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EGORA – Déserts médicaux : la faute aux dépassements d’honoraires ?

L’UFC-Que Choisir publie ce mardi une carte interactive dévoilant “l’état déplorable de l’accès géographique et financier aux soins en France”. Face à l’échec “des gouvernements successifs” à endiguer ce fléau, l’association de consommateurs appelle les pouvoirs publics à prendre des mesures fortes, à commencer par la régulation de l’installation des médecins libéraux et la suppression du secteur 2.

 

“Jusqu’à présent, les dispositifs adoptés par les gouvernements successifs pour lutter contre la désertification médicale ont échoué à endiguer la fracture sanitaire, et ce malgré les centaines de millions d’argent public investis en mesures incitatives, qui n’ont fait qu’alimenter les revenus de médecins sans affecter leur répartition”, dénonce l’UFC-Que Choisir en préambule d’une vaste étude qu’elle publie aujourd’hui.

Dix ans après avoir établi un premier constat alarmant de l’accès aux soins, l’UFC-Que Choisir déplore une aggravation de la situation. Elle publie aujourd’hui une carte interactive montrant l’ampleur des difficultés commune par commune. Celle-ci a été établie grâce à “l’étude exhaustive de la localisation des médecins et des tarifs pratiqués” par quatre professions libérales : les généralistes et trois autres spécialités bénéficiant d’un accès direct (les pédiatres, les gynécologues et les ophtalmologues).

L’association de consommateurs a mesuré le nombre de médecins accessibles par patient potentiel et par commune au sein d’une zone l’entourant. “Cette méthode [dite APL : accessibilité potentielle localisée] permet d’aller plus loin que les données d’offre médicale disponibles par département, qui supposent l’existence de frontières ‘infranchissables’ entre deux territoires”, explique l’association.

 

Plus de 15 millions de Français rencontrent des difficultés pour accéder à un MG

L’étude s’est d’abord concentrée sur l’accès géographique aux médecins généralistes, “piliers du parcours de soins”. Elle distingue les zones dites en “désert médical” et les zones à “accès difficile”.

 


Source : UFC-Que Choisir

 

Selon l’UFC-Que Choisir, lorsqu’on prend en compte les généralistes exerçant à moins de 30 minutes en voiture du lieu de résidence des patients, 1,7 million de Français (2,6 %) résident dans un désert médical – c’est-à-dire où l’accessibilité géographique est au moins 60 % inférieure à la moyenne nationale. Les tensions sont particulièrement visibles en Corse.

Mais l’association décrit une situation bien plus préoccupante dans les faits. D’après ses observations, ce sont en réalité 15,3 millions de Français (23,5 %) qui éprouvent des difficultés pour accéder à un généraliste, c’est-à-dire qui vivent dans une zone avec une accessibilité entre 30 et 60 % inférieure à la moyenne nationale. Le littoral apparaît moins en tension sur la carte dévoilée par l’association.

 


Source : UFC-Que Choisir

 

La pédiatrie voit rouge

Mais si près d’un quart des Français accèdent donc difficilement à un généraliste, les autres spécialités concernées par l’étude (la pédiatrie, la gynécologie et l’ophtalmologie) sont encore plus dans le rouge. En témoignent les cartes ci-dessous.

 

 

12,3 millions de personnes (19 % des patients) vivent dans un désert médical ophtalmologique. En tenant compte des zones à accès difficile, ce sont 38,3 % des habitants de France métropolitaine (24,9 millions de personnes) qui ont “une accessibilité aux médecins très en-deçà de la moyenne”. Par ailleurs, 23,6 % des patientes de plus de 15 ans résident dans un désert gynécologique. Pire, “41,6 % d’entre elles résident dans une commune présentant des difficultés d’accès”.

Du côté des pédiatres libéraux, la situation apparaît plus que critique : 27,5 % des enfants de 0 à 10 ans vivent dans un désert pédiatrique, et plus de la moitié des jeunes Français (52,4 %) subissent des difficultés (zones à accès difficile).

Globalement, note l’association, la situation – toutes professions concernées – est particulièrement dégradée dans la France dite “périphérique”, c’est-à-dire dans les communes rurales ou encore en périphérie rurale des grands pôles urbains.

 

Les dépassements d’honoraires dans le viseur

Outre l’éloignement géographique, l’étude de l’UFC, réalisée avec la Skema Business School, tient compte de la capacité financière des usagers à se soigner : celle-ci a analysé l’accès aux soins en fonction des tarifs pratiqués par les médecins (avec ou sans dépassements d’honoraires*). L’association constate que le critère financier accentue “dramatiquement” la fracture sanitaire. Elle note en effet que si 95 % des usagers disposent d’une complémentaire santé, le niveau de prise en charge des dépassements d’honoraires dépend des contrats. “Dès lors, de nombreux consommateurs doivent supporter des restes à charge, parfois très élevés, pour consulter un médecin… quand ils peuvent payer.” Un sondage OpinionWay pour Les Echos et Harmonie Mutuelle révélait en 2019 que l’argument financier était le premier motif de renoncement aux soins.

Chez les généralistes libéraux, le critère financier dégrade sensiblement l’accès aux soins. “Un peu moins de 2 millions d’usagers” vivent à plus de 30 minutes d’un généraliste à “tarifs modérés*” (soit près de 3 % de la population). Ce chiffre grimpe à 17 millions (26,1 % des Français) si l’on tient compte des zones à accès difficile. “Au tarif de la Sécu, 1,9 million d’usagers (3 %) vivent dans un désert médical. Si on ajoute les patients dont la commune présente un accès aux généralistes difficile, ce nombre atteint 19 millions (29,3 % des usagers)”, expose l’association.

 

 

Chez les ophtalmos, si l’on se tient à ceux qui pratiquent des dépassements d’honoraires modérés, l’association dénombre 25,5 millions de Français vivant dans un désert ophtalmologique (39,2 %) et 45,7 millions (70,3 %), dans une commune caractérisée par des difficultés d’accès à ces spécialistes. Il apparaît là aussi plus difficile d’accéder à des ophtalmologues respectant le tarif de base de la Sécu – ces derniers étant moins nombreux. En prenant en compte ce critère, 40,9 millions de personnes (62,8 % de la population) résident en désert médical, et 55,2 millions (84,7 %) dans une zone à accès difficile.

“Plus de 8 usagers sur 10 n’ont pas accès à un ophtalmologue respectant le tarif de la Sécurité sociale à moins de 45 minutes de trajet”, déplore l’UFC-Que Choisir.

 

 

Un tiers (32,8 %) des enfants de moins de 10 ans résident dans un désert médical, et 57,7 % dans une commune caractérisée par un accès difficile, si l’on s’intéresse uniquement aux pédiatres qui pratiquent des dépassements d’honoraires. Pour les praticiens de cette spécialité qui ne font pas de dépassements, ce sont près de la moitié des enfants (46,8 %) qui résident dans un désert pédiatrique. Les trois quarts vivent dans une commune qui rencontre des difficultés d’accès (76,3 %). Enfin, pour les gynécologues qui font des dépassements d’honoraires, plus de la moitié des Françaises (54,7 %) se trouvent dans un désert. Cela passe à 75,5 % si l’on tient compte de toutes les communes à accès difficile. Là encore, c’est plus compliqué pour avoir un rendez-vous avoir un gynécologue ne faisant pas de dépassements : 66,8 % des patientes vivent dans un désert médical, et près de 9 femmes sur 10 (85,8 %) dans une commune présentant un accès compliqué à un praticien respectant le tarif de base de la Sécu.

 

 

 

Se basant sur les données de l’Assurance maladie, l’UFC-Que Choisir constate qu’une majorité d’ophtalmologues (64,3 %) et de gynécologues (68,6 %) pratiquaient en 2020 des dépassements d’honoraires. Une pratique visiblement en forte hausse depuis 2016. La conséquence, selon l’association, de “pratiques de sur-installation en secteur 2 des spécialistes”. Alors que l’accès aux médecins de secteur 1 se dégrade, “les dépassements d’honoraires ont atteint 3,5 milliards d’euros en 2021, soit le montant annuel le plus élevé jamais enregistré”.

 

 

Mettre fin au “dogme de la libre installation des médecins libéraux”

Déplorant l’échec des gouvernements successifs, qui ont privilégié selon l’association des politiques de “saupoudrage” jugées inefficaces (dispositif “option conventionnelle”, contrats démographiques, aide à l’installation, contrat de début d’exercice, CESP…), celle-ci presse les pouvoirs publics de “changer de logique”. Face à l’urgence – le nombre de médecins devrait continuer de baisser jusqu’en 2030 avec d’importants départs à la retraite à venir notamment, elle en appelle au “courage politique”.

 

 

“Mettre fin au dogme de la libre installation des médecins libéraux n’est plus aujourd’hui une possibilité, indique d’emblée l’association. C’est un impératif.” Ainsi, elle plaide pour une régulation de l’installation qui irait “dans le sens d’une normalisation de la profession”, sur le modèle de ce qui s’applique pour d’autres professions : les pharmaciens, les infirmières et les kinésithérapeutes libéraux. “Pour ces professions, le maillage territorial est nettement moins dégradé que pour la médecine”, avance-t-elle.

Faisant valoir qu’un “consensus” est en train d’émerger pour la remise en cause de la liberté d’installation des médecins – en témoignent les dizaines de propositions de loi allant dans ce sens – l’association défend l’instauration d’un conventionnement territorial, avec une interdiction pour les médecins libéraux de s’installer dans les zones “surdotées”, “à l’exception du secteur 1 […] quand la situation l’exige (remplacement d’un médecin partant à la retraite ou zone très largement sous-dotée en médecins en secteur 1)”.

Sur le volet financier, l’UFC-Que Choisir suggère de revaloriser le tarif de base pour les spécialités “pour les spécialités où les dépassements sont généralisés” afin d’améliorer la prise en charge financière des patients par l’Assurance maladie et les complémentaires – dont les tarifs augmentent. Selon l’association, “l’échec des pouvoirs publics à juguler les dépassements d’honoraires des médecins a donc un effet inflationniste qui a pu contribuer pour partie à la hausse des cotisations des complémentaires santé”. Elle rapporte que, selon l’Insee, “leurs tarifs ont augmenté de 62,3 % entre janvier 2002 et juin 2022, contre 34,9 % pour l’ensemble des prix à la consommation hors tabac sur la même période”.

L’association va plus loin sur ce point et réclame la fermeture de l’accès au secteur 2, “à l’origine du développement incontrôlé des dépassements d’honoraires”. “Les nouveaux médecins ne devraient avoir le choix qu’entre un secteur 1 aux honoraires sans dépassements et l’Option de pratique tarifaire maîtrisée (Optam), qui encadre les dépassements d’honoraires”, explique-t-elle. L’association plaide par ailleurs pour plus de sévérité envers les médecins “qui ne respectent pas le tarif de la Sécu”, hors Optam – dont elle déplore par ailleurs “l’échec”. Pour les praticiens concernés, l’UFC réclame une suppression des aides publiques”.

Des propositions qui ne manqueront pas de faire réagir…

 

* Jusqu’à 50 % de dépassements d’honoraires.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

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