Après dix ans d’exercice en salariat dans le secteur médico-social, Marie*, généraliste, a décidé de tenter l’aventure du libéral. Un an à peine après avoir ouvert son cabinet, elle a pris la décision de déplaquer brutalement, “question de survie” pour cette jeune praticienne de 41 ans aux prises avec des “idées noires”. En colère contre des pouvoirs publics “culpabilisants” qui demandent toujours plus aux médecins, elle dit avoir perdu l’envie d’exercer après des mois de solitude. Écoeurée par la multitude de charges qui incombent aux libéraux, elle raconte son expérience à Egora.

 

Des idées suicidaires, une fatigue intense, des pleurs, le matin, avant de partir consulter… Un an après avoir ouvert son cabinet libéral, Marie* a décidé de déplaquer du jour au lendemain, essorée et pleine de désillusions. Cette généraliste exerçant dans une petite commune proche de Toulouse, en plein burn out, n’a pas eu la force de continuer seule, sans remplaçant ni collaborateur malgré ses nombreuses annonces et recherches.

A 41 ans, Marie était pourtant enthousiaste à l’idée de monter son propre cabinet. D’abord remplaçante une fois thésée, elle a ensuite enchaîné les contrats salariés dans le secteur médico-social. “J’ai fait beaucoup de pédiatrie, j’ai aussi eu des postes avec des publics difficiles comme des enfants gravement polyhandicapés, des patients schizophrènes très violents, raconte la jeune femme. C’était émotionnellement assez éprouvant, je me suis rendu compte à un moment que j’avais du mal à gérer leur souffrance.” L’an dernier, elle est victime d’une agression de la part d’un patient schizophrène. “Je m’en suis pris une et on m’a dit que c’était normal. Ça a été la goutte de trop : je ne me suis pas imaginée continuer à évoluer dans un milieu où je pouvais me faire dévisser”, lâche-t-elle, encore sidérée par le manque de soutien de son ancienne direction.

Elle se lance donc dans l’expérience du libéral. “Ce qui m’a poussée, c’est d’avoir ma propre patientèle et de pouvoir suivre des personnes dans le temps, ça me manquait dans le médico-social. Je voulais être une médecin de famille”, explique Marie. Pour sa première installation, elle rejoint un centre médical nouvellement créé, regroupant sage-femme, dentiste et infirmières. Deux bureaux étaient laissés libres pour des généralistes. “Au moment d’intégrer la structure, j’espérais trouver quelqu’un pour travailler avec moi, le bureau à côté du mien était vacant. Dès le départ, j’ai mis des annonces mais je n’ai eu aucune touche.”

Vite débordée par une patientèle nombreuse, elle peine également à se faire remplacer. “En tout et pour tout, sur un an, j’ai réussi à me faire remplacer sept jours. Et encore, ce n’est pas une semaine pleine mais sur l’année !”, se désole-t-elle. Psychothérapeute en parallèle de son activité, elle a dû se débrouiller pour terminer sa formation et réaliser son mémoire tout en assurant au cabinet. Pour autant, elle ne se laisse pas abattre, trouvant du sens dans le contact avec ses patients.

 

“Je suis passée à côté de tout”

Mais, à force de se consacrer quasi-exclusivement à ses consultations, la solitude la gagne. “J’ai tout donné à mes patients”, regrette-t-elle. “Je partais le matin il était 7h30, je rentrais le soir à 20h30. Force est de constater que toute l’année où j’ai eu mon cabinet, je n’ai pas eu de vie.” Car Marie a dû tout gérer seule : du remplissage des dossiers patients au ménage de son cabinet, en passant par la comptabilité. “Je consultais jusqu’à 18h30, et ensuite c’était minimum deux heures par jour d’administratif et de gestion, de ménage et j’en passe.” Sa seule “aide” : le logiciel patient ainsi que l’agenda de Doctolib et un secrétariat téléphonique car elle n’avait pas les moyens financiers de déléguer plus de tâches.

Elle se retrouve ainsi vite noyée par les à-côtés du libéral : Carmf, Urssaf, gestion du cabinet… “Je n’avais aucune idée de combien ils allaient me prendre. J’avais environ 2 000 euros de charges par mois entre la location de mon cabinet, les logiciels, la prévoyance, etc. Sur mon chiffre d’affaires, on m’a conseillée d’en garder la moitié en salaire. Donc, les mois où je travaillais énormément j’arrivais péniblement à me dégager 3 500 euros. Mon mari me disait parfois que c’est son salaire qui payait le cabinet”, enrage-t-elle.

En parallèle, cette maman de trois enfants souffre de ne pas les voir, faute de passer tout son temps au cabinet. “L’année dernière, je suis passée à côté de tout. Mes enfants sont importants pour moi et je ne m’en suis pas occupée. S’il fallait être à la chorale à 19h pour leur spectacle, j’arrivais quand c’était fini. Ou alors, le soir, quand je leur lisais une histoire, je le faisais de manière automatique et je ne savais même plus ce que je venais de lire la minute qui suivait, j’enchaînais les mots les uns après les autres… J’avais l’impression d’être à côté de ma famille.”

 

 

“C’était de la survie”

Alors, Marie sombre peu à peu. “J’ai déjà fait un burn out, j’avais cette expérience. Je me suis arrêtée cette fois juste avant de tomber dans une profonde dépression”, confie-t-elle. Fin juillet dernier, elle ferme son cabinet pour partir en vacances. “Je n’ai pas rouvert… Le jour où je devais le faire, je me suis écroulée en larmes”, murmure-t-elle. Pour elle, fermer son cabinet, “c’était de la survie”.Le signal d’alarme c’est quand j’ai commencé à avoir des idées suicidaires. Quand vous passez sur un pont tous les jours et que vous avez envie de sauter pour vous soulager, vous vous dites que ce n’est pas normal…”.

Affaiblie, elle n’en est pas moins en colère contre les autorités sanitaires qui ont laissé la médecine générale se dégrader au fil du temps. “Actuellement, je peux dire que la médecine générale ne me convient pas. C’est un exercice sacrificiel, on n’a pas de vie. On est tout le temps en train de nous culpabiliser, de nous demander de faire plus, sans nous donner plus…”, souffle la jeune praticienne. Pas besoin de chercher bien loin pour trouver des exemples. “La grève des urgences cet été, par exemple. J’étais appelée tous les jours par le 15 qui me demandait de prendre des patients qui n’étaient pas les miens, en plus de mes propres patients. Il fallait que je les rajoute dans mon planning, sans me laisser le choix. Mais je pouvais les voir quand à votre avis, alors que mon agenda était déjà plein ? Le soir. Ou sur ma pause déjeuner. Attention, ça peut arriver une fois de temps en temps ! Mais quand c’est tous les jours… On devient folle.”

A la question de savoir si elle prend encore du plaisir à exercer, Marie botte timidement en touche. “C’est difficile. Je ne sais pas où je vais et il devient de plus en plus concret pour moi que je vais arrêter pour passer à autre chose”, confie-t-elle. Car elle le sait, son ras-le-bol ne disparaîtra pas : “Ça fait 20 ans que ça dure, depuis l’internat, c’est dur. Pas seulement sur le plan psychologique mais aussi physique. On nous demande d’enchaîner les gardes, des heures, on manque de sommeil. On est souvent livrés à nous-même.”

Elle enrage aussi contre l’omerta qui existe, entretenue par les responsables politiques. “Une collègue m’a raconté que dans sa promo, une dizaine d’étudiants se sont suicidés. Je ne connais pas beaucoup de métiers où on se suicide en faisant ses études”, s’insurge-t-elle. “Sous prétexte qu’on a des capacités intellectuelles et qu’on arrive à faire ces études et ce boulot, il faudrait qu’on arrive toujours plus à se sacrifier pour les autres… A un moment, stop !”, poursuit Marie, des larmes dans la voix.

La médecin a d’ailleurs encore en travers de la gorge la crise sanitaire et “les applaudissements pour les soignants”. Elle exerçait dans le médico-social, à l’époque. “On a eu un cluster Covid en mars, on a prévenu l’ARS. On nous a envoyé des lots de masques FFP2 moisis, dont les lanières s’effritaient.” Une question la taraude : “On soigne les autres, mais qui se soucie de nous ? De comment on va, nous les médecins ?”

 

 

“J’avais le sentiment d’auto-détruire ce que j’avais construit”

Aujourd’hui soulagée d’avoir mis fin à la spirale infernale qui la poussait vers la dépression, Marie se sent toutefois pleine de culpabilité. “J’ai le sentiment d’auto-détruire ce que j’ai construit. Je culpabilise de laisser tous mes patients”, confie-t-elle.

Son départ brutal a été annoncé à sa patientèle au moyen d’une pancarte sur la porte du cabinet ainsi que par mail. Relativement peu soutenue par les propriétaires du centre médical, elle doit s’acquitter de ses mois de loyer jusqu’à la fin de l’année, car elle n’a trouvé aucun successeur. “J’ai déposé mon préavis et j’ai payé les six mois que je lui devais. Je ne travaille plus mais je lui ai payé 5 000 euros. Il n’y a pas de pitié”, grince-t-elle.

S’estimant dans une situation délicate financièrement, Marie s’est accordé un mois avant de reprendre le travail. “Il y avait la survie pour moi-même, maintenant c’est un problème de survie financière. Ce n’est pas facile, je ne vais pas hyper bien, j’ai eu un mois de vacances en plein burn out et ce n’est pas assez. J’ai dû reprendre le travail très vite alors que je suis en souffrance. Je suis comme tout le monde : j’ai des enfants, un prêt à payer…”

Elle a donc repris “le premier travail qu’elle a trouvé” dans un SSR en tant que salariée où elle gère la fin de vie de patients hospitalisés. “Je me suis dit que j’allais serrer des dents.” “Ceci dit, c’est déjà un soulagement de ne plus avoir l’administratif à gérer. J’ai des astreintes, des gardes, mais au moins, je ne passe plus mes week-ends à faire ma comptabilité.”

Son cabinet n’est toutefois pas encore totalement derrière elle. A son départ compliqué s’ajoutent des problèmes avec Doctolib. “Quand j’ai mis fin à mon activité, j’ai demandé à récupérer mes dossiers patients… ça fait deux mois et j’attends toujours”, explique-t-elle. Alors qu’elle sollicite à de nombreuses reprises le support du logiciel patient, son compte est fermé. “J’avais laissé un mail à mes patients pour leur envoyer leur dossier médical s’ils le souhaitaient mais aujourd’hui je suis bloquée, je ne peux rien faire.” Après plusieurs relances, un référent lui indique que le format de ses dossiers n’est pas exploitable manuellement, qu’il faut absolument le rentrer dans un autre logiciel patient. “Mais ce monsieur s’en fiche. Il m’a dit que récupérer mes dossiers n’était pas ma priorité comme je viens de fermer… On marche sur la tête.” “Je ne vais plus voir mon mail car ça me stresse, je dois avoir une centaine de mails de personnes qui attendent et je ne suis pas en mesure de leur donner. Tout ce que j’avais est perdu”, désespère-t-elle. Marie ne compte pas abandonner ses relances mais craint aujourd’hui qu’il n’y ait “pas beaucoup d’espoirs”. Elle s’inquiète d’ailleurs d’un possible risque médico-légal, si l’un de ses patients venait à avoir un problème. Une angoisse de plus.

 

 

Aujourd’hui, Marie est écoeurée par la médecine. Ce pour quoi elle s’est battue pendant ses études l’a déçue et elle ne voit pas d’améliorations possibles dans l’avenir, alors que les propositions de loi et amendements coercitifs se multiplient à l’Assemblée nationale et au Sénat. Elle ne veut plus être celle qui prend sur elle pour les autres sans protection, aide ou écoute. “J’ai toujours été passionnée de littérature. Je me dis, pourquoi pas, devenir professeure de français un jour…”, sourit-elle avec espoir.

 

* Le prénom a été modifié.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

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