Le Dr Isabelle Bessière-Roques, déléguée générale de l’Association pour l’étude de la réparation du dommage corporel (AREDOC), appelle aux vocations pour une spécialité mal connue, mais en pleine évolution.

 

Egora.fr : Comment devenir expert en dommage corporel ? 

Dr Isabelle Bessière-Roques : Les experts en dommage corporel sont diplômés en médecine. Le mode d’exercice est libéral et peut être exercé à temps partiel en complément de la pratique de la médecine en cabinet ou en milieu hospitalier. Certains experts très demandés peuvent parfois exercer cette activité à titre exclusif, mais l’expertise nécessite forcément un cabinet médical adapté aux contraintes de l’accueil des blessés. Le médecin doit avoir exercé environ cinq ans en tant que professionnel de santé avant de devenir expert et avoir suivi une formation à savoir un diplôme universitaire de réparation juridique du dommage corporel, dispensé dans les Facultés de médecine sur le territoire. Cette formation est indispensable car l’expertise est technique.

Les assureurs de personnes et de responsabilité médicale, admettent sur leurs listes d’experts les titulaires de ces DU. En revanche, les assureurs traitant des accidents de la route exigent en principe un second niveau de diplôme – le certificat d’aptitude à l’expertise du dommage corporel (CAPEDOC), organisé par l’AREDOC et l’Université Paris Diderot – car ils ont besoin d’experts très techniques devant être capables de remplir des missions précises et spécialisées.

 

Comment se déroule l’expertise ?

L’expertise médicale a pour objectif de permettre l’évaluation des séquelles d’une victime d’un accident, la recherche de preuves, la qualification d’un délit ou encore la mise en évidence d’une faute professionnelle d’un médecin. Les missions d’expertise peuvent s’exercer dans un cadre amiable ou judiciaire, concerner des accidents de la route, des accidents médicaux, des accidents de la vie, des accidents du travail ou maladies professionnelles, des infractions ou encore des attentats. L’expert médical effectue exclusivement des constatations médicales et médico-légales les plus objectives possibles et n’est donc pas impliqué dans un quelconque projet diagnostique ou thérapeutique. Il reçoit des « victimes » qui ont besoin d’être examinées puis il réalise un rapport d’expertise qu’il leur envoie, ainsi qu’au donneur de mission à savoir les assureurs mais aussi les tribunaux, les organismes sociaux, les fonds de garantie. Il est rémunéré sur honoraires.

 

Qu’en est-il de la situation de l’expertise médicale aujourd’hui en France ?

L’apparition de nouveaux risques, le principe de précaution ont accru le besoin d’experts. Les assureurs, notamment de personnes, ont besoin de médecins experts en plus grand nombre, en raison de la conclusion de contrats spécifiques de garanties précises.

Le manque de médecins experts s’explique en partie par le numerus clausus. Les médecins sont moins nombreux que la génération du baby boom qui part aujourd’hui en retraite. De plus, les jeunes médecins exercent leur métier différemment de l’ancienne génération. Ils veulent du temps pour leur vie de famille, et leur activité principale (généraliste ou spécialiste) ne leur permet plus forcément de se dégager du temps pour des missions d’expertise. Enfin, nous nous apercevons que les médecins experts arrêtent cette activité plus tôt qu’auparavant, il nous est donc encore difficile d’anticiper leur départ. Nous notons une pénurie dans certaines régions : la Bretagne, l’Ile-de-France, le Centre et les Pays de la Loire sont en demande. Pourtant, il faut savoir que la pratique évolue : Il existe des facilités d’exercice grâce au digital (rendez-vous, dictée vocale, secrétariat à distance) et des sociétés savantes facilitent aujourd’hui la formation continue, les échanges entre pairs et l’aide à l’installation géographique. Enfin, les modes d’installation se sont assouplis. La création de cabinets de groupe permet un travail en commun.

 

Les nouveaux enjeux de l’expertise

Le secteur de l’expertise a vécu ou va être amené à vivre des changements notables, au premier rang desquels le projet de réforme de la responsabilité civile sur la réparation du dommage corporel présenté en mars 2017 par le ministre de la Justice de l’époque, Jean-Jacques Urvoas.

Différents objectifs sont poursuivis par cette réforme, notamment l’impératif de sécurité juridique. “L’idée est de veiller à ce que les acteurs, les magistrats, les experts, connaissent à l’avance et de manière suffisamment précise, les règles qui vont s’appliquer à l’indemnisation des dommages notamment corporels et qu’ils puissent compter sur une certaine stabilité des normes”, a expliqué Christophe Radé, professeur à la faculté de droit de Bordeaux.

Outre cette éventuelle évolution à venir, les professionnels de santé sont par ailleurs directement concernés par une autre modification du droit issue de la loi santé de 2016 : la possibilité d’exercer des actions de groupe en santé. La loi permet désormais à une association d’usagers agréée d’agir en justice pour obtenir la réparation de préjudices individuels subis par les usagers du système de santé placés dans une situation similaire ou identique ayant pour cause commune un manquement de producteur, de fournisseur de produits mentionnés ou d’un prestataire. D’autres victimes peuvent se joindre à l’action de groupe, même si elle est déjà lancée. La loi prévoit une médiation entre les parties, mais le responsable doit néanmoins formuler une offre à la victime ou à l’association.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin

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