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EGORA – Accès direct aux paramédicaux : “C’est un moyen de réfléchir à la place du médecin généraliste”, défend Stéphanie Rist

La proposition de loi Rist visant à instaurer un accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes, infirmières en pratique avancée et orthophonistes a été votée mardi 10 janvier en commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Le texte doit être débattu la semaine prochaine en séance publique. Alors que les syndicats de médecins dénoncent une volonté de contourner le généraliste et voient en cette proposition “une déclaration de guerre”, son auteure, la députée de la majorité Stéphanie Rist, défend une mesure d’urgence face à la dégradation de l’accès aux soins. Pour Egora, la rhumatologue de profession nous expose ses arguments. Entretien.

 

Egora.fr : Pourquoi proposer ce texte alors que des expérimentations d’accès direct ont déjà été adoptées en ce sens dans les LFS 2022 et 2023 ?

Stéphanie Rist : Il y a deux raisons. La première, c’est qu’il y a une urgence à améliorer l’accès aux soins. Avec le départ à la retraite des médecins, un grand nombre de territoires se retrouvent en effet en difficulté. La deuxième, c’est que ces expérimentations ont été lancées il y a longtemps maintenant et, visiblement, il existe des difficultés de mise en œuvre puisqu’elles ne sont pas mises en place sur le terrain. Pour être efficaces en termes d’accès aux soins et d’amélioration de la qualité de prise en charge, il nous paraissait important de proposer la généralisation.

 

L’examen de la proposition de loi en commission devait avoir lieu fin novembre. Qu’est-ce qui l’a retardé ?

Il y avait beaucoup de propositions de loi cette semaine-là dans notre groupe [Renaissance, NDLR], c’était donc un peu compliqué de prendre le temps de l’examiner. Surtout, nous étions au début du CNR Santé et nous voulions être sûrs que les mesures que nous proposions dans notre texte étaient également attendues. Ça a été le cas : pas dans tous les CNR, bien sûr, ni par tous les professionnels impliqués, mais ces mesures sont remontées.

 

En quoi cet accès direct aux paramédicaux permettra d’améliorer l’accès aux soins des Français ? Le nombre d’IPA en libéral est encore anecdotique, les kinés sont également débordés, et les délais d’attente chez les orthophonistes très longs…

L’argument pour faire de l’accès direct est de diminuer ces délais d’attente. Ça paraît paradoxal, mais en réalité ça permet aux professionnels (orthophonistes, kinésithérapeutes…) de pouvoir fluidifier et trier les patients dans la hiérarchisation de la prise en charge, avec des compétences qui leur permettent une autonomie. Ce qu’ils ne peuvent pas faire à partir du moment où il y a une prescription médicale qui les oblige à prendre en charge le malade…

 

 

Comprenez-vous la levée de boucliers des syndicats de médecins, qui craignent le développement d’une médecine à plusieurs vitesses et le contournement du rôle du médecin généraliste traitant ?

Je comprends leurs inquiétudes qui sont liées à deux choses : dans un premier temps, penser que la médecine générale est bradée pour une quantité de raisons, qui ne sont pas toutes dans cette proposition de loi. Je pense qu’il y a un vrai sujet : celui de savoir ce que sera le métier de médecin généraliste dans dix ou quinze ans, comme pour toutes les spécialités médicales d’ailleurs, au regard du vieillissement de la population, de la démographie, de l’évolution des traitements, des médicaments, etc.

 

 

Je n’ai aucun doute sur l’importance de la place du généraliste au centre du parcours du patient. Mais pour moi, central ne veut pas dire “en premier”. Ce qui est indispensable, et que l’on préserve dans cette proposition de loi, c’est que l’accès direct se fasse dans le cadre de soins coordonnés. Il n’est pas question de dire au patient : “Allez voir votre kiné, il va vous soigner et vous allez repartir, voilà”. Il s’agit de dire : “Allez voir votre kiné, il va certes vous soigner, mais vous allez entrer dans un parcours de soins coordonnés” au sein duquel le médecin possède une expertise qu’aucun autre professionnel a, puisque ce sont des métiers différents.

 

Si le texte précise en effet que cet accès direct doit s’inscrire dans le cadre d’un exercice coordonné, certains syndicats regrettent l’absence de “collaboration formalisée avec un médecin”. Pouvez-vous préciser le cadre de cet exercice coordonné : MSP, CPTS… ?

Certains médecins estiment que certaines CPTS ne sont qu’un annuaire de professionnels de santé sans véritable projet de soins coordonnés. Sur ce point, j’entends leurs arguments. Nous allons ainsi proposer des amendements, comme je l’ai dit en commission, qui vont faire évoluer le texte afin de s’assurer que l’accès direct ne puisse se faire que dans le cadre d’un projet de soins coordonnés inscrit dans le projet de santé de la CPTS. Je ne suis pas d’accord avec l’autre argument des médecins qui est de dire “c’est parce que je connais le professionnel que j’ai confiance”. Je considère que l’on fait confiance aux professionnels parce qu’ils ont un diplôme.

 

Vous avez déjà ajouté des garde-fous en commission, notamment la limite de 5 séances de kinésithérapie qui peuvent être réalisées en accès direct, ou encore l’obligation pour le kiné de fournir un compte-rendu au patient. Pour quelle(s) raison(s) ?

La discussion au sujet des rendez-vous de kinésithérapie évoluera peut-être dans les amendements. Cinq rendez-vous, cela nous paraît très peu. Beaucoup de professionnels redoutent que cela produise l’effet inverse que ce qu’ils souhaitaient : si l’on arrête le soin après cinq séances, le délai de prise en charge par le médecin va retarder le soin. On va donc probablement augmenter le nombre de séances. Mais ce sera cadré. Il y aura une certitude pour le médecin de revoir le malade qui n’a pas eu de diagnostic médical. Pour un patient qui sort d’une opération de l’épaule, pour lequel un diagnostic médical est donc déjà posé et pour qui l’on sait grâce à des référentiels qu’il faut 36 séances de kiné, on ne va pas arrêter la prise en charge de kiné [au bout de cinq séances, NDLR] pour aller voir le médecin traitant.

Concernant le compte-rendu au patient, je ne l’avais pas introduit initialement dans le texte. En effet, avec l’Espace numérique en santé, dans lequel est mis le DMP, le patient pourrait accéder automatiquement à ce document. Mais les oppositions ont demandé dès le début de préciser ce point. Cela ne m’a pas posé de problème.

 

Le moment est-il bienvenu ? Les tensions entre les professions de santé sont en effet particulièrement vives ces derniers temps…

Quand on est politique, on a des comptes à rendre à l’ensemble des citoyens que l’on représente, pas seulement à certaines catégories de citoyens.

Je pense par ailleurs que c’est au contraire un moyen de poser le sujet de la place du médecin généraliste et de comment le revaloriser. Si on va au bout de la proposition de loi et qu’on autorise l’accès direct, le rôle d’expertise des généralistes va être davantage mis en avant. Cela peut être un objet de discussions dans le cadre des négociations conventionnelles.

J’entends parfois des arguments non-respectueux des autres professions de santé. Pour ceux qui les prononcent, aucun argument ne sera audible. Mais pour la majorité des médecins que je rencontre, il y a un vrai sujet de la place du praticien. Il faut absolument qu’on puisse faire en sorte que les généralistes libéraux se sentent reconnus et bien dans leur métier. Pour cela, il faut aussi parfois sortir d’idées préconçues, notamment sur les infirmières en pratique avancée. J’ai entendu des médecins que j’ai reçus dans ma permanence ou lors d’auditions publiques qui tenaient des propos qui montraient qu’ils ne connaissaient pas le métier d’IPA. Les médecins libéraux qui travaillent avec des IPA ne sont pas contre cette proposition de loi.

 

Les expérimentations d’accès direct n’ont, pour l’heure, pas porté leurs fruits. Comment s’assurer que votre proposition de loi soit applicable sur le terrain ?

Pour les expérimentations, il y a eu un avis de la Haute Autorité de santé et de l’Académie de médecine – qui a fait de premières recommandations de restrictions de l’échelle – et lors des concertations et de leur mise en place, c’est un peu devenu une forme de protocolisation entre les professionnels. Or je pense que nous devons accélérer l’acceptation de certains professionnels et faire en sorte que cela ne dépende pas de l’avis d’un médecin qui aurait décidé qu’il n’y a pas d’intérêt à le faire. L’intérêt du patient est supérieur.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

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