A 29 ans, Marie*, médecin généraliste, s’apprête à s’installer en Nouvelle-Aquitaine. Une aubaine pour sa commune, située en zone sous dotée. Mais la jeune femme ne s’attendait pas à ce que son chemin vers l’installation soit semé d’autant d’embuches.

 

“C’est important de savoir que ce n’est pas forcément facile de s’installer”, avance Marie*, médecin généraliste. Alors que les jeunes médecins libéraux se font rares, Marie, elle, veut s’installer. A 29 ans, elle coche toutes les cases : elle veut exercer dans un désert médical, dans une commune qu’elle ne connaît même pas, puisqu’elle vient de Carcassonne. Signataire d’un contrat d’engagement de service public (CESP), la jeune femme a commencé par exercer en tant que remplaçante pendant un an. Mais elle veut désormais passer à l’étape supérieure.

 

 

“Je voulais m’installer en Nouvelle-Aquitaine, dans une maison de santé où j’ai remplacé une jeune médecin de juillet à octobre [2022 NDLR]”, explique Marie. Bonne nouvelle : la commune dans laquelle la généraliste souhaite s’installer est située dans une zone d’action prioritaire (ZAC). Autrement dit, un désert médical, ce qui lui permet de remplir sa part du CESP. Mais, cela ne se passe pas comme prévu. Au sein de l’équipe, deux médecins s’opposent à l’installation de la jeune femme. “La raison officielle, c’est que je préfère m’installer toute seule. La raison officieuse c’est que les deux vieux médecins avaient peur que je leur prenne leur patientèle, que je leur enlève le pain de la bouche”, avance Marie. “Je ne suis pas la première à qui ils ont fait ça.” Pour autant, la généraliste, qui attend son deuxième enfant, ne baisse pas les bras. “J’ai sollicité le maire de la commune pour qu’il m’aide à trouver un local. A part me proposer un local complètement inadapté avec des marches, il n’a rien fait”, se souvient-elle.

 

“Ça peut te correspondre, c’est du salariat”

Marie est alors contactée par une infirmière exerçant dans le centre de santé d’une commune voisine. “C’est bien, ça peut te correspondre, c’est du salariat. C’est mieux pour une jeune maman”, lui suggère cette infirmière. Lors de la visite du centre, l’IDE lui vante son fonctionnement : “Vous n’avez pas vos patients, c’est les patients du centre de santé, vous vous concentrez sur l’exercice de votre art, et tout le côté administratif vous ne vous en occupez pas.” Déchargée des tâches non médicales, la généraliste entrevoit la possibilité de se dégager du temps pour voir davantage de patients.

Ici, c’est la secrétaire qui décroche et propose les rendez-vous. “Mais nous on ne peut pas savoir pourquoi le patient prend ce rendez-vous, ni faire d’éducation thérapeutique. Donc c’est juste répondre aux besoins de la population en remplissant le planning avec des patients qui vadrouillent entre plusieurs médecins”, s’aperçoit Marie. Un mode d’exercice qui ne correspond pas à celui auquel elle aspire. “Nous les jeunes médecins, on ne veut pas faire ça, on est attaché à l’image du médecin de famille et à la qualité des soins que ça implique.”

La jeune généraliste reprend les choses en main. En faisant “fonctionner le bouche-à-oreille”, elle finit par dénicher des locaux dans la première commune.

 

“J’ai la sensation qu’on n’est pas du tout aidé”

Mais la jeune femme n’est pas au bout de ses peines. Alors qu’elle sollicite une place en crèche pour son 2e enfant à venir, elle se voit opposer un refus. Si pour son premier enfant, la praticienne avait pu bénéficier de l’aide du maire de la commune, elle décide cette fois-ci de s’en passer, pour ne pas se voir taxer une nouvelle fois de favoritisme et de “piston”. Son mari étant infirmier hospitalier, “je me suis dit que j’allais donc travailler à mi-temps pendant que mon mari travaille”.

 

 

Du côté de l’ARS, Marie ne reçoit pas le soutien qu’elle escomptait en tant que signataire de CESP. “J’ai fait des visios, passé des appels avec une des responsables de l’ARS qui suivait mon dossier, qui peaufinait plus ou moins avec moi le lieu d’installation et que je devais recontacter lorsque j’allais m’installer.” Mais, lorsque le moment arrive, l’ARS fait profil bas. “C’est hallucinant, j’ai la sensation qu’on n’est pas du tout aidé. Ce n’est pas de l’aide financière qu’on demande, c’est juste de l’aide sur des démarches administratives, qui nous échappent un peu et qu’on n’apprend pas dans notre parcours de médecin généraliste”, rapporte-t-elle.

Quant aux échanges avec la CPAM, ils se passent mal, relate la jeune généraliste. Marie reproche à sa première interlocutrice d’avoir cherché à lui imposer l’exercice coordonné. Son second interlocuteur, qui a tenté de la convaincre d’exercer à temps complet, lui a fait comprendre qu’elle devait s’efforcer de voir un patient toutes les 10 minutes. “Un patient toutes les 10 minutes ce n’est pas possible, déjà toutes les 15 minutes c’est compliqué, je mets au moins 30 minutes pour les nourrissons”, assure-t-elle, déplorant par ailleurs une pression mise sur les prescriptions, notamment au sujet des benzodiazépines, pour lesquels les médecins de la région seraient “mauvais”. La jeune généraliste reste de marbre, précisant qu’elle verra en fonction de patients qu’elle aura devant elle.

 

Découragement

Alors qu’elle rêvait d’exercer en libéral, Marie s’installe désormais à contre-cœur. “Je vais m’installer la semaine prochaine, mais je ne sais pas pour combien de temps. J’ai toujours la boule au ventre”, confie-t-elle, découragée. “Ici, on a une majorité de médecins qui ont plus de 60 ans et qui vont prendre leur retraite dans 5 ans. En moyenne, on a un médecin pour 2 000 patients, donc quand ils vont partir à la retraite je ne sais pas comment ça va être”, désespère Marie. Elle doit reprendre la patientèle d’un médecin de 70 ans qui prendra sa retraite quelques mois après son installation. “Je n’ai même pas besoin de ça, parce que j’ai ouvert mon planning et je suis déjà submergée de patients qui n’ont actuellement pas de médecin traitant”, poursuit Marie. Mais la généraliste ne peut plus renoncer : “J’ai investi de l’argent dans ce projet d’installation, j’ai acheté tout le matériel neuf, ainsi qu’une installation informatique avec un logiciel qui m’a coûté plus de 4 000 euros donc en fait je ne peux plus faire machine arrière.” Elle a dépensé environ 11 000 euros dans ce projet, elle ne veut pas tout “jeter par la fenêtre”.

 

 

Aujourd’hui, si c’était à refaire, la généraliste confesse qu’elle opterait plutôt pour l’hôpital. D’ailleurs, elle a déjà un diplôme universitaire d’urgence pédiatrique. “Et pourtant ce qui a fait que je ne suis pas allée à l’hôpital, c’est parce que je n’avais pas envie de m’enfermer dans une seule catégorie de patients, parce que j’espère aimer encore le métier de médecin généraliste en prenant en charge des personnes âgées, des jeunes, faire un peu de gynéco, de la pédiatrie, tout ce panel de compétences qu’on peut avoir si on s’est formé dessus.” Ce que Marie souhaite à tout prix, c’est : “retrouver le rôle de médecin de famille”.

 

* Le prénom a été modifié.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Mathilde Gendron

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