En première ligne depuis le déconfinement le 11 mai, les médecins généralistes sont chargés d’identifier les cas Covid-19 et leurs contacts, tout en assurant la reprise des soins dans leurs cabinets. Un rôle qui ne pouvait être assuré que par les médecins traitants, affirme le Dr Luc Duquesnel, Président des Généralistes-CSMF, qui défend un système indispensable pour l’intérêt collectif face à l’épidémie de coronavirus et à la menace d’une seconde vague de contaminations.

 

 

Le déconfinement a débuté le 11 mai dernier et pendant la crise, les consultations ont baissé de 40% en médecine générale, 60% pour les médecins spécialistes en ville. Comment se passe la reprise dans les cabinets ?

On peut dire que les patients reviennent dans les cabinets médicaux des médecins généralistes, avec des prises de rendez-vous. Pas autant que la période d’avant-Covid mais il faut aussi prendre en compte le fait qu’on est au mois de mai et qu’il fait beau. Il y a certainement moins de pathologies. On fait également encore un certain nombre de téléconsultations pour les patients qui sont éventuellement à renouveler mais qui n’ont pas de pathologies particulières.

Nous continuons, par ailleurs, chez Les Généralistes-CSMF, à demander des “consultations de déconfinement”. Nous avons beaucoup de patients âgés, polypathologiques, que nous n’avons pas vu pendant le confinement. On a demandé qu’il soit créé une consultation très complexe post-confinement, souvent de façon assistée avec l’infirmière du patient, soit physiquement, soit en téléconsultation. L’enjeu est de permettre le maintien à domicile de patients qui ont parfois perdu beaucoup d’autonomie lors de ces deux mois de confinement et d’éviter ainsi des hospitalisations. Cette demande a été validée par la Haute Autorité de la Santé et nous sommes pourtant toujours dans l’attente d’un retour de Nicolas Revel. Cela doit déboucher sur un plan personnalisé de santé, avec des prescriptions par exemple d’aide-ménagère, de soins par des paramédicaux, d’examens complémentaires ou d’avis spécialisés. Nous attendons une reconnaissance de cette consultation de la part du directeur de l’Assurance Maladie et d’une tarification.

 

Cette période de crise sanitaire vous amène donc à réfléchir sur la téléconsultation ?

Oui, cela nous fait réfléchir sur la façon de travailler qu’on aura plus tard, avec les patients. On se demande si systématiquement, il y aura besoin d’une consultation physique pour un renouvellement. On pense à des périodes de grippe, de gastro : finalement, est-ce judicieux, quand ce n’est pas nécessaire, de faire venir ces patients dans nos salles d’attente où ils risquent d’être contaminés avec ces virus-là ? Éventuellement, on pourrait donc faire de la téléconsultation. Et puis, pour les personnes âgées, faire une téléconsultation assistée pour les patients à domicile avec les infirmières aux côtés du patient. On est en train de réfléchir à ces nouvelles organisations professionnelles et nous sommes donc opposés à la suppression des mesures dérogatoires mises en place sans une évaluation de ce qu’elles ont permis pour améliorer la prise en charge de certains patients.

 

Face à cette épidémie, le “tracing” a progressivement été déployé, provoquant doutes et interrogations chez les médecins. Quelle est votre position sur ce sujet ?

D’emblée, Les Généralistes-CSMF, ont travaillé avec la CNAM et le Ministère sur ce projet de loi. Nous y sommes favorables car cela fait partie du plan sanitaire. C’est indispensable dans le cadre du déconfinement de manière à tout faire pour éviter une deuxième vague. Le fait de tester les patients suspects Covid, ce qu’on ne faisait pas auparavant, et de partir à la recherche de leurs cas contacts, on a vu que c’est un système qui s’avère très efficace. C’est le cas du Morbihan par exemple, où il y a eu des clusters début mars, et cela a prouvé son efficacité, contrairement à ce qui s’est passé à Mulhouse. Nous nous sommes également battus auprès de l’Assurance Maladie pour que ce soit le rôle du médecin généraliste, puisqu’on sait que, par exemple, l’AP-HP voulait que cela relève de la mission des hôpitaux. Alors que cela concerne des patients en ambulatoire. Nous sommes donc totalement satisfaits.

 

Vous n’êtes donc pas inquiet pour le secret médical ?

Ce qu’il fallait, c’est que la loi, par rapport au secret médical, assure, contrôlée par le Conseil d’Etat, la Cnil et le Conseil de l’Ordre, la conservation du secret médical dans le cadre de ce plan sanitaire. Il s’agit tout de même de préserver la population, donc d’un intérêt collectif. Et avec cela, la Loi et l’Article 12 du Code de Déontologie qui impose aux médecins, dans ce cadre, de remplir les contacts Covid… L’affaire est donc bouclée. Nous n’avons pas d’état d’âmes. Chez Les Généralistes-CSMF, nous nous sommes posés comme tout le monde des questions et nous avons d’ailleurs créé un « groupe de travail éthique » qui s’est saisi du sujet. On estime que les libertés individuelles sont respectées dans la limite de l’intérêt collectif.

On comprend les inquiétudes, à partir du moment où il y a des problèmes éthiques qui se posent. Après, ce qui a pu choquer, c’est que certains mettent la liberté individuelle au-dessus de l’intérêt collectif. Si on ne se base que sur l’intérêt individuel, on prend le risque d’avoir encore des milliers de morts. Quelque part, on a trouvé ça choquant. Il ne faut pas oublier que le patient garde la possibilité de faire ses propres choix : si on lui prescrit un test, il a la possibilité de ne pas le faire. Il a la possibilité de ne pas nous déclarer son environnement familial, ses contacts. La seule chose, c’est que s’il a un test positif, il ne peut pas nous empêcher de le déclarer. Globalement, cela veut dire qu’il reste une grande part de liberté individuelle chez le patient. Mais cela nous convient. Car dans cette histoire, le rôle du médecin traitant n’est pas d’imposer, mais de convaincre.

 

Un forfait de 55 euros est prévu pour ces consultations, saluez-vous cette décision ?

C’est un travail important qu’il y a à faire. Il faut faire des recherches, contacter des personnes. Il faut savoir qu’au départ, Nicolas Revel voulait que ce soit 25 euros. Il y a eu toute une négociation avec lui. Et puis, il faut prendre en compte le fait que non seulement on recherche, mais on annonce aussi au patient qu’il est positif. Il faut rassurer les patients, donner des conseils. La consultation est aussi plus longue : nous sommes dans des notions de prévention et de dépistage. C’est pour cela qu’elle a tout son sens et qu’elle relève bien du travail du médecin traitant.

 

La CARMF a déployé une aide de 2 000 euros, le Conseil National de l’Ordre des Médecins à, de son côté, annoncé une enveloppe de 4 millions d’euros d’entraide ordinale pour soutenir les médecins en difficulté à cause de la crise. Ces aides vous paraissent-elles suffisantes ?

C’est mieux que rien. Il y avait d’abord eu l’aide de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie pour nous aider à payer nos charges. On pensait que la CARMF pouvait faire plus, car finalement c’est plutôt 1.500 euros que 2.000 euros, puisque le reste est pris sur une autre caisse (la CNAPVL). La CARMF, c’est l’argent des médecins… Il y avait sûrement la possibilité de faire plus. On a vu que pour les chirurgiens-dentistes cela avait été le cas, par exemple. Pour la CARMF, on dira donc “peut mieux faire’. Pour le CNOM, c’est une bonne chose mais cela concerne surtout des situations familiales du fait d’un décès de médecin, pour aider les familles en difficulté. Nous prenons donc acte.

 

Olivier Véran a aussi annoncé que les soignants pourront bénéficier de tests sérologiques sur prescription médicale…

Globalement, cela a peu d’intérêt. Aujourd’hui, on ne sait pas, dans le cas où on est positif, si on a une immunité et pour combien de temps. Éventuellement, cela pourrait avoir un intérêt pour ceux qui gardent des signes cliniques mais cela reste d’un intérêt limité. Dans la politique actuelle, ce qui compte c’est le test virologique, y compris pour les professionnels de santé qui commenceraient à être symptomatiques.