Fermetures de services, de lits… la mise en application de la régulation de l’intérim médical au début du mois a durement impacté un système hospitalier déjà fragile, notamment les services d’urgence. Alors que le nombre de médecins « s’effondre » en ambulatoire dans des territoires de plus en plus nombreux, le Dr Luc Duquesnel, président du syndicat Les Généralistes-CSMF, alerte : la crise des services d’urgence que l’on a connue l’été dernier « n’était pas qu’une crise estivale, mais une crise systémique ». « Il faut apprendre à bien utiliser notre système de santé : recours au médecin traitant, au service d’accès aux soins, au 116 117 ou au 15, aux services d’urgence », plaide-t-il, alors que les conséquences de la loi Rist se font déjà sentir dans les territoires.

 

Emmanuel Macron a promis, lors d’une allocution présidentielle, que les services d’urgence seraient tous désengorgés d’ici la fin de l’année 2024. Est-ce réalisable ?

Dr Luc Duquesnel : Comme d’habitude, il s’agit d’annonces faites pour rassurer la population, donner le sentiment que l’État fait quelque chose. Mais le président n’a pas expliqué comment il souhaitait faire… Des rallonges budgétaires sont données à l’hôpital, mais rien pour la médecine de ville. Le sujet de la crise des urgences existe depuis deux ans, c’était même l’une des priorités de l’été 2022. Le constat dramatique que l’on fait, c’est qu’aussi bien à l’hôpital qu’en ambulatoire, rien n’a été fait depuis et la situation s’aggrave énormément. Les ressources humaines diminuent. Les services d’urgence ferment. L’été dernier, François Braun a déclaré qu’il n’y avait finalement pas eu de crise grâce aux médecins libéraux et aux Français qui ne sont pas allés dans les services d’urgence ; mais ils ont embolisé les centres 15 en les mettant en grande difficulté. Attention ! il ne s’agissait pas que d’une crise estivale. Les problèmes identifiés à l’époque persistent et s’aggravent. Les services qui étaient fermés le sont toujours à un rythme plus fréquent, comme un jour sur deux ou sur trois, par exemple.

 

La crise estivale de l’année dernière est passée grâce à la forte mobilisation des libéraux. Mais, depuis, les médecins ont massivement manifesté pour protester contre leurs conditions d’exercice… Que faudrait-il mettre en place pour les soulager, alors que le printemps et l’été s’annoncent à nouveau compliqués ?

Ce qui a changé par rapport à l’année dernière, c’est le nombre de médecins généralistes qui diminue et s’effondre dans certains territoires car le métier de médecin traitant devient synonyme de trop de maltraitances, et donc de souffrances, de la part de ce gouvernement. Or ce sont eux qui assurent la permanence des soins… À une époque, j’avais 17 gardes par an… là, je suis passé à 37 et avec plus de travail dans la journée. La permanence des soins, le soir et les week-ends, va s’arrêter sur des territoires où elle fonctionnait bien depuis vingt ans. À un moment, ce n’est plus possible. Que faudrait-il ? Malheureusement, il n’y a pas de bonne recette. On sait que le service d’accès aux soins (SAS) peut aider à prendre en charge certaines demandes de soins, en s’adaptant aux territoires. Il faut aussi une régulation médicale et procéder à des adaptations locales.

 

Quelles seraient ces adaptations ?

Aujourd’hui, au lieu de travailler sur la réponse à toutes les demandes de soins de la population, il faut mettre en place des organisations qui répondent aux besoins de santé de cette population. Dans le discours du président ou même du ministre de la Santé, on entend « organisez-vous pour répondre aux demandes de soins ». Ce n’est pas ce qu’il faut faire car cela revient à s’inscrire dans un consumérisme médical coûteux et synonyme de moins bonne qualité des prises en charge… Il faut compter sur les médecins, bien sûr, mais les usagers aussi ont un rôle à jouer. On voit depuis l’été dernier le nombre d’appels dans les SAS ou les centres 15 qui explose. À un moment, il faut apprendre à bien utiliser le système de santé, pour ne pas se précipiter dans un service d’urgence, par exemple, ou savoir quand on doit consulter son médecin généraliste. Il y a trois acteurs qui ont un rôle majeur à jouer : l’hôpital, la ville et les usagers.

 

Plusieurs dizaines de services ont déjà fermé depuis l’application de la loi Rist au début du mois et la régulation de l’intérim médical. Les médecins généralistes le ressentent-ils déjà sur le terrain ?

La problématique de l’hôpital retombe obligatoirement sur la médecine ambulatoire et les généralistes. Le fait que les intérimaires sont en grève ne fait qu’aggraver la crise. Les conséquences sont visibles et très claires pour nos patients : les services d’urgence qui fermaient ponctuellement sont fermés plus souvent et puis, surtout, les lits ferment dans d’autres services comme ceux des soins de suite et de réadaptation (SSR) et des services de médecine. La problématique des urgences, c’est aussi celle des lits fermés dans les autres services car on manque de médecins, ce qui amène à ne pas hospitaliser des patients qui le nécessitent et que nous réadressons aux urgences dans les jours qui suivent.

 

Quels outils, leviers, pourraient permettre de passer cette nouvelle crise des urgences qui se profile ?

Il faudrait commencer par donner envie aux internes de devenir médecin traitant et ensuite leur donner les moyens de s’organiser pour répondre aux besoins de santé de la population de leur territoire. Or un objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) inférieur à l’inflation, une convention médicale inique, les propositions de loi Rist, Garot et consorts, aboutissent au même effet : rendre notre spécialité moins attractive car synonyme de multiples contraintes et de maltraitances.

Le SAS peut être une des solutions. Il faut aussi voir comment travailler avec les infirmières et les infirmiers et autres professionnels de santé, dans le cadre d’un exercice coordonné pluriprofessionnel pour la prise en charge des demandes de soins non programmés après régulation médicale au sein de maisons de santé pluriprofessionnelles, de maisons médicales, en s’appuyant sur les communautés territoriales professionnelles de santé (CPTS), par exemple. Des unités de soins non programmés mises en place au sein de ces structures sont de vrais succès. Le nombre de médecins étant de moins en moins important, il faut utiliser à bon escient l’expertise médicale.