Passer au contenu principal

EGORA – Installation, exercice, formation : comment les carabins veulent mettre “fin aux problèmes qui gangrènent les études de médecine”

A deux mois des élections présidentielles, l’Association nationale des étudiants en médecine de France veut peser dans les débats sur l’avenir du système de santé. Si les réformes du premier et deuxième cycle, les violences sexuelles et sexistes, la problématique des risques psychosociaux ont été régulièrement à la une de l’actualité l’an dernier, ce sont les questions de démographie médicale et de liberté d’installation qui occupent désormais le premier plan des discussions, dopées par la course à l’élection présidentielle. Dans un livre blanc qu’Egora publie en exclusivité, l’association formule plus d’une centaine de revendications afin d’améliorer cinq grands piliers du monde de la santé et des études de médecine : la précarité, la formation, l’exercice médical, le système de santé et la société.

 

Ils entendent peser dans le débat des présidentielles pour mettre “fin aux problématiques qui gangrènent” leurs études. Dans un livre blanc intitulé “‘l’avenir du système de santé vu par les étudiants en médecine”, l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) formule plus d’une centaine de revendications portant sur cinq grands piliers : la précarité, la formation, l’exercice médical, le système de santé et la société, qu’ils iront porter devant chacun des candidats à l’élection.

Ces revendications, qu’Egora publie en exclusivité, s’ouvrent sur un premier volet consacré à la précarité. “Ce n’est pas anodin de mettre la précarité en premier. Je crois qu’il faut casser les idées reçues comme sur notre salaire”, explique le président de l’Anemf, Nicolas Lunel. “Jeunes privilégiés”, “études payées par l’État”… depuis toujours en effet, de nombreux clichés collent à la peau des carabins. Pour Nicolas Lunel, ce livre blanc a donc vocation à permettre “une plus juste représentation de ce qu’est un étudiant en médecine”.

 

 

Impossible d’abord pour l’association étudiante de parler précarité sans parler revalorisation de salaire. Grâce au Ségur de la santé, pour 100 heures de travail dans le mois, le salaire des externes s’élève aujourd’hui à 260€ brut mensuel en quatrième année, 320€ brut mensuel en cinquième année et 380€ brut mensuel en sixième année. Cela revient à un taux horaire de 2,60€ net en quatrième année, 3,20€ net en cinquième année et 3,90€ net en sixième année. L’Anemf demande donc de revaloriser tous les salaires à un minimum de 375€ brut par mois, et d’ouvrir l’éligibilité à la prime d’activité pour tous les étudiants en médecine. A l’heure actuelle, ils ne peuvent en effet pas y prétendre faute de salaire suffisamment élevé (943,44€/mois pour en bénéficier). “Les pouvoirs publics continuent d’assumer une rémunération des étudiants hospitaliers inférieure à celle des stagiaires du deuxième cycle de l’enseignement supérieur, qui est de 3,90€ par heure. Cette différence de valorisation entre des étudiants de même niveau universitaire est inexplicable et persiste depuis trop longtemps”, rappelle l’Anemf.

Alors que plus de 23% des étudiants en médecine ont déjà songé à arrêter leurs études pour raison financière et qu’un étudiant sur dix se retrouve dans le négatif chaque mois, l’association demande également le maintien des bourses l’été pour les étudiants hospitaliers ainsi que l’ouverture des services de gestion des oeuvres sociales des centres hospitaliers universitaires de rattachement aux étudiants hospitaliers. Enfin, les carabins ont de nombreux frais onéreux au cours de leur cursus. Pour l’Anemf, il est impératif par exemple que les tutorats soient mis en avant par des moyens matériels, financiers et pédagogiques plus importants afin d’éviter le recours aux prépas privées. Il existe aussi selon l’association un vrai problème concernant les référentiels des collèges d’enseignants de spécialité pour les ECN qui sont publiés “par des maisons d’édition quasi-hégémoniques” au prix de 35 euros l’unité. Ils revendiquent donc la mise à disposition gratuite et numérique de ces derniers ainsi que d’inscrire les livres universitaires comme des livres scolaires afin qu’ils soient accessibles à prix réduits.

 

Découvrir toutes les pratiques pendant la formation pour donner naissance à des projets d’installation

“L’exercice de la médecine ne se résume pas à une simple dichotomie entre médecin de campagne et praticien hospitalier (…) La formation des médecins de demain doit être à l’image de cette diversité”, affirme l’Anemf dans un volet consacré à ses propositions sur l’exercice médical. Selon les projections de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), le nombre de praticiens en France devrait stagner jusqu’à 2030 avant de remonter. Pour compenser ce manque de praticiens, les candidats à la présidentielle sont de plus en plus nombreux à inclure des mesures coercitives dans leurs programmes. Attention au risque de dévaluation de la médecine libérale, prévient l’Anemf qui craint également la création d’une médecine “à deux vitesses”. “Par quels moyens peut-on donner envie à un jeune médecin d’aller s’installer dans un territoire ?”, interroge-t-elle aussi, en y voyant au moins trois réponses : favoriser la découverte des modes d’exercice et territoires, accompagner l’installation des jeunes médecins et rénover l’offre de soins.

 

 

Grâce à cette double découverte mode d’exercice et territoire, Nicolas Lunel espère que les carabins seront mieux orientés. “Souvent, on ne voit notre choix post-ECNi que par le biais de la spé, au détriment du projet. Le fait de découvrir les modes d’exercice, comprendre comment ils fonctionnent, comment on va pratiquer plus tard, peuvent aboutir à des choix auxquels on n’aurait pas forcément pensé.” L’Anemf revendique ainsi la proposition de stages en périphérie et le développement de l’approche territoriale du soin, “en sensibilisant dès le premier cycle à la notion de responsabilité sociale afin de faciliter l’appropriation des problématiques locales” une fois le médecin installé. Elle propose aussi d’intégrer dans le programme national d’enseignement les différents modes d’exercice et les perspectives de carrière des différentes spécialités existantes.

Beaucoup de leurs propositions sont… par ailleurs basées sur l’appui et le travail avec les collectivités territoriales.On a décidé de les inclure car depuis plusieurs années, les politiques de santé et d’enseignement supérieur observent une décentralisation de certaines de leurs missions. Il ne faut plus considérer l’État comme le seul acteur de notre formation et seul acteur de l’écosystème dans lequel on évolue. Nous pensons qu’il faut aussi considérer toutes les collectivités territoriales dans cette problématique pour s’adapter le mieux possible aux situations qu’on trouve”, détaille Nicolas Lunel. L’Anemf propose donc de développer des hébergements territoriaux des étudiants en santé (HTES) afin de permettre aux étudiants de se loger lorsqu’ils sont en stage dans ces terrains ainsi que d’étendre l’indemnité d’hébergement de 150€ brut pour les stages ambulatoires en zones sous-denses aux stages réalisés en centres hospitaliers périphériques.

Afin de favoriser l’installation des jeunes médecins, elle mise aussi sur le développement des mesures de redensificiation territoriale en matière d’offre de soin tout en menant une politique identique sur le reste des services publics “nécessaires à une installation pérenne”. A l’échelle régionale, elle souhaite augmenter le Fonds d’intervention régional pour soutenir les professionnels de santé dans leurs actions territoriales ainsi que régionaliser les objectifs de santé publique. Par ailleurs, le guichet unique servant à accompagner les médecins dans leur installation en milieu libéral doit être mis en avant, selon elle. Elle propose également la création d’un guichet d’accompagnement et de soutien au développement des projets territoriaux des soignants “afin de faciliter l’engagement d’intérêt général pour les médecins hospitaliers et libéraux”.

 

Miser sur l’exercice coordonné

Pour l’Anemf, “l’ampleur du problème” de la démographie médicale “mérite que l’on s’intéresse à une rénovation plus générale du système de santé”. “L’un des leviers concernant les difficultés d’accès aux soins est la libération du temps médical”, note l’association pour qui il est donc intéressant d’explorer la piste du fonctionnement interpro.

Sans surprises, elle revendique donc de favoriser l’exercice coordonné entre professionnels de santé en facilitant la création de maisons de santé pluriprofessionnelle (MSP), de collectivités territoriales de santé (CPTS) ou de centres de santé. “Le système de santé n’est pas une galaxie figée au centre de laquelle se trouve le médecin. Celui-ci évolue dans un environnement complexe où il interagit avec plusieurs acteurs dans un seul et unique but : le bien-être des patients”, appuie encore l’Anemf qui regrette que cette synergie entre professionnels de santé apparaisse trop tard dans la formation des carabins.

Pour y remédier, elle revendique de favoriser divers enseignements en interprofessionnalité. “On inclut ces propositions dans le livre blanc parce que quand on regarde les déterminants d’installation, les étudiants et jeunes médecins veulent pouvoir pratiquer ensemble. Le mode d’exercice ‘à l’ancienne’ du médecin dans son cabinet isolé n’est plus vraiment un exercice qui intéresse. La nouvelle génération préfère une installation où on peut bénéficier des conseils de la sage-femme, de l’infirmier, de l’orthophoniste, explique Nicolas Lunel. “Si on l’intègre dans nos programmes, ça permet d’être un tremplin pour des travaux pratiques en commun avec d’autres filières de santé. On pourrait, dès notre apprentissage, commencer à fonctionner ensemble”, ajoute-t-il. L’Anemf recommande donc de créer un référentiel de compétences commun aux différentes formations de santé et de diversifier les lieux de stage en interprofessionnalité, comme en MSP par exemple.

Il faut enfin, à leurs yeux, soutenir le développement des lieux de téléconsultation et rouvrir la signature du Contrat d’engagement de service public (CESP) pour les étudiants du premier cycle des études médicales afin de permettre aux étudiants ayant un projet professionnel de bénéficier d’aides.

 

Meilleure coordination ville-hôpital

“Au sein de la chaîne du soin, le médecin généraliste joue un rôle de premier recours et d’orientation du patient”, il est donc “un élément central dans notre système de soin”, affirme l’Anemf dans son volet consacré au système de santé. “Pour qu’il puisse s’intégrer pleinement à son écosystème, il doit s’insérer dans des réseaux performants de soins avec l’ensemble des acteurs du territoire”, estime encore l’association. Elle propose donc de faciliter les missions extérieures des praticiens hospitaliers sur le territoire ou de transformer les groupements hospitaliers territoriaux (GGT) en réseaux territoriaux de soins afin de leur permettre de prendre en charge le lien… entre les professionnels ambulatoires et les établissements hospitaliers. Enfin, elle propose la mise en place de missions temporaires pour les praticiens des centres hospitaliers valorisées par des primes portant sur le management ou l’enseignement à l’hôpital et non en faculté par exemple. “Il faut poursuivre le travail afin qu’il y ait une meilleure interconnexion et prises de décisions qui soient faites en intégrant tous les acteurs pour que le parcours du patient soit facilité, qu’on monte des projets pour répondre aux problématiques de santé des territoires”, commente Nicolas Lunel.

 

 

Prévention, pédagogie, prise en charge des personnes vulnérables : la société au coeur des enjeux

Pour l’Anemf, la prévention est l’un des défis majeurs des soignants des années à venir. Considérant que la résistance antimicrobienne pourrait, par exemple, causer 10 millions de décès par an dans le monde, elle estime nécessaire de renforcer la formation des professionnels de santé à l’antibiorésistance. En parallèle, elle souhaite renforcer la connaissance de la population générale sur les antibiotiques et leurs impacts.

A la prévention, l’Anemf associe l’éducation et formule des propositions inspirées par le phénomène de défiance massive envers les vaccins, constatée pendant la crise sanitaire. Il faudrait, selon elle, relancer les campagnes de communication et l’évoquer dès le plus jeune âge. Enfin, elle axe une série de propositions sur la prise en charge des personnes vulnérables : personnes en situation de handicap ou des patients victimes de violences intrafamiliales, par exemple. “Nous évoluons en stage comme tout autre médecin et souvent, nous sommes la première personne qui vient voir le patient. Il faut qu’on soit en capacité de détecter des violences familiales par exemple, comprendre les messages cachés qu’on cherche à nous faire passer”, appuie le président de l’association. Pour cela, l’Anemf propose de favoriser les stages de sensibilisation dans les milieux médico-sociaux, de soins et aides à domicile ainsi que d’accentuer la formation sur la prise en charge des patients victimes de violences de l’ensemble des professionnels concernés.

 

Vers une meilleure formation des étudiants en médecine

Depuis plusieurs années, l’Anemf fait le constat que le budget consacré aux établissements de l’enseignement supérieur augmente… tandis que les moyens alloués par étudiant diminuent. Pour l’association, l’une des urgences est à l’augmentation du nombre d’enseignants et de formateurs, face à “l’augmentation croissante des effectifs des promotions”. Priorité est donc donnée à l’augmentation massive des ressources humaines, “en veillant à assurer une égalité du ratio entre le nombre de professeurs et le nombre d’étudiants entre les différentes villes”.

Il est également essentiel pour l’association de faire corréler la réforme du premier cycle des études de santé, également surnommée “réforme du numerus clausus” avec la réforme du deuxième cycle. L’Anemf vise plus particulièrement la nécessité de faire correspondre les besoins démographiques en médecins avec les limites de capacité de formation des UFR de médecine. Même si le numerus clausus a été supprimé au profit des objectifs nationaux pluriannuels, visant à établir pour cinq ans un nombre de professionnels de santé à former selon les besoins des territoires, le bilan est pour l’instant en demi-teinte. “’On a un dialogue imposé entre l’université, les représentants étudiants, l’ARS, les associations de patients, les collectivités territoriales et cela va dans le bon sens. Le problème, c’est qu’il a été annoncé avec cette réforme qu’on allait former plus de médecins. On constate aujourd’hui une certaine pression et difficulté car on s’attend à ce résultat face aux problèmes de démographie médicale mais nous avons des établissements qui ne sont pas capables d’accueillir plus d’étudiants”, estime Nicolas Lunel.

 

Qualité de vie dans les études et dans les stages

75% des étudiants en médecine reconnaissent avoir souffert de symptômes dépressifs en 2021, 39% des symptômes de dépression. Selon la Fondation Jean Jaurès, un interne à trois fois plus de risques de se suicider qu’un Français du même âge de la population générale.  “Les risques psychosociaux sont omniprésents dans notre cursus”, rappelle l’Anemf. A ce phénomène d’hyper anxiété s’ajoutent les violences sexuelles et sexistes. D’après une étude publiée l’an dernier par l’Anemf, un étudiant sur quatre a déjà été victime de harcèlement en stage.

Comment lutter ? En rendant d’abord obligatoire une formation pour tout personnel accueillant des étudiants en stage, et en sanctionnant financièrement les établissements où les situations continuent de se produire en dépit d’avertissements. L’Anemf demande également de sanctionner les auteurs de violences par des sanctions disciplinaires et par un retrait de la capacité d’encadrement ainsi que d’ouvrir des commissions sanctionnantes incluant à la fois des étudiants et des professionnels extérieurs au milieu de la santé pour lutter contre “l’entre-soi” des médecins.

 

 

L’accent sur l’écologie

Parmi ses autres propositions, l’Anemf entend promouvoir une médecine “basée sur la science” via le développement de diverses formations à l’esprit critique, à la recherche d’information fiable ou la promotion pharmaceutique, par exemple. Elle souhaite également renforcer l’indépendance des carabins face à l’industrie pharmaceutique.

Enfin, l’association souhaite une santé “tournée vers l’environnement, tenant compte du dérèglement climatique et de ses impacts sur la santé publique mondiale. “Il ne faut plus voir l’environnement comme quelque chose à conserver mais plutôt comme un acteur essentiel de notre santé”, estime Nicolas Lunel.

“Formation, précarité, santé mentale, déserts médicaux, environnement… Les propositions des étudiants en médecine balaient très largement de nombreuses thématiques où les attentes sont conséquentes pour ces cinq prochaines années”, conclue l’Anemf à la fin de son livre blanc, espérant ainsi “des résolutions fortes” et “un investissement massif”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

Sur le même thème :
Déserts : pourquoi la 4ème année de médecine générale serait un bon “compromis” pour le Doyen des doyens
Gâchis humain, sélection, programmes : rien ne va dans la réforme de la Paces pour l’Anemf
Fin du numerus clausus : comment fonctionne le nouveau système de sélection
“Vous les externes, vous êtes des chiennes” : enquête sur la face cachée des études de médecine