A 35 ans, Cécile*, médecin généraliste installée depuis deux ans et demi est déjà désenchantée. Passionnée par son métier, attachée à ses patients, elle va pourtant déplaquer. Soumise à des visites régulières de la Sécurité sociale, elle ne se sent plus libre d’exercer la médecine comme elle l’entend.

 

“Je n’ai pas fait médecine par vocation. Je me suis inscrite pour suivre des amis, sans trop y croire. Dans ma famille, on me disait que si on n’était pas pistonné, on ne pouvait pas y arriver. Finalement ça m’a plu et je me suis donnée à fond. J’ai été passionnée par la gynécologie obstétrique et la médecine générale. J’ai beaucoup hésité entre ces deux spécialités. Mes chefs d’obstétrique à l’époque m’avaient confié qu’ils avaient de plus en plus de procès sur le dos, que les assurances coûtaient très cher, et qu’ils passaient en moyenne 80 heures par semaine à l’hôpital. Moi qui avais déjà un enfant, j’ai opté pour la médecine générale, qui me permet de faire de la gynécologie médicale et qui préserve ma vie de famille.

J’ai commencé les remplacements, tout de suite après l’internat. Ça me plaisait beaucoup. Le seul bémol était le changement d’emploi du temps en fonction des cabinets dans lesquels je remplaçais. Cela variait toutes les semaines. Mon enfant était encore en bas âge et concilier mes horaires avec ceux de la nounou était compliqué. Après quatre ans de remplacements, je me suis dit que m’installer était le seul moyen d’avoir mes propres plannings.

 

 

En trois mois, notre planning était plein

L’installation a été un véritable parcours du combattant. Nous avions prévu, avec un camarade de promo, de nous associer. Entre notre décision de nous installer et l’ouverture du cabinet, il s’est écoulé six mois. Cela a été une période pendant laquelle nous avons eu l’impression que tout le monde nous mettait des bâtons dans les roues. Tout était compliqué, du choix d’un local accessible, à l’achat du matériel en passant par l’administratif avec l’Ordre, l’Urssaf ou la Carmf. Nous en avons eu pour 30.000 euros, sachant que nous avons réalisé tous les travaux nous-mêmes et acheté du matériel de seconde main.

Une fois le cabinet ouvert, ça a été tout de suite très bien. Je connaissais les patients puisque j’avais remplacé sur le secteur. Nous étions très attendus. Nous avons eu du monde tout de suite. En trois mois, notre planning était plein. Nous exercions la médecine, comme nous l’entendions. C’était vraiment super. Puis, assez rapidement, nous avons eu la première visite de la déléguée de l’Assurance maladie…

Au début, elle ne nous a fait aucune critique. Elle était sympa. Elle nous a souhaité la bienvenue et nous a indiqué qu’il fallait l’appeler à la moindre question. Elle nous a donné les coordonnées du médecin conseil. Deux mois après notre installation, elle est revenue pour la déclaration des fameux indicateurs de la Rosp. Elle en a profité pour nous dire de faire attention aux prescriptions d’arrêts de travail et de bons de transports. Elle n’avait pas encore de chiffres puisque nous venions tout juste de nous installer.

 

Nous avons de moins en moins de liberté

Puis elle est revenue toutes les six semaines. Je lui ai demandé pourquoi une telle régularité, elle m’a répondu qu’elle avait des objectifs et des quotas à faire sur le département. À chaque visite j’essayais de lui expliquer qu’il fallait qu’elle me parle de patients et pas d’argent.

 

 

À chaque passage au cabinet, elle m’informait des nouvelles règles de prescriptions, toujours plus liées à l’Assurance maladie. Nous avions de moins en moins de liberté dans notre champ d’action. Je n’ai jamais été sanctionnée. Il ne s’agissait que de remarques, mais qui mettaient une pression constante. Elle était, par exemple, venue avec un document qui retraçait combien avait coûté chacune de mes prescriptions sur l’année précédente. Arrêts de travail, antibiotiques, bons de transport… Ils avaient des chiffres sur tout. À la fin de la visite, elle est repartie en me disant : “C’est bien, mais il faudrait réduire vos prescriptions parce que vous coûtez trop cher.” J’avais le sentiment d’avoir face à moi une personne qui voulait m’apprendre à faire mon métier sans avoir fait d’études de médecine. J’essayais toujours d’argumenter mais elle ne comprenait pas ou faisait semblant de ne pas comprendre. C’était un dialogue de sourds.

Un jour, elle est venue me voir pour me féliciter de prescrire peu d’arrêts de travail, mais me mettre en garde parce que je prescrivais trop de bons de transport. Elle m’a comparée avec un confrère du secteur qui prescrivait beaucoup plus d’arrêt de travail mais très peu de bons de transport. Malheureusement pour elle, elle ne savait que j’avais remplacé ce médecin dont elle me parlait. Il s’avère que la moyenne d’âge de ses patients est d’environ 50 ans alors que les miens ont plutôt 80 ans. Je lui ai expliqué. Elle m’a répondu, “on ne regarde pas l’âge des patients”.

 

Je ne vois pas l’intérêt de continuer

En parallèle des contrôles de l’Assurance maladie, je me suis très vite aperçue que la paperasse me prenait de plus en plus de temps. Entre les protocoles de soins, les demandes d’arrêts de travail ou d’ALD, la comptabilité… J’y passais en moyenne 15 h par semaines, en plus de mes 35 heures de consultations.

Tout cela s’accumule. J’ai fait le bilan. Il me reste 35 ans à travailler, avec la pression de la Sécu sur la tête, des cotisations retraite qui augmentent et un prix de la consultation qui ne va pas être revalorisé, je ne vois pas l’intérêt de continuer. Je vais continuer la médecine parce que cela me passionne mais pas en cabinet libéral ni à l’hôpital. Je vais essayer de trouver une autre voie.

Je suis en train de passer un diplôme inter-universitaire en médecine du sommeil pour me spécialiser dans un autre domaine. Je pense repartir sur des remplacements en médecine générale cumulés avec la nouvelle spécialité que j’exercerai en clinique. C’est bête, mais quand on est remplaçant, on n’a pas la Sécurité sociale sur le dos. Je n’ai pas envie d’arrêter complétement la médecine générale. La dernière solution serait de changer de pays. Ailleurs, on reconnaît la valeur des études médicale. Mais je n’ai pas envie de partir, je préférerais que l’on me reconnaisse ici.

 

Ce n’est pas pour cela que j’ai fait médecine

Ça me fait mal au cœur de laisser ma patientèle. La seule chose que regretterai, ce sont mes patients. Je suis attachée à eux. Je connais leur vie. Je les côtoie depuis près de sept ans puisque j’ai remplacé sur le secteur avant de m’installer. J’ai vu les naissances, les décès… Il y a un lien qui s’est créé. Cela, je ne l’aurai plus. C’est le prix à payer, je crois. C’est triste, mais travailler encore 35 ans dans ces conditions, ce n’est pas possible. Quand je vois le nom de la déléguée de Sécurité sociale sur mon planning, ça m’angoisse. Je me demande, deux semaines à l’avance sur quoi elle va encore me gronder. J’ai l’impression d’être en maternelle. On ne devrait pas avoir cette relation avec la Sécu qui est un assureur des patients. Normalement l’Assurance maladie ne devrait avoir aucun rôle dans notre façon de travailler, mais il ne fait que s’accroître.

Ça n’est pas pour cela que j’ai fait médecine. J’essaye de faire le métier que j’imaginais et pour lequel j’ai fait 10 ans d’études et beaucoup de sacrifices.

 

* Le prénom a été modifié.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Bonin

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