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Le “cas Chiche” : quand un cardiologue alertait sur le Mediator… en 1999

Le cardiologue Georges Chiche est le premier à signaler à la pharmacovigilance, en 1998, un cas (un MG!) de valvulopathie cardiaque en lien avec la prise de Mediator. Jugée plausible, puis douteuse par la pharmacovigilance, son observation est tombée dans l’oubli. “Dix ans ont été perdus!”, déplore-t-il.

 

Le procès du Mediator s’est longuement penché sur le “cas Chiche”, mardi 15 octobre. C’est ainsi qu’est appelé, par les familiers de l’épais dossier d’instruction du Mediator, le premier cas de valvulopathie associé à la prise du Mediator, signalé à la pharmacovigilance en 1999 par le cardiologue marseillais Georges Chiche. “10 ans ont été perdus !”, s’est-il indigné.

Le cardiologue libéral, installé dans les quartiers nord de Marseille, a été un prescripteur de Mediator : “J’ai eu un maître d’endocrinologie qui m’a appris que le tour de hanche est un facteur prédictif du diabète de type 2. J’ai prescrit du Mediator pour réduire le tour de taille de mes patients, et le risque de diabète. Ce médicament semblait merveilleux. A l’époque, il était près de supplanter la metformine”, le traitement de référence du diabète.

 

 

Mais le cardiologue est aussi un lecteur des revues médicales internationales. Et en 1996, il repère un article du New England Journal of Medicine, signé par le Pr Lucien Abenhaim, sur l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) en lien avec la prise de coupe-faim de la famille des fenfluramines. Les travaux du Pr Abenhaim ont abouti au retrait du marché en 1994 de deux autres médicaments de Servier, le Pondéral (fenfluramine) et l’Isoméride (dexfenfluramine). Le cardiologue marseillais avait aussi en tête l’épidémie d’HTAP survenue dans les années 70 autour du Lac Léman, cette fois en lien avec l’aminorex, un anorexigène. “Je regarde la DCI du Mediator, c’est le benfluorex. Je retrouve ‘-flu’, qui le relie aux fenfluramines, et ‘-orex’, qui le relie à l’aminorex, donc aux anorexigènes. Je réalise que c’est l’oncle Ben de la famille !”. Il note encore que le benfluorex est dans la liste des anorexigènes bannis en 1995 des préparations magistrales en pharmacie. Les publicités du Mediator de l’époque ne lui échappent pas non plus : “il était déconseillé aux sportifs, car il peut être détecté comme produit dopant. Pour moi, c’est une amphétamine !”

A partir de là, Georges Chiche dé-prescrit systématiquement le Mediator. Fin 1998, il revoit un patient soigné pour des problèmes coronariens, auquel il avait conseillé quelques années plus tôt le Mediator. “Ce patient était un médecin généraliste qui s’auto-prescrivait le Mediator. Quand je le revois, il présente une fuite aortique notable. Ce cas m’a paru intéressant à signaler, car je disposais d’échocardiographies avant la prise de Mediator, qui étaient normales.” Il envoie donc une observation, bien documentée, au Centre régional de pharmacovigilance de Marseille.

Le traitement de ce signalement est rocambolesque. “Je n’ai reçu aucun accusé de réception de Paris. En revanche, j’en ai reçu trois autres. Celui d’un visiteur médical de Servier, qui s’est présenté à mon cabinet pour me dire que mon observation était nulle, que je devais la retirer. Puis le CRPV de Marseille a organisé une réunion avec le médecin pharmacologue du laboratoire. Le 3e accusé de réception est venu de la mairie de Marseille. L’adjoint à la culture, qui était cardiologue, m’a appelé pour me dire: Georges, comment as-tu pu écrire une chose pareille ? C’était un fan de jazz, il organisait un festival financé par qui vous savez…”

Au niveau national, son signalement s’est égaré: sa plausibilité jugée “crédible” à Marseille, a finalement été considérée comme “douteuse” à Paris. Le “cas Chiche” n’est jamais passé devant la commission nationale de pharmacovigilance. Une enquête européenne sur le Mediator était pourtant en cours à l’époque, à l’initiative des Italiens, et en collaboration avec la France.

Le cardiologue Georges Chiche a continué à s’intéresser au Mediator, il estime avoir repéré une cinquantaine de victimes du médicament. Mais il n’a plus jamais signalé de cas à la pharmacovigilance. “Mon observation, mon nom, mon adresse ont été distillés à la partie adverse. C’est intolérable. C’est la preuve par neuf de la porosité de l’agence du médicament.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Caroline Coq-Chodorge

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