Alors qu’une nouvelle proposition de loi visant notamment à contraindre tous les médecins à faire de la permanence des soins ou d’adhérer à une CPTS doit être étudiée mi-juin par les députés, attention à ne pas décourager les jeunes médecins de s’installer, alerte le Dr Luc Duquesnel, président du syndicat Les Généralistes-CSMF. « Aujourd’hui, toutes les propositions de loi qui existent sont stigmatisantes pour les généralistes », dénonce-t-il, appelant à mettre en place de vraies organisations à l’échelle territoriale pour améliorer l’accès aux soins.

 

Une proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels de santé va être étudiée par les parlementaires mi-juin. Ce texte prévoit notamment d’établir la permanence des soins obligatoire pour tous, mesure qui fait grincer les dents des médecins…

Cette permanence des soins devrait avant tout concerner les établissements de santé. En substance, ce que disent le ministre de la Santé, François Braun, et l’auteur de ce texte, Frédéric Valletoux, c’est qu’il n’y a pas de problème de permanence des soins ambulatoires (PDSA) des médecins généralistes, donc on ne comprend pas pourquoi ce texte nous concerne. Le rapport du Conseil national de l’Ordre des médecins le montre : en semaine, le territoire national est couvert à 95 %, et à 96 % les week-ends, avec environ 40 % des médecins généralistes qui y participent. Cela veut dire que les médecins généralistes répondent aux besoins de santé de la population. Pour autant, on sait que, du fait des problèmes de démographie médicale, il y a des territoires de plus en plus en tension où cela devient très difficile d’assurer la permanence des soins car la fréquence des gardes augmente. Lors de notre audition, M. Valletoux nous a également indiqué que sa proposition ne concernait pas la nuit profonde, qui relève des services des urgences.

 

Mais les services des urgences, eux, ferment de plus en plus…

C’est vrai. On nous annonce pour cet été une situation bien pire que celle de l’an dernier. Même dans les départements qui ont pourtant quatre ou cinq services des urgences, il n’y en aura qu’un seul ouvert certaines nuits. Cela signifie que tous ces patients vont se reporter après 20 heures vers la garde de PDSA et alourdir les journées de travail déjà harassantes des médecins généralistes.

 

Faut-il aller jusqu’à une obligation de la permanence des soins ?

Quel est le but puisque le besoin est rempli ? Aujourd’hui, toutes les propositions de loi qui existent sont stigmatisantes concernant les médecins généralistes. On voit pourtant sur le terrain que la permanence des soins fonctionne. N’oublions pas que le métier devient de plus en plus contraignant… alors que ces textes de loi laissent entendre que les médecins ne répondent pas aux besoins. De manière plus générale, tout est fait pour ne pas inciter à devenir médecin traitant libéral.

 

Pour Frédéric Valletoux, les « médecins libéraux ne peuvent pas toujours être dans le refus de tout ». Que vous inspirent ces propos ?

Les médecins généralistes, médecins traitants, ne sont pas dans le refus. Ce sont eux qui mettent en place les services d’accès aux soins. Quand les urgences ne sont plus accessibles, ce sont les médecins régulateurs et les médecins de terrain qui assurent… et les exemples sont nombreux. Cela explique aussi que ces médecins sont de plus en plus désespérés : ils font tout pour répondre aux demandes de soins. On demande aux généralistes libéraux, alors qu’ils sont de moins en moins nombreux, d’en faire de plus en plus et, pour les récompenser, l’Assurance maladie leur propose en fin d’année un pourboire de 1,50 € pour chaque consultation, alors que le tarif est à 25 € depuis 2017. Tout cela crée un climat délétère, décourage les jeunes de s’installer ou pousse les médecins à chercher des niches d’exercice et ne plus être médecin traitant.

 

Pour l’ex-président de la FHF, l’échelon territorial a une place essentielle dans l’accès aux soins. Il mise notamment sur les « conseils territoriaux de santé » comme « organe de gouvernance » même si ce n’est pas nouveau…

Ils ont l’avantage de regrouper les représentants des professionnels de santé d’un territoire mais aussi les représentants des usagers, l’Assurance maladie, les agences régionales de santé, mais aussi les représentants des collectivités locales, du département et les parlementaires. L’idée en soi est bonne : c’est en se mettant autour d’une table qu’on apprend à comprendre les contraintes des uns et des autres. Cela dit… comment faire pour qu’il ne s’agisse pas simplement d’une réunion sympathique tous les quatre ou cinq mois ? Il faut arriver à mettre en place de vraies organisations et non pas des usines à gaz génératrices de « réunionites aiguës »…

 

Dans ce projet de loi, il est également prévu de rendre l’adhésion aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) obligatoire… Est-ce un outil clé pour améliorer l’accès aux soins ?

Les CPTS, c’est comme les maisons de santé pluriprofessionnelles… Quand ça se met en place, il y a toujours des leaders. Ce qu’il faut surtout, c’est donner aux médecins l’envie d’en faire partie, car cela va leur apporter quelque chose à eux dans leur exercice, pour leurs patients. Là, cela devient une obligation et va donc générer des craintes car, au fil des propositions de lois, on voit la volonté du gouvernement, des parlementaires et de l’Assurance maladie de faire des CPTS des organisations coercitives. Ce qu’on a expliqué à Frédéric Valletoux, c’est que, pour beaucoup de jeunes, cela peut être un frein à l’installation.

 

C’est donc une proposition de loi contre-productive ?

Bien sûr. La principale problématique aujourd’hui, c’est le manque de médecins. Ce que l’on veut, c’est donner envie aux jeunes de s’installer et à ceux qui sont en âge de prendre leur retraite de continuer à travailler un peu… Or, avec ce type de textes, leur premier réflexe sera de faire l’inverse. Et rappelons qu’il n’y a pas d’endroit en France où il y a trop de médecins traitants.