À peine nommé Ministre de la Santé et des Solidarités, le Dr Olivier Véran doit faire face à de nombreux dossiers brûlants. Pour le Dr Luc Duquesnel, Président Les Généralistes-CSMF, trois sujets sont prioritaires d’ici la fin du mandat présidentiel : les soins non programmés, le cas des patients polypathologiques et le lien entre les généralistes et les autres spécialistes de second recours. Il fait le point sur la transition ministérielle et les travaux à venir.

 

Agnès Buzyn a démissionné de son poste au Ministère de la Santé pour se lancer dans la course aux municipales à Paris. Quel bilan retenir de ses deux ans et demi d’exercice ?

Ce qui nous a marqué, c’est le changement opéré en 2017 : nous avons repris contact avec le cabinet du Ministre de la Santé. Il faut savoir que nous sortions d’une période très difficile sous Marisol Touraine. Nous sommes restés pratiquement trois ans sans aucun contact. Le fait de recréer du lien entre le Ministère de la Santé, sa Ministre et les médecins libéraux, a été une vraie avancée.

Juste avant l’arrivée d’Agnès Buzyn, en 2016, nous avions eu une convention médicale. On sait que les périodes qui peuvent être des périodes de tensions importantes entre le ministère et les médecins libéraux, sont justement les périodes de négociations conventionnelles. Mais il faut noter que ce Gouvernement n’en n’aura probablement pas, car on nous a annoncé que la prochaine aurait lieu après les élections présidentielles de 2022. Cela veut donc dire aucune sous le mandat actuel. Ce n’est pas une bonne option, car il y a tout de même des sujets brûlants et nous perdons, au final, au moins 18 mois d’action.

 

Y-a-t-il eu des avancées significatives grâce au travail effectué avec le cabinet d’Agnès Buzyn ?

Le dossier des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS), très clairement, la réorganisation territoriale, les assistants médicaux. En bref : toutes les annonces faites par le Président de la République à la rentrée 2018. On peut considérer que l’on a aussi avancé sur le plan de la convention médicale pour ce qui est de l’assistant médical et de la télémédecine.

 

Des dossiers restent-ils malgré tout en suspens ?

Si je prends l’exemple de la télémédecine, et tout particulièrement celui de la téléexpertise, on voit qu’il y a encore du travail à faire. Ce n’est pas le tout de la mettre en place. Elle répond à un vrai besoin d’améliorer le parcours de santé des patients par une meilleure coordination entre le médecin traitant et le médecin spécialiste de second recours. Mais si les praticiens ne se l’approprient pas, on ne pourra pas dire que c’est de la mauvaise volonté de leur part. Le niveau de rémunération si faible qu’il est dissuasif ! La meilleure preuve est, à l’inverse, de voir le succès de la téléexpertise dans les expérimentations menées en région sous la houlette des URPS médecins et financées par les ARS.

Des dossiers ont aussi progressé mais nécessitent encore du travail. Nous nous sommes battus l’an dernier, particulièrement chez Les Généralistes-CSMF, en disant que, ce qui permettait vraiment d’augmenter et de prendre en charge plus de patients pour les généralistes, c’est un assistant médical temps plein pour un médecin. Nous l’avons obtenu, mais de manière très limitée pour les seules zones d’intervention prioritaires. On voit désormais que, dans le cadre de l’avenant 8, nous arrivons à desserrer un peu l’étau mis par l’Assurance Maladie. Les contraintes financières sont telles que plutôt que de partir des besoins de la population, on définit une enveloppe financière fermée qui amène à limiter le nombre de médecins destinataires de cette aide.

D’autres thèmes sont aussi importants pour nous : le débat autour du service d’accès aux soins (SAS) qui doit être mis en place en juin. Nous plaidons pour un numéro d’appel qui soit le 116-117 pour identifier la demande d’un patient à accéder aux soins primaires et aux médecins généralistes. L’ouverture du cabinet le samedi matin fait également partie de nos priorités. Jusque-là, la Ministre refusait de considérer que le samedi matin faisait partie du week-end, alors que des médecins sur le terrain ont mis en place des organisations le samedi matin qui fonctionnent bien avec des financements pris en charge par les ARS. Il y a un moment où une prise de conscience va être nécessaire tant au niveau du Ministère que de l’Assurance Maladie si le SAS devient national. Nous ne participerons pas au SAS si les outils et les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous.

 

Qu’attendez-vous d’Olivier Véran, qui a pris ses fonctions le 17 février dernier ?

Il y a trois choses essentielles. D’abord, sur la problématique des soins non programmés qui signifie moins de patients dans les services d’urgences et plus de patients à voir en ambulatoire. Aujourd’hui, il n’y a toujours rien de concret sur ce point, surtout en termes de financements en dehors des 60 € donnés aux services d’urgences pour ne pas prendre en charge les patients.

Ensuite, il faut rebondir sur les échecs de la Convention de 2016, notamment par rapport aux patients complexes et polypathologiques, car c’est une demande particulière des médecins généralistes entre autres. A l’heure actuelle, ce n’est plus possible d’avoir des consultations de 30 à 45 minutes à 25 euros. On le voit avec le problème de l’accès aux soins ou de la visite à domicile : ce sont ces patients qui n’arrivent plus à trouver de médecins traitants quand le leur part à la retraite. Nous avions demandé la revalorisation de la visite en 2016, on ne nous l’avait pas accordée. Certes, nous avons obtenu une petite avancée dans le cadre d’un avenant : le fait de pouvoir prendre trois majorations de 10 euros pour les trois premiers patients qu’on voit lors des visites en Ehpad. Mais, ce n’est clairement pas à la hauteur des enjeux du maintien à domicile et bien en dessous par rapport à ce que nous demandions (la visite à 70€), car nos visites aujourd’hui sont toutes complexes.

Enfin, il faut favoriser le lien entre le médecin généraliste et le médecin spécialiste de deuxième recours. On parle beaucoup de parcours aujourd’hui, mais les situations sont parfois tellement complexes et chronophages que la solution la plus rapide est d’hospitaliser le patient. Sauf que ce n’est pas performant. On doit donc tout mettre en œuvre pour favoriser, sur des pathologies chroniques comme l’insuffisance cardiaque ou rénale par exemple, le lien entre le médecin traitant et le médecin spécialiste de deuxième recours. Toutes ces problématiques sont essentielles et on ne va pas attendre 2022 pour les aborder dans le cadre d’une nouvelle convention médicale. On doit retravailler sur le modèle médico-économique de la médecine générale libérale.

 

Olivier Véran peut-il être un bon interlocuteur pour faire avancer ces dossiers ?

Oui, mais il ne doit pas être le seul : il faut aussi compter sur l’Assurance Maladie et Bercy. Olivier Véran peut justifier de la nécessité d’avancer sur ces thématiques qui rendraient les parcours plus efficients. C’est d’ailleurs son rôle en tant que Ministre. Il y a de nouvelles organisations, de nouvelles pratiques à mettre en œuvre pour mieux répondre aux besoins de santé de la population.

 

Avant d’être nommé Ministre, il a pointé du doigt le côté « réac » des médecins suite à leurs réactions à propos du forfait de réorientation. Comment réagissez-vous ?

Le message est déplorable. Dire qu’on va payer un service d’urgence pour ne pas prendre en charge un patient et demander en même temps aux médecins généralistes de le faire sans majoration d’honoraires, il y a une erreur de casting de sa part. Je ne vois pas comment cela pourrait convaincre les médecins généralistes de s’y investir. Peut-être que les hôpitaux ont besoin d’être mieux financer pour ce qu’ils font… plutôt que de les rémunérer pour ce qu’ils ne font pas ! C’est d’ailleurs la même chose pour les médecins libéraux : il faut que nous travaillons sur les modes de rémunération de manière multifactorielle, au travers de l’Accord Cadre Interprofessionnel CPTS, au travers de la consultation et des nouvelles organisations professionnelles.