À la suite de divers signalements, une enquête a été ouverte, le 10 mai, pour faire la lumière sur la gestion financière de la Coordination des oeuvres sociales et médicales (Cosem). Pour ce médecin généraliste qui exerce dans un centre parisien, l’association, qui compte une quinzaine de centres de santé sur le territoire, est “prise en otage par sa direction générale”. Témoignage.
Article initialement publié sur le site Concourspluripro.fr
“Une chose est sûre : il y a plusieurs affaires dans cette affaire. D’abord celle des fraudes et des sommes engagées. Ensuite, la gestion financière même des centres de santé. Mais ce qui me révolte davantage, c’est la lente destruction de l’esprit Cosem, tel que je l’ai connu à mes débuts.
J’ai rejoint le groupe en 2017, comme médecin généraliste après avoir été remplaçant en libéral. À l’époque, il y avait six centres de santé parisiens et juste après le Covid, on est passé à presque une vingtaine de centres sur l’ensemble du territoire, comme annoncé par le directeur général. Le projet d’ouverture d’un centre doit être étudié par le comité médical d’établissement en présence de l’ensemble du comité de direction. Et il est clair que depuis deux ans, cette stratégie a été complètement annihilée par la direction de l’association : aujourd’hui, le directeur général est seul décisionnaire de tous les projets d’ouverture de centre… sans même étudier la faisabilité du projet. C’est un électron libre : il achète les immeubles qu’il souhaite pour les transformer en centres de santé, sans aucune étude sanitaire ou enquête sur les besoins populationnels au préalable.
Donc depuis deux ans, on a vu arriver plusieurs centres de façon anarchique sur le plan de la stratégie sanitaire. Je ne parle pas d’immobilier mais seulement de ce qui me concerne : les besoins populationnels, qui n’ont jamais été étudiés et évalués. Donc on se retrouve avec des centres flambant neufs mais vides… vides de médecins et de patients ! Et derrière, la direction générale exerce une pression extraordinaire sur ses collaborateurs, surtout ceux du recrutement, pour trouver des médecins et des dentistes afin de remplir ces centres… parce qu’elle a besoin que ces centres puissent fonctionner et obtenir un numéro Finess afin qu’ils soient en mesure de lui reverser des loyers, en tant que propriétaire de l’immeuble. Il y a donc une stratégie immobilière cachée !
C’est la floraison de ces centres qui m’a mis la puce à l’oreille : je ne comprenais pas comment et pourquoi il y avait autant de centres en si peu de temps. Et il faut dire que la direction utilise, de mon point de vue, des techniques douteuses : quand le directeur général se retrouve, avant l’ouverture du centre, devant des élus et des représentants de l’ARS, il leur promet à l’ouverture 50 médecins et 30 dentistes… alors qu’il n’en est rien. En réalité, il ne les a pas. Par exemple, le centre de santé de Saint-Etienne, qui a ouvert il y a un an, et pour lequel il a promis énormément de médecins, fonctionne à même pas 15 % de ses capacités. Plus flagrant : le centre de Saint-Quentin-en-Yvelines, qui est vide aujourd’hui. Il n’a même pas ouvert…
Il y a deux ans, nous avons répondu à un appel d’offres de l’AP-HP qui cherchait un acteur privé pour l’ouverture d’un centre de santé au sein même de l’hôpital afin de désengorger les urgences. Ce centre fonctionne mais la direction n’y met aucun effort matériel ni humain. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce n’est pas la propriété du directeur général car il doit payer une redevance à l’AP-HP. Donc il a rompu le partenariat alors que le centre soulageait les équipes des urgences et répondait à une vraie demande car on y a signé des centaines de déclarations de médecin traitant… Et lui décide, sans aucune concertation, d’envoyer une lettre de résiliation de partenariat à l’AP-HP. Lettre qu’on essaie, nous, de rattraper actuellement.
J’ai vraiment le sentiment que c’est un dirigeant qui œuvre uniquement pour son enrichissement personnel à travers une association de loi 1901 qui, rappelons-le, est à but non lucratif… Une association qu’il a utilisée en créant en parallèle des sociétés satellites. Je peux vous en donner plein : il a externalisé une société de prothèses dentaires aujourd’hui détenue par son fils qui en est le directeur et qui sous-traite ces prothèses au Cosem sans aucune mise en concurrence… Il y a aussi Eden, la société de gestion immobilière dont j’ai appris l’existence il y a seulement un mois. Il y a deux ans, le Cosem était propriétaire de ses murs et aujourd’hui on assiste à une vente qui est, de mon point de vue, frauduleuse car le directeur général est aussi propriétaire de ces immeubles. La modalité de cette vente a d’ailleurs été signalée au Procureur.
Aujourd’hui, le Cosem est pris en otage par sa direction générale. Parce qu’on est passé d’une association propriétaire à une association locataire qui finance tous les travaux en plus. Ce qui met en danger la pérennité de notre association. C’est dommage parce qu’au départ, quand je suis arrivé au Cosem, tout se passait tellement bien. Les centres étaient bien gérés quand on avait les six structures parisiennes. Mais le Covid nous a tous mis une claque… On a dû fermer trois centres, parce que nos praticiens âgés étaient plus à risque. On a donc mis en place un système de téléconsultation pour continuer à répondre aux besoins de nos patients, on a créé des centres de référence de prise en charge du Covid… Mais quand on a rouvert nos centres parisiens, la stratégie avait changé. On s’est mis à acheter en province mais surtout dans des endroits peu stratégiques en termes d’offre de soins ou de réponse à apporter aux besoins de la population, mais très stratégique pour leur valeur immobilière.
Nous avons aussi un vrai problème concernant les contrats de travail des médecins car ils sont contestés par le conseil de l’Ordre… Depuis presque un an, une bonne part des praticiens intégrés reçoivent un courrier du CDOM [voir ci-dessous] qui s’oppose à leur exercice au Cosem. Raison citée : le mode de rémunération des médecins. Parce que l’Ordre veut qu’un médecin soit payé en salaire fixe et plein alors que le Cosem paie avec un pourcentage de rétrocession du chiffre d’affaires. Par exemple, quand un médecin voit 20 patients par jour, il va générer un chiffre d’affaires sur lequel sera calculé son salaire : soit 40 % brut. Ce taux de rétrocession pousse à la surfacturation et on s’est retrouvé avec des médecins qui dérivent : 80 patients par jour à un rythme effréné de consultation pour s’assurer un salaire à peu près correct. Et sur 10 médecins qui vont recevoir ce genre de courrier, 3 ou 4 vont nous appeler, et les autres vont tout simplement démissionner sans même se poser de question… Donc on se retrouve avec des centres remplis de patients et vides de médecins, ce qui pose un grand problème d’offre et de continuité des soins.
Aujourd’hui, l’ambiance est très délétère. Le Cosem est financièrement très atteint mais ça ne veut pas dire que c’est la fin. Les médecins continuent à travailler et de générer du chiffre d’affaires mais ça ne suffit pas. Il faut clairement que cette famille, qui s’est accaparée les postes clés de la direction, parte et que l’immobilier revienne au Cosem. Ils ne peuvent pas rester. Personnellement, je ne crois pas en leur capacité de changer et de devenir des bienfaiteurs de la santé publique.
Aujourd’hui je reste parce que je suis attaché à l’esprit associatif du Cosem, j’ai des collègues de travail extraordinaires, un cadre de travail agréable… Et puis, nos structures accueillent 3 millions de patients par an : je ne peux pas les abandonner. Mais il faut que ça change.”
Le Cnom s’oppose au mode de rémunération
Dans un courrier du conseil départemental de l’Ordre des médecins de Paris en date de janvier 2023, que Concours pluripro a pu consulter, ce dernier “s’oppose” à la déclaration préalable d’exercice du médecin. “Le Conseil a constaté, concernant votre rémunération, la présence de dispositions pouvant s’assimiler à une clause de rendement au sein de votre contrat, la rémunération étant essentiellement dépendante du chiffre d’affaires générale. Une telle clause est susceptible de porter atteinte à votre indépendance professionnelle et à la qualité des soins envisagés.” Rappelant qu’une rémunération “principalement basée sur une part variable, d’une part fixe décente, est contraire à la déontologie médicale”, le CDOM rappelle que le “médecin salarié doit être rémunéré par un salaire décent, plein et entier, correspondant à ses compétences, à ses misions et à ses responsabilités”.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Karen Ramsay
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