« L’interview qui tue » n°4
Roxane Hellandsjö-Prost,
Présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF).

1. Prendre des responsabilités à l’ANEMF, c’est plutôt l’Auberge Espagnole ou camping à l’avenue de Ségur ? Comment aborde-t-on à moins de 23 ans en moyenne députés, ministres et présidents de syndicats ?

Prendre des responsabilités à l’ANEMF, c’est s’intéresser à beaucoup de sujets. Des études médicales à la prévention en santé, en passant par l’écologie, l’organisation d’échanges internationaux, ou encore la formation du réseau associatif, le bureau de l’ANEMF n’a pas le temps de s’ennuyer !

Rencontrer des députés, des ministres et des présidents de syndicats, ça peut être impressionnant au début ! Mais finalement, ce n’est pas parce que nous sommes jeunes que nous n’avons pas de positions construites à partir de nombreux débats, à porter !

2. C’est le big bang dans les études de médecine. Voici deux Aspirines… peux-tu nous expliquer en deux mots la réforme de la première année, avantages et inconvénients ?

Peut-être plus de deux Aspirines si l’on souhaite cerner toute la complexité de cette réforme de l’entrée dans les études de santé ! De manière très rapide, les enjeux sont pour nous de diversifier considérablement les profils à la fois sur le plan géographique, social et le plan des compétences et affinités des futurs étudiants. Il y a aussi un fort enjeu autour d’un meilleur accompagnement des étudiants à la fois sur le plan de l’orientation (quelle formation de santé m’intéresse ?) mais aussi de la réorientation (comment me préparer dès maintenant à un projet alternatif qui me correspond ?).

Pour cela plusieurs moyens : d’abord multiplier les voies d’entrée avec la création d’un système majeure-mineure, ensuite faire apparaître plus de modalités différentes d’évaluation que le sacro-saint QCM, et enfin inscrire la possibilité pour les étudiants de retenter leur chance tout en évoluant dans un parcours de licence en même temps.

Mais bien entendu, toutes ces ambitions ont un prix. Aujourd’hui, nous dénonçons un manque cruel de moyens financiers attribués à cette réforme. Pas besoin de calculs pour comprendre qu’un étudiant en PACES coûte beaucoup moins cher qu’un étudiant en licence à accès santé par exemple !
Également, nous pouvons difficilement soutenir une réforme où le contenu des enseignements dépendra totalement du bon vouloir des universités qui ne se sont pas toujours saisies du problème assez tôt d’après nos retours.

3. Question « complotiste » : Alors que la sélection perdure, on supprime le dénominatif de concours en faisant croire que c’est devenu entrée libre en médecine. N’y a-t-il pas derrière tout ça une volonté de rabaisser notre diplôme et notre statut ?

Les termes employés ont effectivement un sens et nous sommes très remontés lorsque des personnalités institutionnelles ou politiques utilisent la fin du numerus clausus pour faire croire à l’idée de la fin de la sélection. Une augmentation des capacités d’accueil est censée être prévue dans les prochaines années mais une sélection restera nécessaire en première année, du moins tant que les études de médecine auront du succès !

Du côté de l’ANEMF nous avons toujours été clairs : cette réforme doit permettre avant tout d’améliorer la qualité de cette entrée dans les études de santé avant de chercher à augmenter les effectifs d’étudiants dans nos études sans augmentation de moyens ni capacités d’accueil supplémentaires.

Soyons clairs : la qualité de notre diplôme ne dépend pas du nombre d’étudiants inscrits mais bien du nombre d’enseignants-chercheurs et de dispositifs pédagogiques mis en place dans notre formation. Aujourd’hui, nous demandons une augmentation de ce nombre d’enseignants-chercheurs !

4. La réforme du deuxième cycle laisse aussi place à tous les fantasmes, la fin de l’équité du concours, ou l’impression d’une usine à gaz. Un complément de paracétamol et toujours en deux mots, peux-tu nous l’expliquer ?

Ici pas besoin de paracétamol ! La réforme est claire : mettre fin aux trois années de bachotage de connaissances de surspécialisation constituant l’externat au profit d’un trépied valorisant dans le classement de fin de sixième année les compétences, les connaissances ainsi que le parcours des étudiants.

L’approche par compétences est le pilier fondateur de la réforme. Durant leur deuxième cycle, les étudiants seront formés en stage ou via des ateliers de simulation à plus de 300 situations cliniques.
L’évaluation des compétences sera sous le format des Examens Cliniques Objectifs et Structurés (ECOS), mises en situation cliniques évaluant de manière objective les performances des étudiants.
Le programme de connaissances intégrera de nouvelles thématiques majeures (numérique, sciences humaines et sociales, santé environnement) et sera recentré autour de connaissances de rang A indispensables à tout médecin ainsi qu’autour de connaissances de rang B nécessaires pour le début d’internat dans la spécialité.

L’examen comportera une docimologie moderne et sera pondéré en fonction des spécialités pour coller au mieux aux désiratas des étudiants. Les expériences estudiantines (master, Erasmus, stages cliniques internationaux, engagements associatifs) permettront d’obtenir des points parcours. Un plafond de point sera fixé pour éviter la course à l’option.

5. Quelle place selon toi à la pédagogie, à l’éthique ou encore aux nouvelles technologies dans l’enseignement de notre métier ? Faut-il ouvrir l’université à des intervenants dépassant le seul champ médical et nous ouvrant l’esprit, des nouvelles technologies à la philosophie ?

A l’heure actuelle, il n’y a justement pas encore assez d’enseignements sur toutes ces thématiques…
C’est pour cette raison que l’ANEMF a demandé que ces enjeux soient intégrés au programme du deuxième cycle ainsi que la création de nouvelles UE libres afin que les étudiants puissent enfin s’ouvrir l’esprit sur une pluralité de sujets !
Les universités gagneraient vraiment à faire intervenir d’autres enseignants n’appartenant pas au corps médical, justement pour montrer que les domaines sont décloisonnés.

6. Les stages en ambulatoire, on en parlait déjà à l’époque où l’iPhone n’existait pas… Pourquoi n’arrive-t-on pas à les développer vraiment, aussi bien chez les généralistes que les spécialistes ? Est-ce un problème de budget, de volonté ou plus généralement d’une réforme universitaire globale ?

Les stages en ambulatoire sont une demande forte des étudiants en médecine ! Découvrir le territoire, découvrir l’exercice des spécialités en ambulatoire, découvrir la pluralité de l’exercice de la médecine est nécessaire pour nous aider à construire notre projet professionnel et découvrir les différentes facettes de notre métier !

Une prise de conscience a eu lieu au niveau institutionnel mais au-delà de la volonté, il faut maintenant mettre le budget. Un étudiant en médecine est déjà précaire et ne peut pas encore se précariser en payant encore des frais de transports et des frais de logements.

C’est pour cela que nous demandons une indemnité de logement de 300€ comme celles des internes.
Avec toutes ces aides, et en ouvrant des terrains de stage via le développement de la maîtrise de stage universitaire, on met toutes les chances de notre côté pour qu’enfin, on ait de vrais stages en ambulatoire attractifs !

7. Es-tu surprise que les médecins libéraux comme les hospitaliers s’intéressent vraiment à la réforme des études de médecine ? Que penses-tu de l’idée de créer un comité de pilotage transversal sur les études de médecine, allant de la conférence des doyens aux étudiants et internes en passant par les syndicats de médecins libéraux et hospitaliers, les études de médecine pouvant être un thème rassembleur montrant qu’on peut travailler tous ensemble ?

Ce n’est pas très surprenant non !
Dès qu’on va chez son médecin généraliste et qu’il apprend qu’on est étudiant en médecine, la première chose qui l’intéresse c’est de savoir comment ça se passe !
L’idée du comité de pilotage transversal sur les études de médecine est une bonne idée.
C’est en travaillant ensemble qu’on arrivera à avancer !

Propos recueillis par le Dr Mickaël RIAHI, avec les remerciements à Romain Levesy et Sébastien Villard, vice-présidents de l’ANEMF.

PRECISION :

Etudiants impactés par le Covid-19 : une aide de 200 euros mise en place Afin de soutenir les jeunes étudiants et précaires, les pouvoirs publics ont décidé en mai dernier de verser, à partir du 25 juin, une prime exceptionnelle de 200 euros aux jeunes étudiants impactés par la crise du Covid-19. Qui est éligible ? 1. les étudiants ayant perdu leur emploi ou leur stage gratifié 2. les étudiants ultramarins bloqués en métropole 3. les jeunes précaires de moins de 25 ans bénéficiant des allocations personnalisées au logement (APL). Comment en bénéficier lorsqu’on est étudiant ? Depuis le 12 mai, les étudiants peuvent remplir un formulaire sur le site etudiant.gouv. Les instructions sont simplifiées et le versement se fera courant mois de juin. Les modalités pour les jeunes précaires : Les jeunes précaires de moins de 25 ans bénéficiaires des APL auront un versement de 200 euros directement par la Caisse d’allocations familiales (CAF). Il est possible pour un étudiant de cumuler cette aide de l’Etat avec d’autres dispositifs d’aide aux étudiants tel que l’aide à la mobilité des étudiants en Master par exemple.

Vous pouvez retrouver ci-après un article exhaustif sur l’aide de 200 euros pour les étudiants : https://www.agence-france-electricite.fr/actualites/aide-etudiant-coronavirus/