L’avenant 9, qui vient d’être publié au Journal officiel, a fixé la rémunération des médecins dans le cadre du futur Service d’accès aux soins (SAS) qui doit permettre la prise en charge, dans tous les territoires, des soins non programmés en journée. Mais les tarifs proposés aux régulateurs (90 euros de l’heure) comme aux effecteurs (à partir de 10 points de forfait structure pour 5 à 15 actes par trimestre) peinent à convaincre les médecins sur le terrain. Pour le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, la bataille est loin d’être perdue. Car il n’y aura “pas de SAS sans médecins généralistes”, prévient-il.

 

L’avenant 9, qui fixe la rémunération des médecins dans le cadre du SAS, vient d’être publié au Journal officiel. Comment ces mesures ont-elles été reçues sur le terrain ?

Dr Luc Duquesnel : D’abord, il faut savoir que, sur le terrain, ne se sentent concernés que les médecins généralistes qui travaillent avec leurs collègues hospitaliers urgentistes/centres 15 aux 22 projets de l’expérimentation nationale du SAS ou bien à la mise en place d’un SAS l’an prochain dans leur département, financé par le fonds d’intervention régional (FIR) de l’ARS.

Ce qui rend le besoin urgent, c’est ce que l’on vit depuis cet été : la « crise estivale » des services d’urgence. Alors que l’été est fini, on se rend compte que la situation perdure voire va s’aggraver dans les mois à venir avec un nombre important de tours de garde qui ne sont pas pourvus et des services d’accueil des urgences (SAU) qui ferment la nuit. On voit là toute l’importance du SAS, dont le but est de prendre en charge les soins non programmés. A l’origine du SAS, il s’agissait de désengorger les urgences mais aujourd’hui, finalement, c’est de faire face à l’incapacité des SAU, à certaines heures, de prendre en charge les personnes qui viennent.

Pour ces médecins qui travaillent à la mise en place des SAS, le contenu de l’avenant 9 a suscité une incompréhension. Nous avons été obligés d’expliquer pourquoi les syndicats avaient signé malgré tout : ils n’avaient pas le choix, ils avaient le pistolet sur la tempe ! Mais finalement, je crois que le Gouvernement et l’Assurance maladie se sont tiré une balle dans le pied.

 

Où en sont les expérimentations ?

Dans certains sites, des opératrices de soins non programmés ont été recrutées. Et malgré tout, le SAS ne démarre pas parce que les médecins ne sont pas d’accord, soit sur le concept du SAS, qui impose de donner l’accès à son agenda au centre 15, soit sur la question des rémunérations. On voit à l’inverse d’autres SAS, financés par le FIR avec une régulation rémunérée 125 euros de l’heure et un acte majoré de 15 euros, fonctionner.

Dans d’autres endroits, l’ARS affiche un SAS fonctionnel alors qu’en fait, quand on interroge les médecins engagés dans la gouvernance de ces dispositifs, on s’aperçoit qu’il n’y a pas d’effecteurs… Les appels arrivent au centre 15, sont pris en charge par des médecins régulateurs libéraux – et cela depuis de nombreuses années comme à Metz, Bordeaux ou Nantes- mais il n’y a pas d’effecteurs en dehors de quelques cliniques qui montent des services de soins non programmés aux heures ouvrées des cabinets et acceptent de prendre ces patients. Mais cela ne concerne que les zones urbaines. Or, le SAS devait avant tout prendre en charge le soin non programmé dans les “déserts médicaux”, là où l’offre de soins est la plus pauvre, c’est-à-dire avant tout dans les zones rurales ou semi-rurales, où il n’y a pas de cliniques et de services de soins non programmés, ni SOS Médecin…

 

Donc 20 SAS fonctionnels sur 22, c’est de l’affichage selon vous ?

Totalement. Les rares SAS qui fonctionnent sont ceux qui, comme à Metz, avaient été lancés avant, avec des financements dédiés de l’ARS. Après, qu’appelle-t-on un SAS qui fonctionne ? Si c’est un SAS qui permet au patient d’être pris en charge par des médecins généralistes de terrain, au travers d’une organisation territoriale, cela, très clairement, ça ne marche pas aujourd’hui.

 

On aurait plus de mal à trouver des effecteurs que des régulateurs ?

Les régulateurs, cela va à peu près car les centres 15 sont situés dans les grandes villes où la densité de médecins généralistes est plus importante. Dans d’autres départements, la régulation délocalisée a été autorisée et permet à tous les médecins généralistes du département d’être potentiellement des régulateurs. Car, quand on exerce à 45 minutes du centre de régulation, la garde de 6 heures occupe en fait 8 heures… C’est dissuasif.

Il y a aussi quelques territoires, de rares agglomérations, où il y a une densité relativement importante de médecins généralistes qui souhaitent travailler plus. Ils voient le SAS, et le fait d’avoir des appels transmis par le centre 15, comme une aubaine. Mais le SAS n’a pas été mis en place pour ces zones où il n’y a pas de problèmes d’accès aux soins ! Finalement, le SAS ne répond pas à ce pour quoi il a été pensé et conçu.

 

Ailleurs, le tarif de l’effection n’est pas jugé assez incitatif ?

Tout à fait. Le concept imposé par l’Assurance Maladie implique de libérer deux heures de consultations par semaine et d’ouvrir son agenda au Centre 15 pour permettre la prise de rendez-vous en ligne de patients inconnus, alors que dans ces zones rurales et semi-rurales tous les rendez-vous sont remplis par les patientèles des cabinets.

Et en plus, ces huit actes hebdomadaires, soit 104 patients par trimestre, ne seront pas comptabilisés dans la rémunération forfaitaire de l’acte de soin non programmé, qui ne concerne que les patients envoyés en supplément par le SAS. Je rappelle que ce forfait prévoit l’attribution de 10 points -soit 70 euros- pour 5 à 15 actes de soins non programmés effectués par trimestre, soit une majoration de 4,66 euros par acte pour un médecin généraliste qui ferait ces 15 actes… Au-delà du fait que c’est loin de la majoration de 15 euros que l’on réclamait, le comble est que ces huit actes hebdomadaires ne seront pas comptabilisés dans le forfait. C’est une aberration ! C’est pour cela que l’on est vent debout contre ce texte. Quand les médecins généralistes qui s’intéressent au SAS apprennent cela, c’est “non” tout de suite.

 

Se dirige-t-on vers un bras de fer avec les ARS pour obtenir des rémunérations plus avantageuses ?

Il n’y aura pas de bras-de-fer. Une fois que le SAS est dans les starting-blocks, que la téléphonie et le système informatique sont au point, que les opérateurs de soins non programmés ont été recrutés, l’ARS se retournera vers le ministère pour transmettre les demandes des médecins… La problématique est telle sur le terrain que les ARS finiront par accepter de payer la majoration de 15 euros. Même si pour l’affichage, la Cnam et le Gouvernement assurent, sur le plan national, que le SAS fonctionnera aux conditions de l’avenant 9. Eh bien non ! Dans mon département, on a un SAS le samedi matin avec 8 effecteurs et des régulateurs payés 125 euros de l’heure : on ne descendra pas en dessous ! Et si ce soir l’ARS me dit qu’à partir du 1er octobre, la rémunération c’est 90 euros de l’heure, il n’y aura plus aucun régulateur à compter de cette date. Sur le SAS, les médecins généralistes sont en position de force.

 

Vous n’appelez donc pas à un boycott ?

Nous demandons aux médecins généralistes de travailler sur les territoires puisque fin 2022, chaque département, chaque DROM, doit avoir son SAS. Travailler avec les urgentistes, les médecins des centres 15, les usagers, pour identifier les besoins, les ressources humaines nécessaires et disponibles, les outils indispensables. Puis déterminer quelle rémunération veulent les médecins, régulateurs comme effecteurs. Après, tant que l’on n’a pas ce que l’on veut, on ne démarre pas. On montre qu’on est en capacité de le faire – il s’agit quand même d’une nouvelle mission pour les généralistes, qui ont déjà assez de travail. Mais, si on a mis en place tout le projet et que les financements proposés par l’Assurance Maladie et l’ARS sont ceux de l’avenant 9, on ne démarre pas. On ne boycotte pas le SAS en tant que projet, mais on boycotte sa mise en œuvre tant que l’on n’a pas obtenu ce que l’on veut. Pas de SAS sans médecins généralistes. Or, on sait bien que la problématique de l’accès aux soins sera un sujet majeur dans les campagnes présidentielle et législative à venir et que le Président Macron veut afficher la mise en place du SAS comme une réponse…. Alors, je crois que les médecins généralistes sont en situation de force pour obtenir rapidement, dans les mois qui viennent, ce qu’ils demandent.