Lancé il y a dix ans, le service Sophia de l’Assurance maladie était d’abord destiné à accompagner les patients diabétiques afin de prévenir les complications puis il s’est adressé en 2014 aux patients asthmatiques pour améliorer leur observance thérapeutique. Deux nouvelles études d’évaluation de l’impact médico-économique de ce service ont été réalisées en 2018 et présentées à l’Uncam le 7 février 2019. L’Assurance maladie a mis en avant les résultats “significatifs dans le diabète, encourageants dans l’asthme” en matière de santé publique et de réduction des dépenses qu’apportent ce service.​

 

La première concerne les patients diabétiques adhérents de la première heure (en 2008), en particulier les patients prioritaires en écart de soins par rapport à trois examens de suivi (fond d’œil, bilan rénal, examen dentaire). Son recul de huit ans est suffisant pour avoir des résultats en termes de morbi-mortalité. La seconde concerne les adhérents asthmatiques et montre après deux ans d’accompagnement une meilleure observance, sans impact clinique. Sauront-elles convaincre les médecins (56% sont encore dubitatifs) sur les bénéfices de ce service ?

Parti d’une expérimentation initiale concernant les patients diabétiques dans 9 départements en 2008, élargie à tout le territoire en 2013, afin de prévenir sept complications du diabète, Sophia, service d’accompagnement des patients ayant une maladie chronique, a ensuite été déployé aux patients asthmatiques en 2014, et généralisé en 2018, afin d’améliorer leur observance médicamenteuse.

 

2% des entrées dans le dispositif sont effectuées par le médecin

Ce service gratuit d’accompagnement à distance (courrier, emails, web et appel téléphonique,), fondé sur une approche motivationnelle, est adapté aux besoins du patient, lequel est encouragé à modifier ses habitudes de vie (activité physique, tabagisme, alimentation). L’entrée du patient (éligible s’il est majeur, en ALD et traité par des antidiabétiques) dans le dispositif, basée sur le volontariat, se fait soit à sa demande via un service en ligne ou par courrier, soit à celle de son médecin traitant via le site amelipro (rubrique patientèle). Depuis mars 2018, le médecin traitant peut demander, après en avoir informé son patient, au service Sophia d’intervenir sur un thème précis (arrêt du tabac, observance, suivi des examens recommandés, activité physique, etc.). Actuellement, seulement 2% des entrées dans le dispositif sont effectuées par le médecin.

Depuis son lancement, des évaluations régulières, médicales et économiques, des enquêtes de satisfaction et retours d’expérience, auprès des médecins généralistes et des adhérents, ont permis à la Cnam de faire évoluer ce dispositif. Après que les premières études d’impact ont montré qu’il touchait davantage les personnes déjà motivées à mieux se soigner, et mieux suivies que la moyenne des personnes diabétiques, le service Sophia a cherché à mieux cibler les patients en écart de soins. Il ciblait donc les patients peu enclins à s’inscrire à un programme de prévention, au suivi insuffisant, et donc plus à risque de complications (à cette fin, l’Assurance maladie organise des réunions d’information pour amener les patients éligibles à entrer dans le dispositif).

Ainsi, depuis 2015, plus de 120 000 personnes diabétiques ayant un suivi insuffisant de leur maladie ont adhéré et pu bénéficier d’un accompagnement renforcé (courriers ciblés, appels téléphoniques par des infirmiers-conseillers en santé) pour les inciter à réaliser les examens de suivi recommandés. Cette population prioritaire, définie par des critères propres à l’Assurance maladie, à savoir la non-réalisation de trois examens de suivi à la fréquence recommandée (absence d’examen du fond d’œil sur deux ans, de bilan rénal et d’examen dentaire sur un an) représente près d’un tiers de l’ensemble des diabétiques éligibles au service (la part des adhérents en écart aux soins oscille de 31 % à 57,5 % selon les années).

Les recommandations de suivi du diabète prévoient de réaliser périodiquement sept examens pour suivre le diabète (dosage de l’hémoglobine glyquée, bilan lipidique, fond d’œil, examen dentaire, ECG, bilan rénal sanguin et urinaire, examen des pieds) et dépister au plus tôt l’apparition de complications liées à cette pathologie.

 

Suivi de la maladie, amélioré chez les adhérents diabétiques en écart aux soins

L’impact du service Sophia sur le recours aux soins de cette population diabétique prioritaire s’avère rapidement significatif par rapport au reste des adhérents, selon une étude couvrant la période 2014-2018. Parmi les 86 741 nouveaux adhérents au service en 2015, 29,2 % avaient réalisé un bilan rénal annuel l’année précédant leur inscription à Sophia (versus 42,5% pour l’ensemble des adhérents en 2014) ; mais 44,5% l’ont réalisé l’année suivant leur adhésion en 2016, et 48,6% fin 2018 (versus 50,3 % pour l’ensemble des adhérents).

Ainsi, en deux ans, les patients en écart aux soins rejoignent le niveau de l’ensemble des adhérents, et réalisent leurs examens de suivi à une fréquence quasi-équivalente. Le rattrapage est encore plus important concernant la réalisation du fond d’œil annuel (42% l’avaient fait avant l’adhésion, 62% en 2016-2017 après l’adhésion, versus 67,8% pour l’ensemble des adhérents).

L’étude d’évaluation médicale (impact sur la survenue des complications) et économique (dépenses de soins), dans laquelle les premiers adhérents de 2008 ont été suivis pendant huit ans, démontre que le service contribue à une amélioration de leur santé*. En effet, bien que les résultats restent faibles pour l’examen dentaire et l’ECG, les niveaux de réalisation d’autres examens recommandés sont plus élevés. On note des variations selon les années, chez les adhérents par rapport aux témoins, à tel point que le groupe adhérent dépasse le niveau du groupe témoin de 2 à 4,7 points pour les deux dosages d’hémoglobine glyquée annuels, de 2,5 à 8,8 points pour le bilan rénal annuel, de 2,2 à 7,1 points pour l’examen du fond de l’œil annuel.

Pour Annelore Coury, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins, “on veut que l’action Sophia perdure dans le temps” :  c’est précisément ce que cette étude confirme. L’amélioration du suivi recommandé, déjà montrée dans les évaluations précédentes, persiste sur une longue période (ce qui requiert “un renouvellement permanent des interventions pour rester efficace“) ; toutefois, sauf pour la réalisation de l’hémoglobine glyquée et du bilan lipidique (70%), son action reste encore en-deçà des niveaux recommandés par la Haute Autorité de santé. Par exemple, pour le bilan rénal, “on est encore loin des recommandations (l’objectif est d’être à 80%), selon Emmanuel Gomez du service Sophia, précisant que si l’examen sanguin rénal est bien réalisé à 80%, l’analyse de la micro-albuminurie n’est ni prescrite ni réalisée“.

 

Moindre recours à l’hôpital, moins de décès

Au cours des huit années de suivi, les hospitalisations augmentent de façon continue, jusqu’à un quasi-doublement des durées d’hospitalisation dans la population éligible (adhérents et nonadhérents). Pour les hospitalisations tous motifs confondus, de 186 jours d’hospitalisation par an pour 100 personnes avant l’adhésion, à 362 jours la huitième année. Pour les hospitalisations pour complications du diabète, de 77 jours d’hospitalisation à 134 jours la huitième année.

À partir de la sixième année après l’adhésion, le service Sophia permet d’atténuer ce recours augmenté à l’hôpital, par rapport au groupe témoin. Pour les hospitalisations qu’elles soient tous motifs confondus (33 jours évités pour 100 adhérents par rapport au groupe témoin, différence significative les septième et huitième années), ou liées au diabète et à ses complications (19 jours évités, la septième année), ou liées à un événement cardiovasculaire majeur (17 jours évités, significatif la sixième et septième année, mais pas la huitième) ; et pour le recours aux urgences hospitalières (2 passages évités, pour 22 passages pour 100 adhérents).

Pour Emmanuel Gomez, “ces résultats encourageants sur l’apparition retardée de complications sont à interpréter avec prudence, puisqu’ils ne sont pas observés chaque année, ni sur tous les indicateurs”. Et Annelore Coury souligne : “On obtient quand même des résultats significatifs, ce sont des signaux intéressants, car c’est la première fois qu’on étudie cette évolution.

L’autre intérêt de cette étude rétrospective à long terme est d’apporter des résultats en termes de morbi-mortalité : le taux de décès est inférieur chez les adhérents : entre la cinquième et la huitième année après l’adhésion (les données des années précédentes ont été effacées, comme le veut le règlement de la Cnil), on dénombre 3,1 décès pour 100 personnes chez l’ensemble des adhérents en moyenne par an versus 3,6% chez les témoins.

 

Les dépenses augmentent moins vite chez les adhérents

Les dépenses de santé augmentent dans la population éligible (de 5 100 € par an en moyenne avant l’adhésion à 8 220 € la huitième année) au cours des huit années de l’étude, mais chez les adhérents ces dépenses augmentent moins par rapport à la population témoin, à compter de la septième année d’intervention. L’étude, avec environ 17 000 diabétiques ayant adhéré en 2008 (moyenne d’âge 65 ans), ne relève pas de différence significative des dépenses totales de soins durant les six premières années de suivi, mais sept et huit ans après l’adhésion, une diminution chez les adhérents de 289€ est constatée par rapport au groupe témoin. Cette différence est surtout le fait des dépenses d’hospitalisation (–380€ la septième année, –360€ la huitième année), les dépenses de soins de ville étant plus fortes dès la quatrième année après l’adhésion, de +105 € à +233 € selon les années (les adhérents ont plus recours à la kinésithérapie, aux infirmières, etc.).

 

Sophia asthme : des débuts encourageants

En 2014, le service Sophia a été décliné dans l’asthme, pour améliorer l’observance médicamenteuse à long terme, selon une stratégie similaire à celle appliquée au diabète, sachant que la population ciblée est plus jeune (18 à 44 ans) et active, et un seul examen de suivi, l’exploration fonctionnelle respiratoire, est recommandé chaque année.

En 2018, lors de sa généralisation, un ciblage des personnes prioritaires (bénéficiaires de la CMU-C et personnes adhérant faiblement au traitement de fond, avec seulement de 1 à 5 délivrances de médicaments sur douze mois) a été mis en place : parmi les 36 000 nouveaux adhérents de 2018, 24 000 ont été considérés comme prioritaires (66%).

L’évaluation menée en 2018 compare 8 500 adhérents inscrits en 2014 à un groupe de témoins (issus de départements où le service Sophia n’était pas encore expérimenté pour les asthmatiques) afin de mesurer l’impact de cet accompagnement après un an d’adhésion par rapport aux douze mois précédant l’adhésion, en termes de consommation médicamenteuse, de recours aux soins et de dépenses. Dans cette étude, le niveau d’observance médicamenteuse, faible pour toutes les populations étudiées, s’est dégradé au cours des deux années de suivi. Toutefois, la diminution de la délivrance de traitements de fond est moins prononcée chez les adhérents au service Sophia par rapport au groupe témoin.

D’autres améliorations sont constatées dans le groupe adhérent, concernant l’observance (+ 6 jours couverts par une délivrance de médicaments, atteignant 127 jours de couverture – la recommandation en préconise 292 par an), le contrôle de l’asthme (2% des adhérents se sont vus délivrer davantage de traitements de fond que de traitements de crise) et la réalisation de l’EFR (23,8% des adhérents, soit +3,6 points par rapport aux témoins), sans diminution du recours aux soins pour exacerbations de l’asthme (seules 0,5% des personnes asthmatiques hospitalisées pour exacerbations chaque année). Corollaire, par rapport au groupe témoin, une dépense de santé supplémentaire pour les adhérents (+ 65€), dont 82 % concerne des médicaments, et sans différence significative pour celles liées à l’hospitalisation, aux indemnités journalières, aux consultations.

Selon Annelore Coury, précisant que le coût du service Sophia est d’environ 35 millions d’euros par an, soit 46 euros par an (110 euros au début du programme) et par adhérent, “ce programme à visée de prévention permet de réaliser des économies dès la septième année” chez les patients diabétiques. Très apprécié par ses adhérents (encadré) et mieux accepté par les médecins, qui le vivent de façon moins concurrentielle qu’à ses débuts (en 2014, 4% d’entre eux décourageaient leurs patients de s’inscrire à ce programme), il contribue à une amélioration du suivi médical. L’Assurance maladie compte bien le pérenniser, en ciblant encore mieux ses actions de recrutement et d’accompagnement, en diversifiant ses modes d’action (emails, SMS, apps), afin de relayer encore mieux les recommandations, en élargissant le dispositif d’entrée aux médecins spécialistes (diabétologues et pneumologues). Elle prévoit d’informer, fin 2019, le médecin traitant des thèmes abordés et des objectifs pour chaque patient, afin qu’ils puissent s’approprier ce programme dans leur pratique, et être convaincus de ses bénéfices (avec un slogan “je propose à mon patient d’être accompagné”).  À terme, cet accompagnement pourrait être étendu à la prévention du diabète, et à celle de l’obésité infantile.

 

* Méthodologie de l’étude : les résultats ont été évalués par la méthode des doubles différences (les groupes des personnes éligibles au service de la première vague d’expérimentation en 2008 [adhérents et non-adhérents], des adhérents de cette première vague [de mars 2008 à mars 2009, un adhérent sur deux tirés au sort, soit 17 000] et des non-adhérents [éligibles en 2008, ils n’ont jamais adhéré jusqu’en 2016] ont été comparés à une population témoin (assurés éligibles rattachés à une CPAM qui ne proposait pas le service Sophia avant sa généralisation en 2013), et l’effet est observé au cours de chacune des années suivant l’adhésion, pendant huit ans, comparativement aux douze mois précédant l’adhésion au service.

 

Un service plutôt bien perçu par les médecins et par les patients

D’après une enquête récente (2018) de satisfaction auprès des adhérents diabétiques, 9 sur 10 recommanderaient à un proche le service Sophia qui les aide à comprendre, à réaliser les examens prescrits et à prendre leurs médicaments. La même enquête auprès des patients asthmatiques montre que 76%, après un an d’expérimentation, se sentent encouragés à faire évoluer leurs habitudes, et que 69% considèrent ce service comme un soutien.

Côté médecins, avec un échantillon représentatif de 300 médecins généralistes, 77% jugent ce service utile et complémentaire de leur activité (toutefois 27% ont le sentiment qu’il empiète sur celle-ci versus 40% en 2014). Pour 67%, cet accompagnement fait évoluer les habitudes de vie des patients, et pour 65%, permet une bonne observance médicamenteuse. Si 8 sur 10 estiment que l’Assurance maladie est dans son rôle en proposant ce service, 56% disent pourtant ne pas constater de résultats objectivables pour leurs patients et attendent d’être convaincus de ses bénéfices.

 

Sophia en chiffres

220 infirmiers-conseillers en santé
873 000 adhérents fin 2017, toutes pathologies confondues
791 663 adhérents diabétiques
71 960 adhérents asthmatiques Rapport d’évaluation et annexes sur  www.ameli.fr.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Christine Maillard

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