Médecins de ville indisponibles, urgences saturées. D’année en année, de plus en plus de patients rejoignent le no man’s land des soins non programmés, ne sachant plus à quelle porte toquer. Alors que le Service d’accès aux soins (SAS) tarde à prendre forme, de nouvelles structures se sont installées dans le paysage sanitaire, prenant en charge ces “petites urgences” qui nécessitent un plateau technique. Récemment constituées en fédération, elles revendiquent une reconnaissance institutionnelle et financière. Enquête sur ces centres de soins non programmés (CSNP) qui ne font pas l’unanimité.

 

“Il manquait vraiment quelque chose entre la médecine de ville et les urgences.” Un jour par semaine, depuis le 19 septembre, le Dr Frédéric Pochet, 52 ans, pose son stéthoscope au centre de soins non programmés situé avenue de la Reconnaissance, à Villeneuve d’Ascq. Hébergé dans les locaux de l’hôpital privé (HPVA) géré par le groupe Ramsay, à qui elle paie une redevance, la structure a enregistré 25 passages dès son premier jour d’ouverture. Preuve, pour cet urgentiste, que ce type de centre répond à un besoin de plus en plus prégnant : prendre en charge les nombreuses “petites urgences” (CCMU 2, voir encadré) nécessitant un acte complémentaire diagnostique ou thérapeutique, qui encombrent des services d’accueil des urgences (SAU), faute de trouver une réponse rapide et adaptée dans des cabinets de ville tout aussi surchargés.

 

Tout compris

Petite traumatologie, douleurs abdominales ou thoraciques, crises d’asthme, coliques néphrétiques… “Ce sont des pathologies trop légères pour les plateaux techniques énormes des services d’urgence, mais qui ne peuvent pas attendre 48 ou 72 heures”, résume cet ancien chef de service des urgences de Wattrelos et ancien chef de service adjoint du SAU de Roubais, désormais gérant d’une Selarl* de médecine aiguë, la Smuca. Tous généralistes avec une expérience de l’urgence, les médecins de la société se relaient au centre de Villeneuve d’Ascq, qui emploie également une secrétaire et des IPA. Les patients y sont pris en charge du lundi au vendredi, de 9 à 20 heures, en “une heure maximum”, vante Frédéric Pochet. “Nous avons des process de prises en charge très standardisés, avec trois lignes : médecine générale, traumato, urgences, explique le médecin. Si vous venez pour une entorse de cheville, par exemple, c’est l’IPA qui prescrit la radio avant de vous envoyer vers le médecin. Ça permet de voir le patient très très vite.”

Le cas échéant, les patients peuvent être adressés à des spécialistes, voire hospitalisés, les filières développées par la Smuca (pédiatrie, neurovasculaire, infectiologie…) permettant d’éviter un passage aux urgences. “On appelle les médecins, on leur demande leurs habitudes et quand ils reçoivent le patient, ils ont le bilan biologique, la radio s’il le faut une radio, son test PCR, etc. Le patient arrive avec la même prise en charge technique que s’il était passé aux urgences.” Une formule “tout compris” qui semble satisfaire aussi bien les patients, qui s’épargnent des allers-retours, que les généralistes du territoire, qui n’hésitent pas à adresser les petites urgences au centre.

 

 

“Centres”, “accueils” ou “unités”… une centaine de structures de ce type ont ouvert leurs portes sur le territoire ces dernières années, souvent situées dans des villes périphériques, adossées ou non à des établissements hospitaliers. Ramsay santé en compte désormais 20, qui devraient cumuler 240 000 passages d’ici la fin de l’année ; le deuxième groupe d’hospitalisation privée de France devrait en ouvrir “au moins” deux en 2023. Vivalto santé n’est pas en reste, avec 13 “unités” de soins non programmés à ce jour (un peu plus de 90 000 passages en 2021), au sein desquelles exercent des médecins salariés ou des libéraux, en fonction des souhaits exprimés par les praticiens du territoire, explique Nicolas Bioulou, directeur général de territoire Bretagne. Les paramédicaux, en revanche, sont tous salariés, “mis à disposition” par les établissements du groupe. Pour le directeur, ces centres répondent à une double problématique : “le manque de temps médical en ville, qui ne permet pas de répondre à des consultations d’urgence et la nécessité de réorienter les SAU sur les cas les plus sévères”. Les établissements privés qui intègrent ou hébergent ces structures y trouvent également leur compte, en complétant l’offre de soins locale : “C’est une population qui va rester sur la ville pour sa prise en charge”, souligne Nicolas Bioulou. Le besoin est là : les USNP du groupe enregistrent entre 50 et 70 passages par jour.

 

“50 % des patients n’ont pas de médecin traitant”

A Bouc-Bel-Air, au nord de Marseille, le CSNP Urgent care, qui a ouvert ses portes en avril 2021, est quant à lui complètement indépendant : les médecins et infirmières qui s’y relaient 7 jours sur 7 de 9 à 19 heures sont des libéraux, réunis en Sisa**. Le centre est adossé à un cabinet de radiologie, qui “intercale” les patients urgents du centre entre deux rendez-vous ; la biologie est délocalisée. A la tête du centre, la Dre Maeva Delaveau, 45 ans. Après avoir exercé aux urgences et au Samu 83, cette urgentiste a quitté l’AP-HM, lasse des “lourdeurs administratives” qui ont fait leur grand retour après la première vague de Covid, et aussi pour des “raisons personnelles”. “Avec un troisième enfant à plus de 40 ans, ça devenait un petit peu compliqué les gardes aux urgences”, témoigne-t-elle. Mais après un bref passage en SSR, l’urgentiste est revenue à ses premières amours : “Les urgences me manquaient. J’avais envie de voir si j’arriverais à faire de la petite urgence à ma façon, avec des prises en charge que j’estime bonnes, une bonne orientation, de retrouver de la relation avec les gens, et avec les médecins du territoire.”

Comme à Villeneuve d’Ascq, le centre de Bouc-Bel-Air est avant tout destiné aux patients CCMU 2 mais reçoit également, par la force des choses, des patients relevant de la médecine générale (CCMU 1). “Quand les patients viennent pour de la fièvre depuis 48h, un nez qui coule, une toux, une angine, des choses qui ne vont pas nécessiter a priori d’examen complémentaire, on leur demande qui est leur médecin traitant, s’ils l’ont contacté… Mais à peu près 50 % des patients n’en ont pas ou n’ont pas de RDV avant 10 jours. On essaie de les réorienter vers des permanences médicales qui font de consultations sans RDV quand on voit que va y avoir beaucoup trop d’attente. On voit d’abord les petites urgences.”

A l’instar de son confrère du Nord, Maeva Delaveau reçoit également “énormément” de pédiatrie. “L’otalgie de 2 ans à 40 de fièvre, c’est toujours difficile… si on les prend pas, qu’est-ce qu’ils vont faire? Ce n’est évidemment pas une urgence vitale, mais c’est quand même une douleur, une fièvre à prendre en charge”, relève-t-elle. Si les unités du groupe Vivalto ont fixé la limite de prise en charge à 3 ans, faute de pédiatres, l’urgentiste marseillaise s’efforce d’évaluer tous les nourrissons “de façon systématique car c’est toujours très casse gueule de renvoyer un tout petit alors qu’il est devant nous. Quitte à ne pas faire régler la consultation si je le réoriente d’emblée vers un SAU, expose-t-elle. Mais la majeure partie du temps un examen clinique rassure tout le monde.”

 

Pas de l'”abattage”

Sur la quarantaine de patients reçus chaque jour, néanmoins, 60 % nécessitent “soit un bilan bio, soit une perfusion d’antalgique, d’antibio, un ECG, une radio, une immobilisation…, énumère Maeva Delaveau. Ce sont 20 à 25 patients par jour qui évitent un passage aux urgences.” Des patients qui n’ont a priori “rien à y faire” mais qui “n’ont pas d’alternative”, souligne l’urgentiste, qui travaille en bonne intelligence avec les généralistes du territoire et les médecins coordonnateurs d’Ehpad. “Plutôt que d’envoyer la personne âgée qui a une suspicion de fracture du poignet aux urgences, ils nous l’adressent. On va faire la radio et prendre le rendez-vous avec le chirurgien orthopédique le lendemain. Une personne âgée qui arrive avec une fracture du bassin qui n’est pas chirurgicale, on va pouvoir la faire admettre directement en SSR… Tout le monde est gagnant.”

Interrogé sur le sujet, l’urgentiste Mathias Wargon voit ces centres tenus par des confrères qui ont une expérience de l’urgence plutôt d’un bon œil. “Mais désormais on voit se monter des centres d’abattage de consultations qui font des renouvellements d’ordonnance, des arrêts de travail… On sort complètement du parcours de soins et on encourage le consumérisme. Il va falloir que ces centres se régulent, affirme-t-il. Il faut des normes, des devoirs… Il faut qu’ils aient des horaires plus étendus, qu’ils ouvrent le samedi, le dimanche et surtout, qu’ils s’intègrent dans le parcours de soins du patient.”

Souhaitant faire reconnaître la “spécificité” des CSNP et éviter tout “amalgame”, Maeva Delaveau a impulsé la création d’une Fédération des centres de soins non programmés en septembre dernier. Elle réunit aujourd’hui 41 centres indépendants, respectant les principes d’une charte d'”accréditation” commune. L’objectif est de parvenir à une labélisation, afin d’acquérir une légitimité aux yeux des pouvoirs publics. “Localement, ce schéma fonctionne très bien, on a l’impression qu’il pourrait être déployé de façon plus générale, mais il n’est pas reconnu”, déplore-t-elle.

 

“J’ai été urgentiste dans le public pendant 20 ans, j’ai assez donné”

Si, en Bretagne, l’ARS soutient la démarche de labélisation, Frédéric Pochet confie avoir eu maille à partir avec l’ARS Hauts-de-France. “Ils pensent que les urgentistes seraient mieux dans un SAU, explique-t-il. Moi j’ai été urgentiste dans le public pendant 20 ans, je pense que j’ai assez donné, que j’avais le droit de faire autre chose.” Pour le médecin du Nord, ces structures offrent une voie de sortie aux urgentistes fatigués approchant la fin de carrière. Leurs compétences spécialisées y sont mises à profit et leur activité “permet aux collègues des urgences de se concentrer sur des patients plus lourds et au final d’être épanouis”, argumente-t-il. Mais “on préfère voir un urgentiste devenir médecin du travail que voir un urgentiste ouvrir un CSNP qui va décharger un SAU”, regrette-t-il.

Alors que les centres sont accusés par certains d’être des “aspirateurs” à jeunes médecins généralistes ou urgentistes, la présidente de la Fédération se défend, se disant elle aussi confrontée à des difficultés de recrutement. “Quel jeune médecin aurait fait des études d’urgentiste pour aller faire des petites urgences? lance-t-elle. Nous, on fonctionne plutôt avec des médecins généralistes formés à l’urgence. Il faut pouvoir trier les patients, on fait beaucoup de traumato, de douleurs thoraciques… donc il faut avoir de la bouteille. Le fonctionnement du centre en lui-même nécessite plusieurs semaines d’apprentissage pour pouvoir y travailler. Je ne prends jamais de remplaçant qui ne viendrait qu’une journée.” Frédéric Pochet, lui, exige au moins 3 ans d’ancienneté en gardes de SAU ou une capacité en médecine d’urgence. Il s’interdit en revanche de recruter des urgentistes issus du nouveau DES. “Ce serait une déclaration de guerre avec l’ARS…”

Autre reproche : les CSNP désorganiseraient le parcours de soins… “On ne remplace pas le médecin traitant, martèle le nordiste. Le patient qui vient pour un renouvellement d’ordonnance, on ne l’accepte pas. De même, on ne fait pas de reconvocation. C’est le médecin traitant qui revoit le patient pour l’entorse de cheville et juge de l’évolution.” Membres de leur CPTS respectives, les Drs Delaveau et Pochet ne demandent qu’à travailler à l’organisation des soins non programmés sur leur territoire. “J’ai participé aux groupes de travaux du Service d’accès aux soins (SAS), relève Maeva Delaveau. Mais alors que les centres assurent une grande partie des SNP sur les territoires, ils ne font pas partie du schéma général.”

 

 

Enfin, ces centres seraient loin d’être les cash machines que l’on imagine. Secrétariat, locaux, équipement… En l’absence de toute aide à l’installation, ces structures “financièrement coûteuses” sont mises en place sur fonds propres, souligne Maeva Delaveau. “On est tous en secteur 1. Si la consultation n’est pas suivie d’un acte technique, le médecin va coter un G comme tout le monde. S’il y a des actes, il cote des actes”, expose la présidente de la Fédération. “On n’a pas de Rosp car on n’est pas médecin traitant.” Pour les Idel, qui facturent habituellement plusieurs actes, c’est encore plus “difficile”, souligne l’urgentiste. “On réduit leurs charges au maximum et on répartit les honoraires.”

Si le centre Urgent care, qui enregistre une quarantaine de passages par jour, est à “l’équilibre”, celui de Villeneuve d’Ascq, qui doit encore monter en charge, ne l’est pas. “Les bénéfices que l’on fait sur d’autres sites de la Smuca sont remis dans la caisse de celui de l’hôpital privé de Villeneuve d’Ascq. Ça nous permet d’avancer un chiffre d’affaires qui est plus important que ce que fait le médecin actuellement sur l’HPVA.”

 

Pas question de “coter du 15 euros à tire-larigot”

Faut-il permettre aux centres de coter les majorations dédiées aux patients régulés par le 15 ou le SAS ? Négatif, a répondu Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam, lors des Universités d’été de la CSMF, le 20 septembre dernier. Pas question de “coter du 15 euros à tire-larigot”. Sur ce point, la présidente de la FNCSP est plutôt d’accord. “Les patients qui nécessitent une consultation simple, qui arrivent par défaut dans nos centres, ils ne vont pas prendre tellement de temps. Et on n’est pas dans la situation d’un MG qui va rajouter des créneaux pour prendre en charge ces patients-là, effort qui doit être valorisé”, pointe-t-elle. En revanche, la prise en charge des patients nécessitant des examens complémentaires nécessiterait d’être mieux rémunérée par des forfaits. “Ce sont ces patients-là pour lesquels on fait faire des économies d’un côté, puisqu’on évite un passage aux urgences très coûteux, mais qui sont d’un autre côté très mal valorisés étant donné le plateau technique qu’on met en place pour pouvoir les prendre en charge.”

La fédération a débuté un travail afin d’aboutir à des “grilles de codage très normalisées, communes à l’ensemble des centres”. De son côté, Nicolas Bioulou, de Vivalto, appelle à une gradation des services d’urgence, telle que voulue par le Pacte de refondation des urgences de 2019, qui ferait une place aux structures intermédiaires entre l’hôpital et la médecine de ville que sont les CNSP.

 

* Société d’exercice libérale à responsabilité limitée.
** Société interprofessionnelle de soins ambulatoires.

 

CCMU : 5 niveaux de gravité

La classification clinique des malades aux urgences (CCMU) subdivise les patients en 5 classes selon l’appréciation subjective de l’état clinique initial :
– CCMU 1 : État clinique jugé stable. Abstention d’acte complémentaire diagnostique ou thérapeutique. Examen clinique simple.
– CCMU 2 : État lésionnel et/ou pronostic fonctionnel stable. Décision d’acte complémentaire diagnostique (prise de sang, radiographie conventionnelle) ou thérapeutique (suture, réduction).
– CCMU 3 : État lésionnel et/ou pronostic fonctionnel jugé pouvant s’aggraver aux urgences ou durant l’intervention Smur, sans mise en jeu du pronostic vital.
– CCMU 4 : Situation pathologique engageant le pronostic vital sans gestes de réanimation immédiat.
– CCMU 5 : Pronostic vital engagé. Prise en charge comportant la pratique immédiate de manœuvres de réanimation.
Deux autres classes complètent la classification. Les CCMU P correspondent aux patients présentant un problème psychologique et/ou psychiatrie dominant en l’absence de toute pathologie somatique instable associée et les CCMU D, les patients déjà décédés à l’arrivée du Smur ou du service des urgences.
D’après les données compilées par la Fédération des observatoires régionaux des urgences, les CCMU 1 représentaient 15 % des passages aux urgences en 2021 et les CCMU 4 et 5, seulement 1 %.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques

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