Ils sont encore en formation mais seront les généralistes de demain. Depuis le début de la crise Covid, les internes en médecine générale sont mobilisés, en ambulatoire et à l’hôpital, pour lutter contre le coronavirus. Réorganisation du système de soin pour s’adapter à la crise, manque d’équipements et de soutien, lien ville-hôpital, formation à repenser… Le porte-parole de l’InterSyndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale (Isnar-IMG), Matthieu Thomazo, fait le point sur la pratique d’aujourd’hui, confrontée à des conditions d’exercice sans précédent et sur son évolution dans “l’après-Covid”.

 

Egora.fr : Quels sont les enseignements à tirer de la crise sanitaire ?

Matthieu Thomazo : Pour nous, il y a eu plusieurs ratés. Ils sont surtout venus du fait qu’il n’y avait pas suffisamment de protections pour les internes de médecine générale. Nous avons pu constater, au début de la crise, que les protections n’étaient pas suffisantes pour permettre à tous les internes de travailler dans des conditions correctes, même si la situation tend à s’améliorer puisque des dotations sont prévues, en ambulatoire notamment. Les internes peuvent enfin avoir des masques FFP2 pour aller voir des patients, qui sont tous potentiellement porteurs du virus. Le point négatif, c’est que ce n’est pas arrivé suffisamment tôt. Le point positif, c’est que ça a pu être mis en place malgré tout.

Ensuite, il y a eu d’importantes lacunes organisationnelles, concernant notamment l’offre de soins et la répartition des internes dans cette nouvelle organisation. On a vite constaté qu’on ne pouvait compter que sur nous-même pour optimiser notre place dans le système de soin, qu’il a en plus fallu réorganiser en un temps record. Des internes ont changé de stage, il a fallu protéger les personnes les plus à risque soit à cause de pathologies, soit du fait de leur état de santé, comme pour les grossesses. Ça a aussi été un cafouillage parce que c’était une nouvelle pathologie, par définition inconnue. Nous n’avions pas du tout de recul sur les risques et nous avons été pris au dépourvu. Nous aurions aimé avoir plus d’aide de la part des ARS pour réorganiser notre place dans le système de santé.

 

 

Y-a-t-il tout de même des points positifs à tirer de la crise Covid pour la médecine générale ?

Sûrement le fait d’avoir remis en question certaines de nos pratiques. Je pense, par exemple, à la téléconsultation qui n’est pas nouvelle mais qui était exercée de manière minoritaire. Nous avons pris conscience que cela pouvait être intéressant dans certains cas, notamment dans ce contexte d’épidémie pour éviter des expositions non-justifiées aux personnes fragiles ou pour des renouvellements par exemple. Pour autant, nous prenons aussi conscience des limites de ces différents modes de fonctionnement. Finalement, nous avons vu tout ce qu’on pouvait faire… Et ne pas faire.

 

Cette crise a-t-elle été un élément formateur pour les internes en médecine générale ?

En tant qu’internes en médecine générale, on aura appris beaucoup de choses qu’on pourra transposer plus tard dans nos pratiques et de manière plus générale dans l’organisation de nos cabinets, comme, par exemple, prévoir un fonctionnement qui puisse répondre à une situation de crise.

 

 

Cela nous permet également de voir comment se passe une crise. Il manquait du matériel, il fallait réorganiser énormément de points, revoir des pratiques, rapprendre beaucoup de choses… Il faut se tenir à jour, au quotidien, des évolutions, de ce qu’on connaît du virus et savoir rester conscient qu’il y a aussi beaucoup de choses qu’on ne connaît pas. Et puis, il a fallu savoir expliquer tout cela aux patients. Nous, notre rôle en tant qu’internes en médecine, et futurs médecins, c’est aussi de faire de la pédagogie auprès des patients. Leur expliquer le plus possible ce qu’on sait, tout en leur faisant prendre conscience qu’il y a beaucoup de choses qu’on saura plus tard. Ce qui a été difficile à accepter pour eux comme pour nous, c’est que finalement il n’y a pas de traitement, malgré les pistes.

Je pense enfin que cette crise permettra peut-être de mieux anticiper ce qui pourrait arriver plus tard et nous rendre plus vigilants sur le fait qu’on ne sera pas toujours dans notre zone de confort.

 

A la lumière de tous ces éléments, à quoi devrait ou pourrait ressembler la médecine générale de demain ?

On s’est rendu compte que le lien entre la médecine de ville et la médecine hospitalière est quelque chose à renforcer. On a constaté, au début cette crise, qu’il y avait assez peu de communication entre les généralistes et les médecins hospitaliers. A tel point que des plateformes de suivi ambulatoire ont été montées en catastrophe par l’hôpital pour se charger du suivi des patients qui avaient été diagnostiqués Covid et qui étaient suivis à domicile, soit par ces plateformes, soit par téléphone.

On a trouvé ça dommage que des plateformes se créent dans l’urgence et qu’on reparte de zéro, alors qu’il y avait tout un réseau de médecins généralistes qui connaissent leurs patients et qui étaient en capacité de les suivre. D’autant que l’activité a parfois drastiquement diminué dans certains cabinets. Maintenant, le tir à l’air de vouloir être corrigé, puisque le Gouvernement a déclaré qu’il voulait s’appuyer sur la médecine libérale pour le déconfinement.

 

 

Clairement, la médecine libérale de demain devra avoir un lien plus fort avec la médecine hospitalière. C’est quelque chose qu’on voit aussi hors crise : dans le cas d’un patient qui va aux urgences et qui ressort, tout n’est pas toujours fait pour qu’il y ait la meilleure coordination possible entre les soins dans les structures hospitalières et les soins en ville. Par exemple, si ce patient a besoin de soins de rééducation et de réadaptation, ou d’une adaptation de son traitement, le généraliste doit normalement être notifié. Or, ce n’est pas fluide tout le temps.

 

La formation et le diplôme de médecine générale doivent-ils être revus pour mieux s’adapter à “l’après-Covid” ?

C’est vrai que la formation de médecine générale est cloisonnée. C’est quelque chose qui va devoir être revu. Avant, on pouvait faire de la médecine générale comme n’importe quelle spécialité et ensuite, avoir une surspécialité. Cela a entièrement été changé avec la réforme du troisième cycle. Maintenant, il y a uniquement des diplômes d’études spécialisés (DES) et plus de diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC). On ne fait plus médecine générale, puis un an de plus pour être urgentiste, on passe directement un DES de médecine d’urgence, par exemple. Effectivement, ça entraîne un cloisonnement qui ne s’adapte pas forcément aux projets professionnels de tous les étudiants d’aujourd’hui. L’Isnar-IMG le déplore. Il faudrait que la formation soit plus flexible et puisse s’adapter au maximum aux projets professionnels des internes.

 

Il y a tout de même des formations spécialisées transversales (FST) qui ont été créées et qui peuvent être une réponse à ces demandes de parcours particuliers. Mais on est toujours en attente de vraies mesures qui pourraient permettre aux internes de choisir leurs stages et parcours de formation pour qu’ils soient le plus en accord possible avec leurs souhaits pour leur futur exercice professionnel.

 

Certains internes en médecine générale ont déclaré, au début de la crise, qu’ils n’avaient pas suffisamment été formés à la prise en charge de la fin de vie. Est-ce un point à intégrer dans la formation ?

On doit être formés à ce niveau. Aujourd’hui, on a la possibilité d’appréhender la fin de vie à la fois lors de l’externat et au cours de nos passages en stage dans les services hospitaliers et en médecine ambulatoire, lors de notre internat. La formation, c’est un chose. Il faut qu’elle soit encore plus développée parce qu’on en a besoin dans notre futur exercice professionnel. Tout le monde n’y a pas accès et c’est dommage. Mais il ne faut pas revoir la prise en charge de la fin de vie uniquement sur ce point. Je pense qu’il faudrait aussi avoir une réflexion sur la manière dont elle est encadrée en médecine générale de manière plus globale.

 

 

Avec cette crise, on a vu des protocoles apparaître de manière rapide pour répondre à des situations terribles. Il faudra aussi se demander si la prise en charge de la fin de vie doit toujours se faire à l’hôpital, et réfléchir au développement de l’hospitalisation à domicile. Ça demande, évidemment, un cadre très important.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Marion Jort

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