par les CPAM. Comment l’expliquer ?

En tout temps, tous les ans, il y avait quelques prescripteurs qui sortaient du lot et avaient des entretiens avec le médecin-conseil. Mais, ça ne faisait pas partie d’une campagne médiatique comme celle que l’on est en train de connaître en ce moment. D’ailleurs… cette campagne n’est pas orchestrée par l’Assurance maladie mais par le ministre de l’Économie et des Finances. Aujourd’hui, il y a 16 milliards d’économies à faire dont une partie sur les arrêts de travail. Nous sommes 46 000 médecins de famille en France, il y en a 6 000 qui vont être contrôlés, soit 13 %. Arrêtons-nous sur ce chiffre : il y aurait 13 % des médecins de famille qui seraient des fraudeurs ou étiquetés comme tels. Pour ces médecins, dont le métier est de plus en plus difficile, c’est un choc.

 

Le risque, c’est que cela décourage ou dégoûte des médecins traitants, qui sont déjà trop peu nombreux…

Bien sûr. Il va y avoir des déplaquages. Les généralistes essaient de répondre aux demandes d’accès aux soins et font tout leur possible pour prendre en charge de plus en plus de patients. Les médecins visés par les MSO sortent de la norme et sont pointés du doigt, on les accuse d’être des fraudeurs. Chacun savait pourtant que le nombre d’arrêts de travail allait augmenter, puisqu’il y a de moins en moins de chômeurs ! Je tiens à apporter une précision : j’ai le retour de certains départements où il y a, en effet, des médecins qui sont contrôlés, mais quand on compare leurs données à l’année 2019, il ne s’agit que de très peu d’arrêts de travail, finalement. On s’aperçoit que c’est juste une opération de communication du gouvernement et du ministère de l’Économie et des Finances où la préoccupation n’est pas la santé de la population. La priorité nationale, c’est d’éviter de voir la note de la France être dégradée par des agences de notation. Finalement, on en fait les frais et on harcèle et maltraite 6 000 médecins de famille.

 

Vous êtes au contact des généralistes de terrain : comment se traduisent ces MSO concrètement ?

Il y a deux catégories : d’abord, pour 5 000 environ, il s’agira d’un contact téléphonique et on va leur signaler qu’ils sont au-dessus de la moyenne. Ensuite, pour 1 000 d’entre eux, il va s’agir d’une volonté de mise sous objectif. Cela veut dire que le médecin s’engage à diminuer de 5 %,10 %,15 % son nombre d’arrêts de travail. En faisant cela, il reconnaît aussi qu’il en fait trop. Le nombre de médecins fraudeurs étant epsilonesque, cela signifie que ce sont les patients qui vont en souffrir car leur médecin traitant ne pourra pas leur prescrire un arrêt de travail alors que leur état de santé le justifie. Le professionnel, lui, aura une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Enfin, si le médecin ne respecte pas ses objectifs, il passera en commission des pénalités avec la possibilité pour le directeur de la CPAM de donner des sanctions financières. Je tiens à faire remarquer, pour en avoir rencontrés plusieurs ces derniers jours, que les directeurs des caisses sont très mal à l’aise. On ne peut pas dire que cela tombe au bon moment, entre les mouvements de désobéissances tarifaires, l’échec des négociations conventionnelles…

 

Qu’est-ce que cela dit de la vision des médecins généralistes et des médecins traitants par le gouvernement selon vous ?

On a d’un côté ce que répète le ministre de la Santé ou le directeur de l’Assurance maladie, à savoir que le rôle du médecin traitant doit être le chef d’orchestre des parcours de santé et qu’il ne faut pas le remettre en cause… et de l’autre, les actes du gouvernement. La politique va à l’encontre de leurs éléments de langage. Cela explique d’ailleurs les derniers chiffres révélés par l’Atlas du Conseil national de l’Ordre des médecins qui montrent que l’on est passés de 56 000 médecins traitants en 2010 à 46 000 en 2023. Ce que note aussi ce rapport, c’est que ce nombre diminue plus vite que prévu. Alors… qu’ils continuent comme cela et il y aura de moins en moins de médecins de famille !

 

De moins en moins de médecins… et moins de jeunes aussi ?

Si l’on cumule la loi Rist, l’échec des négociations conventionnelles, la proposition de loi Valletoux avec les CPTS obligatoires et le rétablissement des gardes obligatoires, les mises sous objectif… tout cela concerne beaucoup les médecins traitants et, bien sûr, la conséquence, c’est que les jeunes n’ont plus envie de s’installer. Ils vont remplacer, faire valoir leur droit au remord s’ils sont encore internes, par exemple. Tout cela, c’est la conséquence des mauvaises politiques de santé. Au-delà des éléments de langage qui veulent nous rassurer, en haut lieu, on a décidé de sacrifier le médecin de famille et le médecin traitant. À un moment, on va devenir les derniers des Mohicans.

 

Comment protéger les médecins visés par des MSO ?

Il y a deux choses. Il y a la souffrance des salariés qui augmente avec de la maltraitance au travail… il faut donc que la Cnam aille voir ces entreprises. Après, il faut que les médecins refusent systématiquement toute mise sous objectif, se fassent accompagner par un de nos représentants syndicaux et demandent systématiquement à être mis sous accord préalable. Ce n’est pas très valorisant ni agréable, certes, mais pour l’avoir pratiqué, aucun de mes arrêts n’a été remis en question par le médecin-conseil. C’est la seule façon de ne pas pénaliser les Français, de ne pas pénaliser nos patients, et de démontrer que nous ne sommes pas des fraudeurs.