Après plus de 16 ans de recherche, la petite commune creusoise de Sardent, située en plein désert médical, a vu s’installer, au cœur de l’été, un jeune médecin généraliste. En quête d’exercice libéral isolé et rural, le Dr Franck Raton, âgé de 38 ans, a choisi de donner “du sens” à son exercice en ouvrant son cabinet dans un territoire qui en avait urgemment besoin. A contre-courant des médecins de sa génération, cet ancien médecin militaire souhaite se rendre “utile” et se débrouiller par lui-même. Estimant qu’il ne fait pas ce métier “pour le fric” mais pour les patients, il ne souhaite également pas passer pour un médecin “vénal” en bénéficiant d’aides à l’installation trop généreuses. Récit.

 

Cela faisait 16 ans. 16 ans que les habitants de Sardent, bourgade creusoise de 800 habitants, répartis entre le bourg et une cinquantaine de petits hameaux, vivaient sans médecin généraliste sur place. Suite à un divorce en 2005, l’ancien médecin de la commune avait décidé de quitter les lieux précipitamment. Son cabinet se trouvant dans sa maison, conservée par son ex-femme au moment de leur séparation, le remplacement était difficile pour la municipalité de l’époque, qui ne disposait pas d’autre local disponible.

 

 

Bon gré mal gré, les Sardentais se sont débrouillés toutes ces années durant en consultant les médecins de communes aux alentours. “Il a fallu s’organiser et les habitants l’ont fait, même si c’est difficile. En 2005, la situation était un peu moins compliquée qu’elle ne l’est aujourd’hui puisqu’il y avait un certain nombre de médecins à Guéret, dont on est à 15 kilomètres, à Bourganeuf qui est également à 15 kms. Et puis aussi dans d’autres communes : il y avait deux médecins à 7 km et deux à 12 km. Les gens se sont tout simplement répartis sur les différents cabinets médicaux”, raconte le maire, Thierry Gaillard.

 

 

Des candidatures… fantaisistes

Problème : le département de la Creuse étant situé en zone de revitalisation rurale et en plein désert médical, les candidats à l’installation ne sont pas nombreux. Les médecins partant à la retraite ne sont pas ou peu remplacés. “On considère qu’il y a au moins la moitié, voire plus, des généralistes du secteur qui ne seront pas remplacés. Ce qui veut dire que, de façon progressive, les médecins sont surchargés de travail et en arrivent même à dire qu’ils ne prendront plus de nouveaux patients. Malheureusement, ils n’ont pas le choix”, se désole l’édile, qui estime que sur les 20 généralistes en exercice il y a quinze ans, il n’en reste plus que 10 actuellement.

Les maires successifs n’ont pourtant rien lâché : tracts, annonces, prospection en faculté de médecine… Ils ont tout fait pour trouver un nouveau généraliste. “Sur les trois dernières années, on a eu des contacts avec trois ou quatre médecins. Ils étaient en fin de carrière et envisageaient éventuellement de venir se mettre un peu au vert dans le département. Ça n’a pas abouti, c’était imprécis”, poursuit le maire, qui ajoute : “on a aussi eu des candidatures très fantaisistes”. Dans cette course aux médecins, Thierry Gaillard a, en effet, vu passer des praticiens avec des histoires pour le moins… originales. “Le dernier en date remonte à il y a huit mois. J’étais en contact avec un médecin d’une commune de Seine-et-Marne, qui avait une cinquantaine d’années, à qui il restait tout de même une quinzaine d’années d’exercice. Il souhaitait changer de vie et avait vu mon annonce. Lors de mon premier échange avec lui, il m’a expliqué qu’il fallait un cabinet médical, qu’il fallait tout équiper, acheter tout le matériel. Il était déjà installé, ça m’a paru curieux. Il fallait aussi lui payer le loyer de son habitation. Il s’est avéré que ce médecin avait été radié du Conseil de l’Ordre !”

Et puis, il y a ceux que Thierry Gaillard qualifie de “chasseurs de primes”. “Ils nous demandent sans arrêt ce qu’on a à leur offrir et c’est toujours plus. Nous, on ne voulait pas tomber dans ce circuit-là. On était prêts à aider, à accompagner. Mais il y a déjà des dispositifs d’aide sur le département, puisque la Creuse est classée en zone de revitalisation rurale, ce qui veut dire qu’il y a des avantages en termes d’allègements de charge ou d’exonération les cinq premières années. De notre côté, on peut accompagner pour la partie logistique, l’accueil, mais pas pour payer les courses, les croquettes du chien, j’en passe et des meilleures !”, s’agace-t-il.

 

 

“J’avais l’objectif de m’installer en libéral à la campagne”

Sans qu’il ne s’y attende, le vœu du maire a été exaucé au mois d’avril. Un profil “complètement improbable”, se souvient-il, sourire aux lèvres. “Il est jeune. Il m’a d’emblée dit qu’il voulait travailler en milieu rural voire très rural, retrouver un peu l’esprit du médecin de campagne. Et surtout, qu’il ne souhaitait pas travailler dans une maison de santé, mais seul.”

Ce médecin, c’est le Dr Franck Raton, 38 ans. Médecin militaire, il a quitté l’armée au mois de mars dans l’objectif de s’installer en libéral, dans le civil. “Le projet, c’était de m’installer en solo à la campagne. Il fallait que je trouve un territoire qui ait un manque, qui avait un besoin pour donner un peu de sens à ma démarche”, précise-t-il d’emblée. La quête de sens, c’est ce qui guide le praticien dans toutes ses démarches. Une fois libéré de ses obligations militaires, le Dr Raton fait des recherches et sélectionne plusieurs communes en recherche de généraliste, en Creuse, en Bretagne et en Lorraine. “Je les ai contactées, j’ai discuté des différents projets qui étaient en cours à chaque fois. Au fur et à mesure, j’ai étayé mon choix pour retenir Sardent. Car dans cette commune, les projets à court terme et à moyen terme étaient intéressants pour moi”, étaye-t-il.

Ce qui a plu au médecin, c’est en effet le projet municipal de “Maison des services” qui verra le jour dans le centre-bourg à l’automne 2022. “Ce sera véritablement une boîte à outils avec plusieurs services et dans laquelle on souhaite intégrer le cabinet”, explique Thierry Gaillard. “Il y aura l’agence postale communale, des bureaux de co-working, nous allons être labellisés Maison France Services et nous aurons donc tous les opérateurs d’État à l’intérieur. On veut en faire un espace d’accueil et de convivialité. Même s’il souhaite travailler seul, le docteur ne voulait pas pour autant être isolé”, poursuit encore le maire.

 

J’ai ma patientèle, j’ai ma retraite de l’armée. Je ne suis pas à plaindre

En attendant que cette Maison des services ouvre ses portes, la commune se démène pour trouver un local afin d’accueillir le Dr Raton et son cabinet médical le temps des travaux, puisqu’en 16 ans, aucun cabinet n’avait été recréé. “Ils ont contacté la propriétaire d’une maison à louer dans le centre du village qui a accepté qu’on fasse des travaux au rez-de-chaussée pour transformer l’habitation en cabinet médical et des travaux à l’étage pour transformer les chambres en zone de vie. Ils ont réussi à me trouver une solution, un local professionnel et un logement en un mois et demi”, se souvient-il.

 

 

Pour le maire de la commune, c’était “la moindre des choses”. “Il ne nous demande rien, il s’est débrouillé pour toutes les formalités administratives, l’achat de son matériel médical”, approuve Thierry Gaillard. “Il a dit qu’il trouvait indécent que certains de ses confrères pillent les collectivités et profitent d’une situation compliquée pour se faire de l’argent.” De son côté, le Dr Raton confirme sa position. “Les aides de l’ARS, je ne les ai même pas encore demandées, parce que je ne fais pas ce métier pour le fric et j’ai dû mal à justifier qu’on me file 50.000 euros en blanc sans avoir de regard sur ce que je peux en faire. Honnêtement, ça me surprend un peu que ça puisse exister. Je ne me sens pas forcément très légitime à la réclamer parce que je n’en ai pas besoin concrètement. J’ai ma patientèle, j’ai ma retraite de l’armée. Je ne suis pas à plaindre. L’ARS me dit qu’il faut que je la demande quand même mais pour l’instant, je n’ai pas donné suite”, explique-t-il modestement.

Venant tout juste de s’installer en libéral, le médecin a pourtant dû tout acheter. “La prime peut servir à ça, mais l’investissement pour un cabinet médical il y en a pour entre 10 et 15.000 euros au total. Ce n’est pas 50.000 euros non plus. On me dit ‘on vous file de l’argent pour vous installer’ en payant vos factures de matériel médical, ça ne me dérange pas. Mais là, me filer 50.000 euros en me disant ‘vous en faites ce que vous voulez et on ne regarde pas et on ne vous demande rien d’autre que de travailler’… ça me dérange”, continue-t-il. “Je n’ai pas envie de passer pour le médecin vénal qui est là pour récupérer la prime”, conclut-il. Seule concession : il a accepté que la commune lui paie son loyer d’habitation, le temps que les travaux de la Maison des services soient terminés. “Nous n’avons pas encore de local disponible qu’il puisse louer. Nous lui avons donc proposé -et il a fallu insister- de lui prendre en charge ce loyer en attendant”, complète Thierry Gaillard. Mais dès que la maison communale sera prête, le médecin entend bien payer son loyer pour son cabinet.

 

600 patients en trois mois

Le Dr Raton s’estime en effet chanceux. Alors qu’il a débuté ses premières consultations au mois d’août, son emploi du temps a rapidement été plein et il compte déjà plus de 600 patients. “Je suis à 100%, tous mes créneaux sont pris. Dès 9h en général, il n’y a déjà plus de place pour les créneaux du jour. Je suis à 20 à 30 consultations par jour”, estime-t-il. Certains Sardentais n’avaient plus de médecin traitant depuis 3-4 ans, avec nombre de soucis de santé chroniques. Les autres devaient parfois faire entre 10 et 30 kilomètres pour pouvoir se soigner.  “40% de ma patientèle a plus de 60 ans. Et 20% a plus de 70 ans”, détaille-t-il encore, avant de reconnaître que le rythme est “plus intense” que ce à quoi il s’imaginait.

 

 

Au quotidien, le praticien doit parfois faire “avec les moyens du bord”, désert médical oblige. “A Guéret, il y a un service de médecine générale de jour, ils acceptent tout le monde et ne font pas de tri, ça permet de boucher les trous quand il n’y a pas de médecin traitant. L’hôpital le plus proche, c’est Guéret, mais il n’y a pas toutes les spécialités donc c’est parfois compliqué. Mais à partir du moment où on sait que dans la Creuse, il n’y a pas toutes les spés et qu’il n’est pas impossible de faire 1h, 1h30 de route pour trouver certains spécialistes, on fait avec”, philosophe-t-il.

Récemment, le Dr Raton s’est lancé dans les visites à domicile à raison de deux fins d’après-midi par semaine. Il a également décidé de travailler une journée toutes les trois semaines à l’hôpital de Bourganeuf, pour continuer à faire des urgences. “C’est un service d’accueil médical, ils n’ont pas le label urgence. C’est un tout petit hôpital avec deux services de gériatrie et de soins de suite. La ville compte 2.500 habitants. À l’échelle de la Creuse, ça rend service”, reconnaît le médecin.

Rendre service, le Dr Raton fait tout pour. Thierry Gaillard salue en ce médecin un “côté humain extraordinaire”. Il est également soulagé pour sa commune qui va connaître, il en est sûr, “un regain de dynamisme”. “On mène plein de projets. En plus de la maison des services, on a des projets sur le commerce d’un restaurant. Et puis les autres professionnels de santé sont heureux. Il y a une pharmacie à Sardent et le pharmacien va partir à la retraite d’ici cinq ans. Avoir un médecin dans la commune, ça l’aide pour la transmettre. À court terme, nous étions vraiment en danger question offre de soins.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

Sur le même thème :
“Le libéral n’est plus attractif” : à 45 ans, ce généraliste devient “employé communal” d’un village de 2000 habitants
Rôle des ARS, mutuelles communales, installation des médecins… un rapport sénatorial s’attaque aux déserts médicaux
Dans ce département, 90% des habitants sont pour la fin de la liberté d’installation
Le conventionnement sélectif plutôt que l’obligation à l’installation : l’offre d’un sénateur aux médecins généralistes