Dégager du temps médical grâce à l’intelligence artificielle, est-ce possible ? C’est en tout cas l’objectif du premier médecin virtuel, ou agent conversationnel, créé au sein du laboratoire CNRS Sanpsy. 318 personnes ont d’ores et déjà expérimenté une consultation avec cet agent. Celui-ci délivre un premier diagnostic qu’il transmet ensuite à un véritable praticien. L’objectif : repérer les signes d’addiction ou de dépression. Près de la moitié des patients ayant testé l’agent virtuel seraient prêts à l’adopter. Pierre Philip, directeur de l’unité de recherche et directeur de la clinique du sommeil du CHU de Bordeaux, s’est intéressé à l’acceptation de ces agents conversationnels. Pour Egora, il détaille les avantages d’une telle innovation, dont les diagnostics seraient aussi fiables que ceux établis par des vrais médecins.

 

Egora.fr : Pourquoi avoir mis au point un tel dispositif ?

P. Philip : Dans le cadre de notre équipement d’excellence, il y avait tout un objet de recherche en informatique émotionnelle pour renforcer les liens empathiques “hommes-machines”. Cette recherche dépassait initialement très largement le cadre médical.

Quand on a superposé cette problématique de recherche avec les besoins médicaux, on s’est rendu compte qu’il y avait finalement beaucoup d’objets technologiques implémentés dans le champ de la santé mais pour lequel l’acceptabilité ou les critères expliquant les facteurs d’acceptation n’étaient pas étudiés. Et là, on a pensé que c’était un enjeu massif, au vu du développement assez hiérarchique et pas du tout structuré des solutions numériques mises en place, par exemple dans la télémédecine.

Vous venez de publier un article dans Nature Digitale Medecine qui étudie les facteurs d’acceptabilité de ces agents dans un enjeu médical. Qu’ont montré les résultats ?

On ne savait pas très bien quels seraient les facteurs. On savait que la confiance jouait probablement un rôle important, on savait moins bien quels étaient les déterminants psychosociaux qui joueraient. Contrairement à ce que beaucoup de gens ont dit, les personnes âgées se sont révélées plus favorables à accepter l’entretien, de même que les personnes de bas niveau culturel. La bonne nouvelle, c’est que les gens qui sont d’accord pour l’utiliser, sont les gens qui en ont réellement besoin.

 

 

De façon individuelle, les personnes âgées nous ont rapporté qu’elles percevaient là une chance de voir augmenter leur autonomie. Et pour les personnes de bas niveau socio-culturel, ce dispositif a été perçu comme une solution potentiellement gratuite. Ces réponses sont particulièrement intéressantes d’autant plus qu’à l’avenir, on va avoir à lutter contre les déserts médicaux.

A terme, cet agent pourra-t-il être directement utilisé par les généralistes ?

On pense que ces outils vont être utilisables dans le cadre du soin de façon global. Ils seront donc utilisables par les généralistes, par les infirmières, par les médecins hospitaliers et, en première ligne, par les malades. On pense que nos agents seront utiles pour toutes les maladies chroniques dans le futur. Et pour nous le gros enjeu, à côté du diagnostic, c’est le suivi des maladies chroniques. C’est ça qui va carboniser les ressources. C’est là qu’il va falloir avoir des joueurs en priorité.

Ces compagnons virtuels ont-ils la possibilité de prescrire ou de délivrer un arrêt de travail ?

On prévoit simplement un accompagnement à la prescription : c’est-à-dire expliquer quand le médecin a dit quelque chose, répondre à des questions, expliquer une posologie (l’horaire de prise, la dose, les effets secondaires, etc.). L’idée c’est de dire qu’une partie du temps va être gérée par ces agents, ce qui relarguera du temps pour les praticiens pour pouvoir gérer des urgences ou des choses plus problématiques. L’objectif n’est pas de remplacer les médecins.

Que répondez-vous aux professionnels de santé qui évoquent des inquiétudes face au développement d’outils numériques ?

Le message est simple. De toute façon, on ne va pas pouvoir répondre aux enjeux de santé en utilisant que des humains. C’est acté. Vu l’inflation de la pathologie, vu la démographie médicale et vu la couverture des territoires, ce n’est pas faisable. Après il y a deux possibilités : ne pas soigner – en disant qu’on ne soignera plus dans les campagnes, ce qui parfois est mal perçu – ou continuer à soigner.

Malheureusement, on constate aussi que la volonté des médecins, que l’on peut comprendre, est de ne pas travailler dans des déserts médicaux. Et les déserts médicaux vont plutôt se maintenir voire s’accroître. Vis-à-vis de notre mission qui est de soigner, on s’interdit le fait de craindre l’innovation parce que si on ne réussit pas à la mettre en place, nos malades vont souffrir.

Nous, notre objectif c’est donc d’amener la santé aux malades pas à continuer à mener le malade dans des structures déjà surchargées, qui ne leur répondent pas, n’ont pas le temps, ou parfois pas l’expertise. Il faut repenser le système.

Pour cela, il faut être inventif pour ne pas reproduire des réseaux qui ne marchent plus. Et une des pistes est d’utiliser le numérique. A partir de là, il faut se demander comment implémenter ces outils. Notre équipe, elle, prône le fait qu’il faut les implémenter au sein même du système de santé, pas en parallèle ni en remplacement parce que ça n’a aucun sens.

Pour ceux qui n’ont pas Internet, comment pourront-ils avoir accès au médecin virtuel ?

On pense que c’est une minorité de gens, en particulier au sein des personnes atteintes de maladies chroniques. De plus en plus de signaux engagent les patients à avoir un lien Internet pour leurs maladies chroniques, ne serait-ce que pour faire suivre leurs traitements. Il y a une mutation qui est en train de se passer de façon à ce qu’à partir du moment où on met en place un suivi pour une maladie chronique, on s’assure que les gens pourront profiter d’un suivi internet. Donc ces gens vont matériellement avoir accès à ses solutions.

En ce moment, avec la crise des urgences, des personnes restent parfois 12 heures à attendre pour se voir délivrer une ordonnance. Si on leur demandait s’ils préféreraient avoir un accès numérique, on aurait généralement un avis assez favorable.

Quels sont vos objectifs ?

Nous avons reçu un important financement de la région Aquitaine de 3 millions d’euros qui va nous permettre de tester à domicile des patients l’usage de compagnons virtuels en autonomie. C’est-à-dire que vous partez avec l’agent virtuel sur votre smartphone et que vous vous en servez pendant 15 jours. Cela fait trois mois que l’expérimentation a débuté. 150 patients souffrant du syndrome de l’apnée obstructive du sommeil vont être concernés par la deuxième phase. On pourra ainsi suivre l’usage des PPC.

Envisagez-vous une commercialisation ?

On a développé une start-up “My Medical Agent” qui vise à mettre à disposition dans des contextes précis des agents conversationnels des produits d’évaluation clinique qu’on espère voir fonctionner au deuxième semestre de 2020, principalement dans les troubles du sommeil. Elle vise à commercialiser des premiers produits en décembre 2020, juin 2021.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Louise Claereboudt

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