Il est resté un mois et demi sans visage : un homme qui avait reçu une greffe totale de la face il y a plusieurs années a dû en subir une deuxième à cause d’un rejet, cas inédit qui illustre le suivi délicat de ces opérations spectaculaires.

 

Initiée en 2005, cette technique aux lourdes implications éthiques comporte des risques importants de complications. Ils sont dus au phénomène de rejet et aux traitements destinés à l’éviter, qui doivent être pris à vie et abaissent les défenses de l’organisme.

 

La gravité du rejet avait nécessité qu’on lui retire le premier visage

Cette opération complexe a été réalisée à l’hôpital européen Georges Pompidou, à Paris, par une équipe dirigée par le professeur Laurent Lantieri, spécialiste de ces interventions. Elle a démarré “lundi 15 janvier en début d’après-midi et s’est terminée mardi 16 janvier en début de matinée”, selon un communiqué de l’Agence de la biomédecine et de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). “La greffe est intervenue sur un patient qui avait déjà bénéficié d’une greffe de face” il y a quelques années et “présentait un rejet chronique“, précise le communiqué.

En juin 2010, ce jeune Francilien de 35 ans n’en peut plus. Il attend depuis deux ans un nouveau visage. Atteint de neurofibromatose, une maladie génétique dégénérative qui déforme le visage de manière spectaculaire, cet ancien régisseur vit un calvaire :  impossible de sortir dans la rue, il est incapable de mener une vie normale. Sa maladie est aussi appelée “maladie d’Elephant Man”. Il reçoit alors une greffe qualifiée de totale, car les paupières mobiles et le système lacrymal sont aussi transplantés. Et pendant plusieurs années, pour lui, tout se passe à peu près bien. En 2015, il raconte son histoire dans un livre  “T’as vu le monsieur ?” . Il y a quelques mois, il a montré des signes de rejet de son greffon, avec d’importantes lésions. Un phénomène, aigu ou chronique, qui concerne la plupart des greffes, avec des effets plus ou moins graves.

Il avait été remis sur liste d’attente le 27 octobre dans l’optique d’une nouvelle greffe de la part d’un donneur décédé. Le 30 novembre, “la gravité du rejet” avait nécessité qu’on lui retire complètement le premier visage greffé. Depuis, il était hospitalisé en réanimation.

“La réactivité des autorités de santé a été exemplaire, explique Laurent Lantieri au Parisien. Mais il faut aussi penser à la famille du donneur qui, en acceptant le prélèvement, a fait un geste altruiste extrêmement fort”, souligne-t-il. Pendant que ce prélèvement est effectué, le patient se prépare à entrer en salle d’opération. Les équipes doivent aller vite car les tissus peuvent s’altérer. Il en ressortira seize heures plus tard, le lendemain matin avec un nouveau visage.

 

 

Pour la première fois au monde, cette opération “démontre dans le domaine des greffes vascularisées composites (face et main) qu’en cas de rejet chronique, une retransplantation est possible”, soulignent l’Agence de la biomédecine et l’AP-HP. Mais elles émettent une réserve de taille : “Cette greffe est soumise à des contraintes immunologiques sévères et seul le suivi à plusieurs semaines confirmera la viabilité du greffon.”

La première greffe du visage au monde, partielle, remonte à 2005 et a été réalisée par l’équipe du professeur français Bernard Devauchelle. Elle avait bénéficié à une femme de 38 ans, Isabelle Dinoire, défigurée par son chien. Cette dernière est décédée en avril 2016 d’une tumeur maligne. Les deux premières greffes totales du visage datent de 2010, réalisées par une équipe espagnole et le professeur Lantieri. Depuis 2005, moins de quarante greffes du visage ont été réalisées dans le monde.

 

“Ce n’est pas une greffe uniquement esthétique”

“La possibilité de rejet, qui existe pour toutes les greffes, est à priori plus importante” pour celles du visage et des mains, explique à l’AFP le professeur Olivier Bastien, de l’Agence de la biomédecine. Ce type de greffes concerne en effet “les structures profondes de la peau, qui attirent beaucoup les lymphocytes”. Ces globules blancs s’attaquent aux tissus greffés, considérés comme un corps étranger. Lorsqu’ils ne sont plus controlables par les traitements, les phénomènes de rejet chronique peuvent entraîner la destruction de l’organe greffé. En outre, les traitements anti-rejet ont des effets secondaires : diabète, insuffisance rénale, hypertension artérielle, ostéoporose… Et comme les greffés du coeur ou du rein, les patients transplantés de la face, fragilisés par les traitements anti-rejet, sont plus vulnérables aux risques d’infections et de cancers.

 

 

Ce type de greffes reste rare car il concerne des cas exceptionnels pour qui la chirurgie réparatrice classique ne suffit pas, souligne le professeur Bastien. “Ce n’est pas une greffe uniquement esthétique”, ajoute-t-il. “Elle a vocation à restaurer la mastication, la salivation, et nécessite le repousse des nerfs qui permettent de commander ces actions. Toute la partie rééducation est très longue.”

 

“Il serait inconvenant de crier victoire”

 

“Nous avons pu revasculariser et réussir la greffe en elle-même. Reste qu’il est toujours en réanimation, et qu’il serait inconvenant de crier victoire”, précise Laurent Lantieri. “Seul le suivi à plusieurs semaines confirmera la viabilité du greffon. Le risque de rejet, qui existe pour toutes les greffes, est là, a priori plus important”, insiste le professeur Olivier Bastien, de l’Agence de la biomédecine.

En dévoilant ce cas sans toutefois donner l’identité du patient, l’Agence de la biomédecine et l’AP-HP ont partiellement confirmé des informations de l’hebdomadaire Ebdo paru vendredi. “L’Agence de la biomédecine et l’AP-HP déplorent que le principe de l’anonymat n’ait pas été respecté. L’application stricte de ce principe est indispensable au respect du donneur et de sa famille dont le deuil doit être protégé”, écrivent-elles. Une enquête administrative va être menée pour rechercher l’origine de cette fuite.

Les deux institutions ajoutent qu’elles n’avaient pas l’intention de rendre cette greffe publique “avant un délai de plusieurs jours, permettant d’avoir davantage d’éléments sur les suites à plus long terme de l’intervention et sur l’état de santé du patient.”

 

[Avec AFP, Liberation.fr et Leparisien.fr]

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Egora

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