A l’heure où fleurissent les messages anti-médicaments sur Internet, où le savoir médical est régulièrement remis en cause, et où les réseaux sociaux offrent une caisse de résonnance inédite, le temps semble venu de remettre de l’ordre dans l’information sur les médicaments. Agnès Buzyn a chargé l’urgentiste et homme de média Gérald Kierzek de co-présider une mission sur le sujet.
Egora.fr : Quelle est votre mission ?
Dr Gérald Kierzek : C’est une mission d’information sur les médicaments, suite à l’affaire du Levothyrox. Pour autant, ce n’est pas une mission centrée sur le Levothyrox mais plus largement sur l’information des patients et des professionnels de santé sur le médicament. Globalement, à l’issue de l’affaire du Levothyrox, Jean-Pierre Door, député LR, avait qualifié de scandale médiatique plutôt que sanitaire. Je pense que c’est plutôt le scandale de l’information. Et ce n’est pas un scandale d’ailleurs, c’est plutôt une crise de l’information.
Pourquoi vous a-t-elle été confiée ?
Agnès Buzyn a souhaité me confier la co-présidence de cette mission à double titre : à titre de praticien de terrain et urgentiste, et au titre de mon activité médiatique de chroniqueur radio télé et presse écrite. Si la ministre m’a choisi moi, c’est le fait de son côté pragmatique et professionnel de bon sens. Elle fait appel à un professionnel à la fois média et médical, en binôme avec une patiente. Cette co-présidence se fera avec Magali Leo, qui est responsable d’une association d’insuffisant rénaux. Nous avons souhaité nous entourer d’une petite commission. On est donc six, plus deux rapporteurs. Il y a une pharmacienne d’officine dans le 92 et élue URPS, Béatrice Clairaz. On a un médecin généraliste, le Dr Lucas Beurton, membre des généralistes enseignants. On a un sociologue Henri Bergeron, de Sciences-po puisqu’il est important d’appréhender cette dimension globale. On a aussi Corinne Devos qui est une patiente chronique membre de l’Association François Aupetit. On veut mener une démarche partenariale, de terrain pour auditionner de manière très large des gens de différents univers, médiatique, pharmaceutique, des associations évidemment, mais aussi des institutionnels… Nous allons rendre des propositions dans six mois. Elles devront être très concrètes. La ministre ne veut pas une couche supplémentaire au mille-feuilles, ni d’une énième structure. En revanche, elle attend des propositions concrètes d’harmonisation, de fluidification de l’information, de modifications législatives…
Pour ne pas interférer avec les affaires judiciaires en cours, on a vraiment voulu décentrer la mission et la sortir un peu du contexte du Levothyrox. C’est une mission plus large que ça. L’idée, c’est déterminer comment on rénove l’information dans ce pays. En 2017, on ne peut plus communiquer comme on le faisait il y a 30 ans.
Qu’est ce qui a changé ?
Les réseaux sociaux, les chaînes d’information, l’urgence médiatique. L’information part très vite, les journalistes n’ont pas toujours le temps de la traiter. La puissance des réseaux sociaux donne une puissance de parole à des gens qui ne l’avaient pas forcément avant. C’est bien dans certains cas, mais c’est contreproductif dans d’autres. Et les journalistes qui sont là pour relayer, relaient parfois un peu rapidement.
On voit aussi que les méthodes de communication type courriers des agences sanitaires envoyés aux médecins, sont nécessaires mais pas suffisantes. L’information s’est renouvelée dans la pratique. Est-ce que la réglementation a suivi ? Est-ce que tout le monde est bien conscient de ces changements ? N’y a-t-il pas des choses à faire en termes de formation des différents acteurs ? N’y a-t-il pas des relais d’opinion, des influenceurs à utiliser pour faire redescendre les informations vers les patients et les professionnels de santé et a contrario faire remonter des signaux faibles sur tel ou tel effet secondaire ? Ça pourrait même s’intégrer dans un dispositif de pharmacovigilance. La ministre a bien pris conscience que notre système était peut-être un peu daté, et qu’il fallait le remettre à jour.
Vous parliez du rôle des journalistes, quel est celui que doivent jouer les médecins dans ce travail ?
C’est une chaîne en fait. Il y a les patients, leurs représentants, les utilisateurs… et les médias qui par définition font le lien avec les professionnels, on pourrait ajouter l’industrie pharmaceutique, les autorités de santé… C’est à chacun de ces niveaux de la chaîne qu’il va falloir essayer de comprendre pourquoi, alors qu’on devrait aller dans le même sens, ça tire à hue et à dia. Pour revenir au Levothyrox, les patients rapportaient des symptômes, le pharmacien disait que non, le médecin n’avait pas de consigne particulière, les autorités de santé avaient des contraintes réglementaires, et au lieu d’aller tous dans le même sens on a eu des informations quasi-contradictoires, avec ensuite une vraie flambée sur Internet. Ça pose un problème de crédibilité de l’information. Surtout quand il y a des acteurs qui relèvent plus du show-biz que du domaine médical, ça parasite l’information. C’est tout cela qu’il faut comprendre, essayer de décrypter, voire de corriger pour qu’il y ait une information claire, loyale, rapide, transparente, qui puisse arriver aux professionnels et aux patients. Il n’y a rien de plus terrible pour les patients que se sentir niés dans leur souffrance, et rien de plus terrible pour les professionnels que de se sentir négligés dans leur rôle de professionnels parce qu’ils apprennent les informations par la presse. Et c’est terrible aussi pour les journalistes de ne pas s’y retrouver, de ne pas avoir le temps d’une enquête…
Cet épisode du Levothyrox et les problèmes plus larges dont vous parlez ne s’inscrivent-ils pas dans un contexte global de défiance envers le médicament ?
Bien sûr. Ça s’inscrit dans un contexte général de défiance envers le médicament, mais pas qu’envers le médicament. Envers la rationalité de la médecine aussi. On voit bien que les experts sont mis en doute pour des raisons de liens d’intérêts… Mais ça a commencé avec l’affaire du sang contaminé, en fait. Ou avec l’affaire du Distilbène. Il y a eu un problème d’effilochement de cette confiance. Ça ne se décrète pas la confiance, mais l’enjeu clairement de notre mission, c’est de faire des propositions pour que l’information passe et pour redonner cette confiance. Pour passer de la défiance à la confiance, ça va prendre du temps parce qu’on a franchement dégringolé. Encore une fois, ça ne se décrète pas et ce n’est pas une mission qui va permettre de redonner cette confiance. Mais le but ultime, c’est bien ça. Il faut redonner confiance dans la parole médicale et scientifique.
L’autre problème, c’est que pendant qu’il y a une défiance vis-à-vis du corps médical, et de la science en général, se développe en contrepoint tout un discours obscurantiste, quasiment sectaire, qui m’inquiète énormément en tant que professionnel. Et on a tous à y perdre. On est en train de monter les patients contre les professionnels de santé, c’est la division ultime après avoir divisé les professionnels de santé entre eux. Alors que la base de la relation professionnels de santé / malade, c’est la confiance. Or là, à force de diviser et d’altérer la confiance envers les professionnels, les patients se tournent vers d’autres groupes qui ont aussi des liens d’intérêts. Il ne faut pas se leurrer. Vous avez des industriels de la naturopathie, des gens qui vont vendre des séminaires en médecine soi-disant naturelle, qui sont plus de l’ordre de la secte que d’autre chose… Et ces gens ont le même poids sur les réseaux sociaux et sur internet, voire plus parce qu’ils n’ont pas de contraintes réglementaires, que les gens qui tiennent un discours rationnel et scientifique ! C’est un retour à l’obscurantisme, qui est assez terrible. En façade numérique, ils ont le même poids. Et les patients se retrouvent dans une situation où ils n’ont plus les moyens de juger qui est légitime, qui est l’émetteur, quelle est la bonne information… Il faut reclarifier tout ça.
Est-ce-que ce retour de la confiance peut passer par l’obligation comme on le voit avec l’extension de l’obligation vaccinale ?
C’est un autre sujet. Ce n’est pas du tout dans le cadre de la mission. Même si les vaccins font partie des médicaments. Obligation ou pas obligation, ce qui est important c’est d’arriver à faire passer un message scientifique rationnel. Or sur les vaccins, sur le Levothyrox, sur tout médicament, on n’arrive plus à faire passer la rationalité parce que d’autres font passer des contre messages qui ont autant de poids sur internet. Sur l’histoire de l’obligation vaccinale, ce que disaient les gens avant c’est “Docteur qu’est-ce-que vous en pensez ? C’est bien ou pas ? Si c’est bien, on le fait.” Sauf que maintenant, ce poids-là dans le colloque singulier perd du terrain face à un envahissement complètement irrationnel sur internet. Le problème, ce n’est pas l’obligation ou pas l’obligation. Le problème, c’est cette relation de confiance. Et je crois que la ministre a bien compris qu’il y a urgence, et qu’il fallait à tout prix refaire passer l’information. Ça c’est notre obligation.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier
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