“Instaurer une permanence de soins obligatoire, c’est la garantie d’une grève nationale”
Alors qu’Emmanuel Macron a promis de faire de la santé une priorité du nouveau quinquennat, les attentes des libéraux sont nombreuses, notamment sur la problématique de l’accès aux soins. Le Dr Luc Duquesnel, président du syndicat Les Généralistes-CSMF, appelle à agir urgemment sur cette question cruciale. Mais, attention, prévient-il : les mesures qui seront prises ne devront pas se faire au détriment d’une prise en charge de qualité des patients ni aux dépens des médecins sur le terrain.
Egora.fr : Un nouveau gouvernement devrait être nommé d’ici peu par Emmanuel Macron. Quels sont les chantiers prioritaires du ou de la futur(e) ministre de la Santé ?
Dr Luc Duquesnel : Il faut commencer par les dossiers qui ne peuvent pas attendre la prochaine convention médicale, comme les problèmes d’accès aux soins, la généralisation du service d’accès aux soins (SAS) et les conditions dans lesquelles cela va se faire. Quand on parle d’accès aux soins, on parle tout autant des patients sans médecins traitants, que de la problématique des fermetures estivales des services d’urgence. Depuis l’été 2021, il ne s’agit plus de fermetures estivales mais de fermeture, un tiers des jours du mois, de ces services dans beaucoup de départements français. Je rappelle aussi que les médecins urgentistes annoncent que cette situation va être catastrophique cet été. Pour ce qui est des médecins généralistes, on connaît leur démographie déficitaire, la difficulté de l’accès aux soins aux heures d’ouverture du cabinet et on sait également que, l’été, ils ne trouvent plus de remplaçants. J’ai donc une question pour le prochain ministre : que met-on en place pour cet été ? Nous sommes dans l’urgence.
Vous souhaitez agir vite, mais Emmanuel Macron a promis pendant la campagne un “changement de méthode” et l’ouverture d’une “grande concertation” avec les soignants…
Cette concertation va prendre trop de temps. On attend déjà la nomination d’un ministre, savoir s’il y aura un changement après les élections législatives au mois de juin… Et on sera déjà en juillet. C’est maintenant qu’il faut travailler. En plus de cela, on a vu ces dernières années l’efficacité des régions à mettre en place des réponses aux problématiques du soin et cela a été particulièrement vrai depuis plus de deux ans dans le cadre de cette crise sanitaire où en une semaine les professionnels de santé libéraux ont mis en place des centres Covid puis des centres de vaccination. Je ne suis pas contre une grand-messe nationale, mais elle aura vocation à donner des réponses à moyen et long terme.
Parmi les priorités urgentes à vos yeux, il y a l’accélération de la mise en place du SAS. Pourquoi ?
Nous sommes déjà début mai. Aujourd’hui, le service d’accès aux soins a tout à fait vocation à répondre à la problématique de l’accès aux soins qui nous préoccupe aux heures d’ouverture des cabinets. On voit actuellement l’échec des 22 territoires – ou presque –, engagés dans l’expérimentation du SAS depuis deux ans. Le plus souvent la régulation fonctionne, mais il manque les effecteurs. En revanche, il est intéressant de noter que cela marche très bien quand les ARS, avec l’aide d’autres acteurs, des conseils départementaux ou des CPTS par exemple, s’affranchissent de l’avenant 9 et de la plateforme numérique nationale. Je pense à la Sarthe, à la Vendée, notamment. Ces réussites vont à l’encontre des règles majeures édictées par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). En fait, des expérimentations départementales sont un succès … alors que les expérimentations nationales sont un échec. On sait en plus qu’au mois de mai, on aura une généralisation de ce SAS, mais on ne sait pas quel cadre ni quelles directives seront donnés aux ARS. Malheureusement, on craint que ces directives soient celles qui expliquent l’échec des 22 expérimentations : utilisation obligatoire de la plateforme numérique nationale et de l’avenant 9. Je me répète, le SAS c’est une urgence.
Pendant la campagne, le président a annoncé qu’il voulait instaurer une permanence de soins à caractère obligatoire pour les médecins. Cette mesure fait-elle sens aujourd’hui ?
Au contraire, c’est un non-sens. Si on veut vraiment perdre du temps, c’est comme cela qu’il faut agir. Instaurer une permanence de soins obligatoire, c’est la garantie d’une grève nationale. Rappelez-vous 2002. Ce sera pareil : tous les syndicats vont s’entendre pour déclencher une grève nationale pour protester contre une obligation individuelle de participation à la permanence des soins. Ce n’est pas logique… Il faut mettre en place une PDSA qui réponde aux besoins de la population et qui ne sera pas la même entre deux départements, entre deux territoires.
Sur le moyen terme, les conseillers en santé d’Emmanuel Macron ont proposé de miser sur plus d’assistants médicaux. Est-ce une bonne chose ?
Oui. Mais je crois qu’il faut aussi accompagner les professionnels de santé dans les réorganisations qui iront avec. Quand un médecin vous dit qu’il veut embaucher un assistant médical temps plein niveau infirmière, qui va l’aider à imaginer son nouveau cabinet ? Car il faudra nécessairement changer des choses. Imaginons qu’il ne veuille pas être employeur, qui va lui expliquer comment faire ? Le rassurer ? D’autant que pour l’Assurance maladie, les médecins devront prendre plus de patients en contrepartie. Cela leur fait peur, alors qu’ils ont déjà la tête sous l’eau. On sait en pratique qu’avec un assistant médical temps plein niveau infirmière, on peut prendre en charge 15 % à 20 % de patients en plus, sans travailler plus, les patients vous disent qu’ils sont mieux pris en charge et ces médecins déclarent : « plus jamais comme avant ». Pour autant, on avance difficilement sur ce point. J’insiste aussi sur une chose : on ne doit pas réserver les assistants médicaux à temps plein aux seules zones avec des problèmes d’accès aux soins.
Il n’y a pas que les assistants médicaux, les médecins peuvent aussi compter sur les infirmières de pratique avancée désormais…
Oui, mais il faut être motivé pour s’engager dans cette démarche ou en embaucher… Tout d’abord, il y en a peu qui ont été formées pour l’ambulatoire. Ensuite, les médecins traitants nous disent qu’ils ne comprennent pas qu’ils soient payés seulement 25 euros pour une consultation, alors qu’ils ne verront le patient parfois qu’une fois dans l’année pour sa pathologie chronique, car le reste du temps il sera pris en charge par l’infirmière. Évidemment, ce sera une consultation longue, voire très longue. C’est un sujet à régler rapidement. Il faut absolument rendre incitatif le fait que des médecins confient une partie de leurs patients atteints de pathologies chroniques stabilisées à une infirmière, dans le cadre de la convention. Il faut donc valoriser la consultation et les actes complexes, car c’est ce qui va leur rester en majorité, là où on a besoin de l’expertise du médecin traitant.
Même si beaucoup de médecins y sont réticents, Emmanuel Macron entend poursuivre les délégations de tâches vers d’autres professionnels de santé. Cela répondra-t-il à la pénurie de généralistes dans les territoires ?
Je trouve certaines propositions ahurissantes car, sous prétexte de vouloir améliorer l’accès aux soins, on s’inscrit dans la non-qualité de ces soins. Autant l’infirmière de pratique avancée, qui a fait deux ans de formation en plus de son diplôme, qui a un niveau master, qui travaille sur les pathologies chroniques, c’est sensé. Mais là… Cela donne l’impression que c’est simple de renouveler un traitement. Dans ce cas, autant signer “QSP 1 an” sur les ordonnances. C’est une aberration. Les patients atteints de pathologies chroniques méritent une surveillance spécifique. L’activité du médecin traitant ne se réduit pas à renouveler une ordonnance. Si ce n’était que cela, les patients appelleraient nos secrétaires et elles pourraient très bien le faire elles-mêmes, imprimer l’ordonnance et nous, on les signerait. D’autant que le pharmacien ne va pas appeler à chaque fois qu’il renouvelle un traitement, sinon la ligne va être encombrée. Au moins, l’IPA est autonome et elle est formée pour.
En plus de cela, des “référents santé”, qui pourront être pharmaciens, kinés, ambulanciers, infirmières par exemple, verront bientôt le jour. Ils auront un rôle de “porte d’entrée” dans le système de santé, a expliqué le Dr François Braun, conseiller santé du président pendant la campagne. Approuvez-vous ce nouveau dispositif ?
Mais… ce référent ne va pas appeler le médecin ! Il appellera le secrétariat, qui fera la même réponse que si un patient appelle de lui-même. Cela ne servira à rien. Il faut préserver le médecin traitant et plutôt miser, dans ce cas, sur les équipes de soins primaires (ESP), dans le cadre d’un avenant à l’accord conventionnel interprofessionnel en faveur du développement de l’exercice coordonné et du déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (ACI-CPTS) ou dans le cadre des équipes de soins coordonnés autour du patient (ESCAP).
Avez-vous le sentiment qu’Emmanuel Macron a compris les enjeux essentiels de la médecine libérale pour ce nouveau quinquennat ?
Ses annonces n’ont pas été faites à destination des professionnels de santé mais dans le cadre de la campagne électorale, comme les autres candidats où chacun était dans une surenchère. Il n’y a pas eu de véritable concertation. On doit laisser les professionnels s’organiser sur le terrain et les accompagner, en cohérence avec les besoins de santé locaux. Les mesures prises pour améliorer l’accès aux soins ne doivent pas nous amener à une non-qualité de prise en charge.
Quels autres enjeux sont prioritaires pour le quinquennat qui s’ouvre, selon vous ?
Il y en a beaucoup, bien sûr… Je crois qu’il faut d’abord s’occuper du phénomène d’ubérisation de la téléconsultation. Je vais prendre un exemple : dans certains départements, ceux où il y a un SAS par exemple, où existe une régulation libérale aux heures ouvrées des cabinets, quand les patients font le 15 ou le 116-117, il y a un médecin généraliste au téléphone qui fait un interrogatoire, donne des conseils et peut envoyer des ordonnances. Dans ces départements, l’Assurance maladie continue à rembourser toutes les téléconsultations, y compris celles réalisées par des sociétés à but lucratif… Cela contribue à déréguler le système. C’est une gabegie financière et un non-sens. Ensuite, je vois au moins un autre problème urgent : il faut améliorer le lien entre les généralistes et les autres médecins spécialistes. Aujourd’hui, la problématique de l’accès aux soins des spécialités est très difficile, et parfois la seule solution c’est de faire passer les patients par les services d’urgence. Nous devons travailler ensemble et je suis sûr que nous trouverons rapidement des outils.