Alors qu’un déconfinement progressif a été annoncé par le Président de la République pour le 11 mai prochain, les professionnels de santé en ville tirent la sonnette d’alarme. Les consultations ont baissé de 40% en médecine générale, 70% pour les médecins spécialistes depuis le début de la crise. Pour Le Dr Luc Duquesnel, Président Les Généralistes-CSMF, le retour à la normal qui s’esquisse est synonyme de défi pour les généralistes. Il plaide pour un véritable plan de soins pour les patients, impactés par ces longues semaines sans suivi.

 

“Faites-vous soigner”, a plaidé Olivier Véran face à la baisse importante des consultations chez les médecins généralistes et médecins spécialistes ces dernières semaines. Êtes-vous inquiet de ce phénomène de renoncement aux soins massif pendant l’épidémie ?

Bien sûr, à moins de considérer que les consultations qu’il y avait avant la période Covid étaient inutiles, ce qui n’est pas le cas. Le fait d’avoir une telle diminution d’activité au niveau des médecins généralistes et des autres spécialistes, est inquiétant. Concernant l’activité des généralistes, on y intègre les téléconsultations qui, si elles ont leur importance, n’ont pas vocation à remplacer bon nombre de consultations physiques. Je dirai que chaque jour qui passe nous montre les dégâts du confinement sur l’état de santé des patients.

 

Quel est le risque engendré par cette baisse de consultations des médecins traitants ?

Au départ, quand on a vu des patients âgés Covid+ qui sortaient d’hospitalisation, que ce soit dans des Ehpad ou à domicile, leur état de dépendance s’était aggravé. Mais il y a également des personnes âgées polypathologiques qui sont soit en établissement de soin, soit à domicile, qui voyaient leur kiné deux à trois fois par semaine pour les faire marcher et qui ne le voient plus désormais. Pareil, par exemple, pour les orthophonistes dans les séquelles d’AVC. Le confinement a considérablement aggravé l’état de dépendance des patients qu’on peut être amené aujourd’hui à hospitaliser car le maintien à domicile n’est plus possible. Si on ne les fait pas marcher, que se passe-t-il ? On nous appelle pour nous dire que le patient est tombé à plusieurs reprises, on déclenche une ambulance et on l’hospitalise. Très souvent, c’est un patient qui ne va pas pouvoir revenir chez lui. On voit donc l’impact de ce confinement sur l’état de santé des personnes fragiles.

 

A partir du 11 mai, le déconfinement des Français sera progressif. Comment les médecins généralistes et plus globalement, les médecins en ville, doivent préparer “l’après” selon vous ?

Pour les médecins généralistes, il va y avoir deux sujets. Premièrement, la consultation en cabinet et l’organisation du cabinet. On sait qu’on part pour plusieurs mois, voire un an ou plus, d’organisation professionnelle qui va devoir prendre en compte le fait qu’on pourra examiner des patients qui sont symptomatiques ou asymptomatiques et éventuellement porteurs du virus. La question à se poser, c’est « comment j’organise mon cabinet » pour protéger mes salariés, me protéger moi-même et ma famille, et puis bien sûr tous mes autres patients. Dans les départements et territoires où ont été mis en place des centres Covid, il est envisagé de les maintenir dans le cadre du déconfinement au moins les premières semaines. Finalement, c’est une manière de protéger et donc rassurer tout le monde.

L’autre sujet est lié à toutes les personnes fragiles. Je pense que nous serons obligés de faire une consultation de déconfinement pour ces patients polypathologiques ou âgés dont l’état de santé ou l’état de dépendance s’est dégradé au cours du confinement. C’est à l’issue de cette consultation, qui pourrait être une consultation conjointe avec l’infirmière du patient ou dans le cadre d’une téléconsultation assistée avec l’infirmière à côté du patient, qu’on pourra établir un plan personnalisé de santé. Cette consultation pourra durer 30 à 45 minutes et cela me semble essentiel vis-à-vis de toutes ces populations fragiles qu’on va redécouvrir après parfois trois à quatre mois sans les avoir vus. Très clairement, si on établit un plan personnalisé de santé, il faudra ensuite une consultation de suivi. Un mois après, il faudra réévaluer la situation et voir si on doit faire évoluer ce plan.

On voit d’ailleurs tout le rôle du médecin traitant dans le cadre de ce déconfinement. On verra quel sera le plan du Gouvernement, mais j’espère qu’il s’appuiera sur les médecins traitants qui doivent rester le chef d’orchestre du parcours de santé des patients. Il ne faudrait pas que l’on « déshabille » les équipes de soins primaires existantes.

 

Les médecins généralistes vont être au premier plan de ce déconfinement…

On a tous dit que cette situation était inédite, mais le déconfinement va durer plusieurs mois, tant que nous n’aurons pas de vaccin et les médecins généralistes resteront mobilisés. En dehors de ces hypothétiques deuxième ou troisième vagues, il va y avoir une nouvelle organisation professionnelle sur le plan immobilier, sur le suivi des patients contaminés et des cas contacts, et donc aussi en terme de coordination entre les professionnels de santé de premier recours. Il faudra garder à l’esprit que tout patient que l’on va voir peut être contaminant.
Les Généralistes-CSMF a plaidé pour que les médecins traitants soient au cœur de ce plan avec, à partir du 11 mai, la prise en charge des personnes Covid+, de la cellule familiale et des cas contacts.

 

Le sujet ville-hôpital était sur la table avant la crise. Une fois le déconfinement passé, il sera urgent de s’y concentrer ?

Bien entendu. C’est un sujet que l’on devait travailler, à la demande d’Agnès Buzyn dans le cadre du service d’accès aux soins (SAS). D’ailleurs, on peut voir que le SAS n’a pas attendu la fin juin 2020 pour voir le jour : je connais de nombreux territoires et départements où il est déjà mis en place par l’ambulatoire avec, au-delà des patients Covid, la prise en charge des soins non programmés d’où la baisse d’activité remarquée dans les services d’urgence. Les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) sont à ce titre un vrai succès. Il faudra faire le bilan des ratés de ce lien ville-hôpital dans le cadre du confinement. Quand je vois l’hôpital qui a la prétention, au travers d’outils de télésurveillance, de continuer à suivre les patients qui sont revenus à domicile après une hospitalisation Covid, c’est clairement inacceptable et nous l’avons dit aux établissements de soins qui ont voulu travailler comme cela. Nous, médecins généralistes, nous n’avons pas vocation à aller dicter la manière dont on doit prendre en charge et suivre les patients lorsqu’ils sont hospitalisés. Il serait bien que les hôpitaux fassent de même quand les patients sont en ambulatoire.

Nous parlons du lien ville-hôpital mais en même temps, il s’agit aussi du lien premier et deuxième recours qui est capital, avec la médecine spécialisée ambulatoire et en établissement privé.
Les enjeux du déconfinement seront donc aussi d’améliorer le lien entre les médecins généralistes et les médecins spécialistes du 2ème recours car nous allons les solliciter fréquemment, confronté à des pathologies qui vont s’être aggravées lors du confinement. Les Généralistes-CSMF travaillent très étroitement avec Les Spécialistes-CSMF présidé par le Dr Franck Devulder pour améliorer ce lien. C’est cela la grande force d’un syndicat polycatégoriel.

 

Pour ce qui est de l’organisation des cabinets, ces médecins vont rencontrer les mêmes problématiques que nous. Et il faudra éventuellement utiliser de nouveaux outils. On a vu que le confinement avait permis l’explosion de la téléconsultation. Je pense que demain, dans le lien entre le premier et le deuxième recours, le déconfinement sera de nature à faire exploser la téléexpertise. Sachant qu’à l’heure actuelle, son niveau de rémunération n’est pas incitatif, autant pour les médecins traitants que pour les spécialistes de deuxième recours.

 

Nicolas Revel a annoncé que les mesures d’assouplissements de la téléconsultation pour les médecins ne seront pas toutes conservées après la crise. Le regrettez-vous ?

Je pense qu’il faut qu’on rediscute de tout cela et que l’on évalue la situation crée par cette pandémie. Que Nicolas Revel dise qu’on ne peut pas facturer au long cours un coup de téléphone au tarif d’une consultation, peut s’entendre. Mais, il faudra analyser les causes de cette explosion, au-delà du fait que cela a permis un suivi de patients que l’on ne pouvait pas voir en consultation physique et il faudra s’interroger sur l’ergonomie des outils de télémédecine qui peuvent être un frein à l’appropriation de la téléconsultation telle que définit dans l’avenant 6. Il faudra faire le bilan de tout cela avant de prendre des décisions radicales. Notre objectif à tous, dans le cadre d’une période où plus rien ne sera comme avant, c’est de déterminer comment répondre le mieux possible aux besoins de santé de la population.