Le Dr Patrice Geoffriaud est bien décidé à ne pas se laisser faire par la sécurité sociale. Ce généraliste de Challans en Vendée facture ses consultations à 35 euros. Un moyen selon lui de se préserver et d’exercer la médecine en prenant le temps pour chaque patient. Aujourd’hui il est convoqué en commission paritaire nationale et devrait écoper d’une peine de six mois de déconventionnement. Il explique à Egora pourquoi il a décidé de ne pas se présenter face à cette commission.
Egora.fr : Depuis combien de temps facturez-vous les consultations à 35 euros ? Et pourquoi ?
Dr Patrice Geoffriaud : Je fais cela depuis le 1er décembre 2015. J’exerce depuis 1999. Je pense que la lassitude de voir nos conditions se dégrader et devoir multiplier les actes pour arriver à des honoraires décents m’a motivé à facturer 35 euros la consultation. D’autant que le lire de manière répétée le manque de reconnaissance dans les yeux des patients a fait que j’en ai eu marre.
Au moment où j’ai commencé à coter le C à 35 euros, je savais que la signature de la convention arrivait avec la piécette de 2 euros d’ajout. Nous sommes forfaitisés de plus en plus, donc dépendants de l’organisme financeur. Tout cela mis bout à bout m’a poussé à sauter le pas.
J’ai prévenu mes patients oralement et par écrit. Deux mois avant, je leur ai remis un papier pour leur expliquer pourquoi je passais à 35 euros.
Comment ont-ils réagi ?
Globalement, ils ont compris. Je ne suis pas sûr que cela leur fasse plaisir mais ils ont compris qu’ils avaient tout à y gagner. J’ai réduit mon activité de 30% pour dégager du temps. Mes consultations sont plus longues. Je vois moins de patients par jour. Je me bloque à 20 rendez-vous maximum alors qu’il y a de la demande pour 40 ou 50. Quand les patients viennent, je ne les limite pas à un motif. D’autant que 80% des patients sont pris en charge par leur complémentaire. Ceux dont je sais qu’ils sont au chômage ou en difficulté, je les facture 25 euros voire je pratique le tiers payant.
Quels ont été les avertissements de la CNAMTS depuis le 1er décembre 2015 ?
Les avertissements n’ont pas tardé. La Caisse a dégainé tout de suite. Le 3 décembre 2015, soit deux jours après, j’ai reçu un courrier de la CPAM de Vendée. J’ai été dénoncé par des patients. Cela m’a permis de constater que les patients qui avaient mal réagi à cette augmentation ne m’en ont jamais parlé. Le courrier me disait que je n’avais pas le droit de passer à 35 euros. J’ai répondu en six pages à la directrice de la CPAM pour expliquer ma position et le fait que je ne changerai pas. Un mois après j’ai été convoqué à la CPAM par la directrice. Je me suis présenté, j’ai attendu 45 minutes mais personne n’est venu me chercher. Je suis reparti.
En mars 2016, j’ai été convoqué à l’Ordre pour m’expliquer. J’ai eu quelques remontrances mais au final je n’ai eu ni sanction ni blâme. Tout le monde a convenu que 12 euros de dépassement (le C était encore à 23), c’était de la rigolade par rapport à d’autres honoraires de médecins ou d’autres professionnels de santé. Ils ont même convenu que faire tout ce barouf était exagéré dans la mesure où ils n’avaient reçu que trois doléances de patients sur les 1 500 de ma patientèle.
J’ai continué. L’inertie de la sécurité sociale a fait que les mois ont passé jusqu’en juin 2017. Là ils ont commencé à sortir les armes. J’ai été prévenu de la mise en place d’une commission paritaire locale à laquelle je ne me suis pas déplacé.
Pourquoi ?
Cela ne servait à rien. Il y avait des vices de procédure partout. En plus mes patients avaient été contrôlés. C’était la Stasi. On leur a posé des questions. Certaines étaient normales du type “Votre médecin vous a-t-il prévenu au préalable ?” ou “Qu’en pensez-vous ?”. Puis ça a dérivé… Il a été indiqué à mes patients qu’ils avaient la possibilité de changer de médecin traitant. C’était du détournement de patientèle. Ils faisaient peur à mes patients en leur disant que si leur témoignage n’était pas vrai il serait possible de porter plainte contre eux. De mon côté, je n’ai jamais été averti des patients qui allaient être contrôlés. Ils n’ont pas le droit de le faire.
Conseillé par une avocate je leur ai envoyé tout cela en pointant un grand nombre de vices de procédures. En septembre, j’ai été prévenu que mon courrier avait bien été reçu. Entre les lignes on pouvait comprendre qu’ils n’avaient rien à faire des vices de procédure puisqu’il s’agit d’un tribunal d’exception. J’ai donc été averti que j’allais passer en commission paritaire nationale, aujourd’hui le 9 novembre. Je n’y vais pas.
Quelles sanctions risquez-vous ?
Je risque la sanction annoncée qui est six mois de déconventionnement. Que j’y aille ou non, je serai sanctionné. Lors de la commission partitaire, il y a autant de médecins que d’administratifs. Quelles que soient les décisions prises lors de la commission, même si les médecins étaient d’accord avec moi, le seul à qui le dernier mot revient est le directeur de la CNAMTS. Donc ça ne sert à rien d’y aller, hormis de leur donner de l’importance. D’autant qu’on ne peut pas être soutenu puisqu’on a le droit d’être accompagné que d’une personne. C’est à huit clos.
Pourquoi ne vous déconventionnez-vous pas ?
Pour mes patients, je ne le veux pas. Ils sont ponctionnés dans tous les sens par les caisses et ils n’auraient pas le droit d’être remboursés. Je trouve que ça n’est pas bien.
Comment préparez-vous ces six mois de déconventionnèrent ?
J’attends d’abord la date effective. Je ne sais pas quand cela va être mis en place. Ensuite, ça sera la grande inconnue. Il me semble que cela sera la première fois qu’un médecin sera déconventionné par la caisse pour ce motif de 10 euros de dépassements. Je vais continuer à 35 euros. Je pense que je ferais du 35, du 45 voire du 55 en fonction de la complexité des consultations. Et j’expliquerai bien aux patients qu’il s’agit d’un problème entre l’assuré et l’assureur et pas entre l’assuré et le médecin. Je n’y peux rien là-dessus. Je me suis battu pour réduire mon activité. J’ai déjà dévissé. Je sais ce que c’est que d’être surbooké et d’en avoir marre. Au bout de six ans je suis parti exercer deux ans au Antilles pour me regénérer un peu. J’ai déjà un divorce dans les dents. Autour de moi, j’ai trop de médecins qui se sont suicidés, ou sont morts récemment… Si on ne se préserve pas nous même, personne ne le fera. La sécu est très contente d’avoir des médecins besogneux à 25 euros. Tant qu’on est à 25 euros et que l’on multiplie les actes, on n’a pas le temps, le courage ni l’envie de se battre. Alors on enquille les consultations. Quand on commence à avoir un peu plus de temps, on prend du recul sur ce qu’il se passe. Là on voit qu’on se fout bien de notre gueule.
Etes-vous soutenu par les syndicats ?
L’UFML me soutient. C’est les seuls.
Votre femme a également opté pour la liberté tarifaire…
Oui, elle est médecin libérale sur la même commune que moi. Elle fait deux ans de liberté tarifaire. Elle était à 28 euros. Après être passée en commission paritaire régionale, elle a écopé de six mois de non prise en charge de ses cotisations sociales. Depuis elle a arrêté d’être en dépassement. Nous avons 5 enfants à la maison. Elle s’est dit que si nous étions déconventionnés tous les deux, cela allait être compliqué. Comme par hasard, sur notre secteur, seuls deux médecins ont été épinglés et ils sont en couple… Nous ne sommes pourtant pas les seuls dans ce cas.
Avez-vous songé à l’utilisation des DE (dépassements exceptionnels) ?
Je ne comprends pas comment définir à quel moment il faut faire un DE. Moi mon tarif était unique à 35 euros. Qu’il s’agisse d’un bébé (normalement à 33 euros) ou de quelqu’un d’autre. Mon complément d’honoraires allait donc de 2 à 12 euros.
Au-delà des six mois de déconventionnement, que ferez-vous, sachant que la menace d’un déconventionnement définitif plane…
Je ne sais pas. J’ai deux options. Soit je reviens à 25 et je pars sur un motif une consultation en ne dépassant pas les 10 minutes, soit je continue dans le déconventionnement parce qu’au bout de six mois je me serai rendu compte que ça n’est pas si mal. On verra.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin
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