Alors que la convention citoyenne s’est prononcée à 76% pour la légalisation du suicide assisté et/ou de l’euthanasie, Emmanuel Macron a promis d’ici “la fin de l’été” un projet de loi posant les jalons d’un “modèle français de la fin de vie”… et ce malgré les fortes réticences de nombreux soignants à ce sujet. Le droit à l’aide active à mourir (AAM) peut-il engendrer une nouvelle crise des vocations ? Faut-il envisager un acte non médical ? Comment développer la “culture palliative” chez les soignants ? Des questions que nous avons posées à Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée aux Professions de santé, en charge de ce dossier.

 

Egora.fr : Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il faut avant tout renforcer l’existant et, pour reprendre les mots du Président de la République, “assurer l’universalité de l’accès aux soins palliatifs”. Mais comment faire, concrètement, quand partout on manque de soignants, que l’on lutte pour maintenir des lits ou des services ouverts ?

Agnès Firmin Le Bodo : Vous avez d’abord remarqué que c’est un sujet qui fait l’unanimité, on peut s’en féliciter. Dans son discours à l’Élysée le 3 avril, le Président de la République a très clairement dit que c’était la priorité. Pour cela, nous sommes partis sur une stratégie décennale. Pourquoi être passés d’un plan quinquennal à une stratégie décennale ? Parce que cinq ans, ça passe vite, on n’a pas le temps de se projeter.

Or, l’un des enjeux majeurs est de travailler sur la formation de tous les professionnels de santé, qui est aujourd’hui orientée sur le curatif. Dans la formation initiale des médecins, il n’y a pas de module “soins palliatifs”. Il faut faire entrer la prévention et le palliatif dans la pratique des soignants. Plus on prévient, plus tard on entrera dans le curatif, et plus on anticipe le palliatif, mieux c’est.

L’objet des travaux est de faire en sorte que la culture palliative, de l’accompagnement de la fin de vie soit intégrée dans les services. Les unités de soins palliatifs sont nécessaires. Elles devront considérer les cas les plus complexes.

 

Relevant cette faible diffusion de la culture palliative dans le corps médical, la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti recommande la création d’un DES de médecine palliative…

Je ne sais pas s’il faudra créer un DES, je n’ai pas d’idée arrêtée. Tout cela est à construire. C’est l’objet des travaux que je vais bientôt lancer pour sur la stratégie décennale « soins et accompagnement de la fin de vie ». Les six mois de travaux qui nous restent [l’ancien plan quinquennal se termine au 1er janvier 2024, NDLR] nous permettront de travailler ces sujets avec tous les acteurs : le ministère de l’Enseignement supérieur, les doyens, les professionnels notamment. L’enjeu, c’est aussi de former les infirmières, les aides-soignantes, parce qu’il s’agit aussi d’avoir des professionnels formés dans les Ehpad afin d’accompagner les résidents, et de développer des unités mobiles qui seraient référentes ou encore l’hospitalisation à domicile.

 

La Convention citoyenne, elle, plaide pour une IPA soins palliatifs. Est-ce une option ?

Est-ce qu’il faut former un maximum d’infirmières dans les Ehpad aux soins palliatifs ? La réponse est oui. Est-ce qu’il faut aller jusqu’à une IPA soins palliatifs ou une spécialisation infirmière ? Pourquoi pas. Mais il ne faudrait pas se contenter de ça, si on veut intégrer au maximum la culture palliative, développer l’anticipation. L’idée est bien de former tous les professionnels.

 

Comment peut-on développer les soins palliatifs à domicile et répondre au souhait de certains Français de mourir à leur domicile ? La mise à disposition du midazolam en ville ne suffit-elle pas ?

Tous les travaux qui ont été menés montrent que la loi Claeys-Leonetti ne répond pas à toutes les situations. La sédation profonde et continue jusqu’au décès correspond à un pronostic vital engagé à court terme.

Il faut d’abord informer les professionnels de santé et les médecins que le midazolam est maintenant disponible en ville. Une fois l’étape d’information faite, il sera peut-être nécessaire pour les médecins d’avoir une formation spécifique et aussi de s’assurer qu’un accompagnement soit mis en place pour les personnes mais aussi leurs proches.

 

« On doit poser des limites mais nous devons répondre à ce à quoi la loi Claeys-Leonetti ne répond pas »

 

La convention citoyenne a souligné la nécessité de mieux valoriser le temps des médecins consacré aux questions autour de la fin de vie, la mission parlementaire recommande de développer des “discussions anticipées”. Peut-on par exemple envisager une consultation dédiée aux directives anticipées pour les médecins libéraux ?

Je pense qu’il faudrait arriver à deux types de directives anticipées : celles rédigées lorsque l’on est en bonne santé et celles qui se décident au moment où on annonce une maladie grave. Ce que j’appelle les directives “accompagnées”. Est-ce que le médecin traitant doit s’en charger ? Je pense que oui. Est-ce qu’un autre professionnel formé peut accompagner le malade? Pourquoi pas. Je n’ai pas d’idée complètement arrêtée sur le sujet. Mais nous avons un devoir d’information sur la nécessité de penser à rédiger ces directives. Faut-il engager cette procédure au moment précis de l’annonce de la maladie ? Je ne crois pas, ce serait ajouter de la violence à une annonce déjà délicate à intégrer par le patient comme par ses proches. En revanche, on peut imaginer que peu après l’annonce un soutien soit organisé pour favoriser et accompagner la rédaction de ce document, soutenir et rassurer la personne qui a besoin d’indiquer ses choix.

On voit bien que si la loi Claeys-Leonetti dit que les directives anticipées doivent être développées, on a un petit échec collectif sur ce sujet. Seulement 18% des plus de 50 ans ont rédigé leurs directives anticipées. Il y a encore un vrai enjeu d’information des professionnels et de nos concitoyens sur ce que sont les directives anticipées, l’intérêt de les rédiger. Maintenant nous avons Mon Espace en Santé dans lequel on devrait pouvoir déposer ces directives. Il y a aussi un enjeu sur la personne de confiance, qu’on oublie facilement dans nos échanges. Car le sondage réalisé par BVA pour le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie montre à quel point nous, les Français, sommes réfractaires à tous ces papiers.

 

Dans son discours du 3 avril, Emmanuel Macron a annoncé d’ici la fin de l’été un projet de loi portant les jalons d’un “modèle français de la fin de vie”. Ce modèle s’oriente-t-il vers le suicide assisté, l’euthanasie ou les deux ?

Le président de la République a confié au Gouvernement le soin de travailler sur ce projet de loi. C’est ce que nous allons faire. Mais il nous a demandé de le co-construire avec les parlementaires et avec les soignants afin de trouver notre modèle avec des conditions d’accès que le Gouvernement définira. Il faut trouver l’équilibre. Je pense que la voie de passage existe comme demandé par le Président, tout en écoutant les professionnels de santé quels qu’ils soient.

 

 

Qu’avez-vous appris des nombreux déplacements à l’étranger que vous avez effectués ? Y a-t-il un ou des modèles à suivre, ou au contraire à ne pas suivre ?

Je le dis, et je sais que ça choque certains, je pense qu’il n’y a pas de modèle qui soit applicable in extenso en France. Pour des tas de raisons. D’abord parce que nous n’avons pas le même système politique. Quand on regarde l’Espagne ou la Suisse, les fonctionnements politiques sont assez différents. En France, c’est bien l’Etat qui prend en charge et non les régions, comme c’est le cas en Espagne où elles définissent les modalités d’application de l’aide active à mourir en déclinaison de la loi organique votée en 2021 . Nous n’avons pas, non plus, la même antériorité des soins palliatifs. La Suisse a développé les soins palliatifs relativement récemment, tandis que le suicide assisté est dépénalisé depuis 1937. L’Angleterre a une forte antériorité des soins palliatifs mais n’arrive pas à faire évoluer la loi vers une aide active à mourir, malgré douze tentatives. Nous n’avons pas non plus le même système de protection sociale ni la même organisation des soins. En Suisse, le modèle associatif est sans doute intéressant mais je ne suis pas sûre qu’on puisse faire tout à fait la même chose en France parce qu’on n’a pas la même culture d’accompagnement. En Suisse, le suicide assisté est depuis peu autorisé à l’hôpital avec un modèle associatif. C’est assez confondant, notre système est différent.

Dans chaque pays, j’ai trouvé quelque chose d’intéressant qui nous permettra de développer ce modèle à la française. Je le redis pour ceux qui pensent déjà qu’on va faire une loi mi-figue mi-raisin : je pense qu’on doit poser des limites mais nous devons répondre à ce à quoi la loi Claeys Leonetti ne répond pas. La voie de passage existe. J’ai pu interpeller les responsables dans les pays dans lesquels je me suis rendue. En Belgique, on a aussi discuté avec des soignants qui étaient contre et qui nous ont mis en garde contre un éventuel glissement de la loi. Je suis intimement convaincue que d’être allée discuter avec les acteurs dans ces six pays, voir les personnes, n’est pas du tout la même chose que d’écouter ces mêmes personnes dans mon bureau.

Ne comptez pas sur moi tout de suite pour vous dire quel modèle sera choisi parce que l’idée est de le co-construire.

Il y a des colorations de l’aide active à mourir qui vont de l’assistance au suicide jusqu’à l’euthanasie. Les conventionnels ont tenté de traiter ce spectre très large, avec 19 modèles étudiés.

 

François Braun s’est montré très prudent sur l’aide active à mourir, indiquant que le débat était encore “ouvert”, qu’il devait encore “réfléchir” sur la “solution extrême” qu’est l’euthanasie. Quelle est votre position ? A-t-elle évolué au cours de ces derniers mois ?

Ma position est connue puisqu’en avril 2021 j’ai voté l’article 1 de la proposition de loi portée par Olivier Falorni. Au mois de septembre [de cette année], le président de la République m’a confié la mission de travailler sur ce sujet. Quand on est engagé en politique, on doit faire fi de notre passé, de notre histoire. C’est ce que j’ai fait pendant ces huit mois de travaux.

Dans son discours du 3 avril, le Président a dit que sa position avait évolué, évolue et évoluera. Je crois que c’est humain et normal sur un tel sujet. Je pense que la loi doit évoluer, mais je ne sais pas à titre personnel si jamais j’étais confrontée à cette situation ce que je ferais… Je ne crois pas qu’on puisse avoir de certitudes là-dessus. Après les travaux que nous avons faits, je reste convaincue que nous devons avancer car il y a certaines situations auxquelles la loi Claeys-Leonetti ne répond pas. Mais avançons avec prudence. Les citoyens ont eux-mêmes mis des conditions, que j’ai trouvées très sages.

 

« Certains pensent que cet acte n’est pas un soin. D’autres pensent au contraire qu’accompagner le patient, c’est aussi l’accompagner jusqu’à la mort »

 

La convention citoyenne se prononce pour l’AAM en la justifiant notamment par la nécessité de mettre fin aux situations d'”hypocrisie” actuelles : d’une part les malades qui partent mourir à l’étranger, d’autre part les euthanasies illégales. Quelle est la réalité de cette pratique ?

On ne peut pas précisément quantifier ce qui est illégal… Mais cette question fait partie du débat, comme c’était le cas pour les IVG ou pour les PMA “sauvages”, lorsque nous avons décidé que la loi devait évoluer pour les femmes seules et les couples de femmes. On savait d’ailleurs que beaucoup d’entre elles allaient à l’étranger. Comme on sait qu’un certain nombre de nos concitoyens font le choix d’aller mourir à l’étranger : 52 Français sont allés finir leur vie en Belgique en 2022 – c’est déjà 52 de trop, d’autres vont en Suisse, comme Charles Biétry [atteint de la maladie de Charcot, le journaliste sportif a annoncé dans une récente interview accordée à L’Equipe qu’il avait organisé son suicide assisté en Suisse, NDLR], et d’autres vont peut-être aller en Espagne, où la législation est plus récente. Ce n’est pas une question “d’hypocrisie” mais plutôt d’égalité. Pour moi, on ne peut pas accepter que certains de nos concitoyens aillent mourir à l’étranger. Sur ce sujet difficile, la France aura donc sa loi.

Je serai en tout cas très attentive à la traçabilité de A à Z de la procédure, c’est une exigence qui doit nous mobiliser. Pour la sédation profonde et continue, nous ne savons pas aujourd’hui en quantifier les réalisations, il va donc aussi falloir définir des modalités d’évaluation.

 

Treize organisations représentant 800 000 professionnels de santé se sont prononcées en début d’année contre l’AAM, soulignant que “donner la mort n’est pas un soin”. Au sein de la convention citoyenne, les opposants à l’AAM soulèvent d’ailleurs les “risques” qui pèseraient sur le système de santé en cas de légalisation de ce droit. Comment éviter une nouvelle crise des vocations des soignants ? Garantir une clause de conscience qui permet de ne pas pratiquer l’acte peut-il suffire ? Ou doit-on envisager un acte non médical ?

Je ne sais pas si le fait de garantir une clause de conscience suffira, en tout cas pour moi elle est nécessaire. Je n’ai aucun doute là-dessus.

Vous savez, j’ai écouté beaucoup de soignants. Certains pensent que cet acte n’est pas un soin. D’autres pensent au contraire qu’accompagner le patient, c’est aussi l’accompagner jusqu’à la mort. Je ne veux pas rentrer dans ce débat. Moi, je suis intimement convaincue que notre société est prête pour une évolution de la loi. Et après les sept mois de travaux que nous avons menés, dans un climat respectueux des idées de chacun, je suis également convaincue qu’il y a une voie de passage pour rendre effectif ce nouveau droit, en travaillant avec les soignants comme nous l’avons fait.

 

 

Le Conseil national de l’Ordre des médecins réclame une clause de conscience spécifique que le praticien pourrait faire valoir à tous les stades de la procédure : demande d’AMM, évaluation des conditions, prescription, injection… Qu’en pensez-vous ?

Le projet de loi n’est pas écrit. Mais à titre personnel, , la clause de conscience pour le médecin me parait être un postulat de base.

Dans tous les pays où l’AAM a été mise en place, il y a une clause de conscience ou un système d’opting out, comme en Espagne, qui permet aux médecins, ou aux autres personnels soignants d’ailleurs, de ne pas être impliqués.

 

Quelle doit être la place du médecin traitant dans cette procédure ?

A partir du moment où l’on parle de malade, le médecin traitant aura toujours une place. Si le malade est à domicile, le médecin traitant a forcément sa place à ses côtés mais s’il est à l’hôpital, c’est un peu différent. L’enjeu, je le redis, est aussi de permettre l’accompagnement de nos concitoyens et de leurs proches du diagnostic jusqu’à la fin de vie. 43% des personnes décèdent à domicile, que ce soit chez eux ou dans un lieu considéré comme leur résidence, comme un Ehpad. On voit bien le chemin qu’il reste à faire pour arriver à répondre à la majorité des Français qui souhaitent très majoritairement terminer leurs jours chez eux.

Côté médecin traitant, ce qui ressort, c’est à la fois une volonté naturelle d’accompagner son patient le plus longtemps possible mais parfois aussi la difficulté, quand on le connaît bien, d’accompagner sa fin de vie. Nous travaillerons ces questions avec eux aussi.

 

 

Source :
www.egora.fr
Auteurs : Louise Claereboudt, Aveline Marques

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