Passer au contenu principal

Soignants suicidaires : ne plus détourner le regard

Le burn out des soignants est aujourd’hui pris en compte par les pouvoirs publics depuis que Marisol Touraine a intégré sa prévention dans la Stratégie nationale de santé. C’est dans cette optique que SPS (Soins aux professionnels de santé), l’association créée et présidée par le Dr Éric Henry, va tenir, le 11 décembre prochain, au ministère de la Santé à Paris, son 3e colloque “Quelles innovations dans la prise en charge des professionnels de santé rendus vulnérables ?”.

 

Président de la société Stethos, qui a pris en charge la logistique de l’enquête SPS sur le suicide et les pensées suicidaires, et s’est assuré de l’anonymat des données récoltées, le Dr Henri Farina commente les résultats marquants de cette consultation où la taille réduite de l’échantillon recueilli traduit le tabou qui entoure encore cette question.

 

Egora.fr  : Quelles sont les principales données que l’on peut tirer de cette enquête ?

Dr Henri Farina : J’attire l’attention sur le fait que les questions ont été posées en perspective et dans le temps. Ainsi, à la question “Avez-vous déjà eu vous-même des idées suicidaires dont l’origine était tout ou en partie d’ordre professionnel ?”, 25 % des répondants professionnels de santé (la proportion étant la même pour les médecins) répondent “oui”. D’autres études menées sur des professionnels de santé par d’autres intervenants ont produit parfois des chiffres inférieurs, mais la question posée n’était pas la même, elle interrogeait l’hypothèse d’une démarche suicidaire, au jour d’aujourd’hui. Cela posé, je trouve que les chiffres sont assez cohérents. Alors on peut dire que l’échantillon n’est pas représentatif*, ce qui est vrai, que le questionnaire a été véhiculé par le biais de différents journaux, ce qui est encore vrai, mais je trouve néanmoins que ces chiffres sont ahurissants. Car lorsqu’on interroge 710 professionnels de santé et que 25 % d’entre eux vous répondent qu’ils ont déjà eu des pensées suicidaires dont l’origine était tout ou partie d’origine professionnelle, c’est tout bonnement ahurissant, énorme. Il serait intéressant de savoir si, dans la population générale, on obtient les mêmes chiffres. À l’évidence, les professionnels de santé sont très concernés par leur environnement professionnel.

Et ce pourcentage est constant parmi les professionnels de santé qui ont répondu.

C’est ce qui rend crédibles les chiffres et les rend stupéfiants. Les infirmières, les pharmaciens et les médecins ont des chiffres similaires, autour de 25 %. Sur le type d’exercice, en revanche, on note que les libéraux sont davantage concernés. Il y a le stress médical, bien entendu, mais aussi la pression administrative et l’isolement. Il y a à l’évidence une difficulté supplémentaire qui touche les libéraux. Un autre chiffre interroge : 8 % seulement des médecins ayant été confrontés à ce problème durant leur vie professionnelle ont fait appel à une plateforme, mais cet outil n’existait pas au début de leur vie professionnelle, et donc 8 % ce n’est déjà pas mal. Mais cela n’est pas la solution unique, l’étude menée l’an passé démontrait que 71 % des médecins traversant une période de souffrance psychique demandaient une prise en charge physique. Il y a d’autres moyens, notamment d’en parler autour de soi. Lorsque c’est le cas, la famille arrive en tête parmi les médecins (52 %), suivie par le psychiatre en consultation (38 %), un confrère (35 %), un ami (31 %) et un psychologue en consultation (15 %). Néanmoins, l’étude pointe également le fait que 58 % des répondants (52 % des médecins [Ndlr]) ayant traversé une période suicidaire n’en ont parlé à personne. C’est majeur.

On se rend compte aussi de l’impact du suicide de professionnels de santé connus sur les soignants, sur la qualité des soins et les risques qui peuvent alors rejaillir sur les patients…

À titre personnel, moi qui suis médecin, j’ai appris le suicide de deux anciens amis, nous étions internes ensemble. Les gens qui déclarent que ce fait n’a pas d’impact sur eux sont minoritaires. Tous ces suicides dont on parle dans la presse influent sur les professionnels de santé. En 2016, plus de 50 % des professionnels de santé en souffrance reconnaissaient que cet état rejaillissait sur la qualité des soins. En outre, ils sont 58 % à avancer qu’un suicide peut induire un autre suicide.

 

* 710 professionnels de santé ont répondu à l’enquête, dont 472 médecins (63 % d’hommes, 37 % de femmes, d’âge moyen de 53 ans), 114 pharmaciens, 53 infirmières et 71 “autres”. 

 

Une plateforme d’écoute pour favoriser l’accompagnement

La plateforme d’écoute anonyme et gratuite de SPS a reçu 1 800 appels en un an au 0805 23 23 36.
“Nous sommes au-delà de nos objectifs”, souligne le Dr Catherine Cornibert, présidente d’ACS, qui dirige les actions et la communication de l’association SPS. Depuis qu’elle a été mise en place, le 28 novembre 2016, la plateforme nationale d’écoute anonyme et gratuite pour les professionnels de santé en situation de souffrance psychologique, a déjà recueilli 1 800 appels.
500 infirmières, 400 médecins, 250 aides-soignantes, pour ne citer que les professions les plus représentées, ont composé le 0805 23 23 36 pour être écoutés sur des problèmes relatifs à l’épuisement professionnel, des demandes d’aide et de prise en charge, des conflits avec la hiérarchie (60 % des appelants sont des salariés, 30 % des libéraux), ensuite des problèmes de santé ou de nature personnelle, des conflits avec l’équipe et, enfin, les conditions de travail. “Les libéraux sont plus touchés par les conditions de travail, les salariés par les conflits avec la hiérarchie“, commente Catherine Cornibert. Mais, au final, il ressort des appels auprès des 60 psychologues de la société Pro-Consulte, écoutants de la plateforme, que 15 % d’entre eux ruminent des idées noires et/ou ont fait des tentatives de suicide.
Sur un plan géographique, les personnes en souffrance sont nombreuses en Île-de- France (30 % des appels), puis, par ordre décroissant, se situent en Rhône-Alpes, dans les Hauts-de-France, dans le Grand Est et en Paca. Avec la mise en place de cette plateforme, ACS, qui fête ses 3 ans, poursuit la stratégie qu’elle s’était fixée à la lecture de trois études du Centre national des professions de santé (Cnps), réalisées en 2015 et 2016, mettant en avant que 50 % des répondants ont reconnu être ou avoir été concernés par le burn out, 50 % ne savaient pas à qui s’adresser et 50 autres pour cent (65 % parmi les seuls médecins généralistes) avouaient que la souffrance psychologique ressentie impactait la qualité des soins et pouvait mettre en danger les patients.
Un autre résultat soulignait que 80 % des personnes en souffrance souhaitaient se tourner vers des unités dédiées où elles auraient côtoyé d’autres professionnels de santé. Il y avait également une demande de consultations physiques. D’où, par SPS, la construction d’un maillage territorial de consultations physiques et d’unités dédiées si des hospitalisations s’avèrent nécessaires dans des cliniques privées, un peu partout en France sur cahier des charges. Un projet d’hospitalisation de jour est en cours.

Campagne d’écoute

La plafeforme SPS s’inscrit dans le cadre de la stratégie nationale de santé, et d’un des engagements du 2e Plan pour la qualité de vie des soignants lancé par Marisol Touraine, signale Catherine Cornibert. Ses initiateurs participent à un groupe de travail, avec d’autres associations intervenant dans ce secteur, dans le cadre du lancement d’une nouvelle campagne nationale d’écoute. L’association bénéficie d’un financement annuel de la Cnam et du RSI.
Enfin, le dernier axe stratégique concerne la formation de soignants à la prise en charge des soignants en souffrance. Dans le cadre de l’Agence nationale du DPC, SPS organise des sessions de formation pour les praticiens qui accompagnent et soutiennent en ambulatoire des soignants rendus vulnérables. Le premier module, structuré sur deux jours, aura lieu en janvier 2018. Il aura pour thème “Repérage et prise en charge des soignants rendus vulnérables par leur travail”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne

Sur le même thème :
Un neurochirurgien de 36 ans se suicide au CHU de Grenoble
Réalisateur, il s’immerge deux ans dans un bloc en burn out
“Vendredi, mon associé s’est suicidé”
Après deux burn out à 30 ans, je quitte la médecine générale
Victime d’un burn out, un médecin généraliste s’est suicidé en Mayenne