Vendredi matin, le Dr Thierry Hégo a reçu la visite d’un patient mécontent. Après avoir tenté de rentrer de force dans son cabinet, il lui a donné un coup de béquille dans le thorax et lui a craché au visage. Pour le généraliste, qui a immédiatement porté plainte, c’est l’agression de trop. Il songe à quitter la ville.

 

“Vendredi matin, mon épouse, qui est ma secrétaire, a reçu un appel d’un jeune homme qui demandait à ce que je lui envoie une ordonnance par mail pour une prise de sang. Sans aucun renseignement complémentaire. Je l’avais vu en consultation trois jours avant pour une entorse qui me paraissait assez grave, et envoyé aux urgences. Je me doutais que l’appel concernait un dosage de plaquette, mais sans courrier je ne pouvais pas faire d’ordonnance. J’ai donc proposé de me rendre à son domicile. Au téléphone, mon épouse ne comprend pas bien l’adresse, et là, il commence à s’énerver. Il lui dit qu’il ne comprend pas pourquoi il a dû se déplacer au cabinet la première fois avec son problème de cheville, sauf qu’il n’avait pas donné le motif de son appel. Ensuite ça s’est envenimé, il a commencé à dire qu’il ne fallait pas “être sorti de Saint Cyr pour prendre une adresse”, ce sont ses termes. Et il a ajouté : “Vous pouvez aller vous faire foutre, vous et votre médecin”.

 

“La police l’a laissé rentrer chez lui”

Quand je suis arrivé au cabinet un peu avant 8 heures, mon épouse m’a annoncé qu’elle avait été insultée. J’ai appelé aussitôt le patient en lui disant : “Vous avez insulté mon épouse et moi-même, je vais en aviser les autorités compétentes”. C’est-à-dire le Conseil de l’Ordre. A partir du moment où on est insulté, c’est un incident, il faut le déclarer.

Vers 8h15, je venais d’examiner la première patiente, quand j’ai entendu des gros coups frappés à la porte du bureau. Je suis allé voir et je suis tombé nez-à-nez avec ce monsieur, qui a tenté de rentrer dans le cabinet de manière violente. Je l’ai repoussé. J’ai reçu un coup de béquille dans le thorax, et il m’a craché à la figure. Je lui ai dit de se calmer, et j’ai appelé la police. Il est sorti, en continuant de m’injurier, et a attendu devant le cabinet l’arrivée des policiers. La police est arrivée après une demi-heure. Ils ont pris l’identité du monsieur et la mienne. J’ai expliqué ce qu’il s’était passé, et les policiers m’ont dit qu’ils n’allaient pas l’emmener étant donné qu’il avait un plâtre et qu’il sortirait très probablement immédiatement. Ils l’ont donc laissé rentrer chez lui. J’ai été porter plainte.

 

“La goutte d’eau”

Il faut dire que c’était un peu la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Peu avant mes vacances, fin juillet, j’ai eu une agression verbale de la part du mari d’une patiente. Le jour de la sortie de sa femme, il voulait que je prenne rendez-vous sur le champ pour une IRM cérébrale de contrôle. Il aurait voulu que j’interrompe mes consultations, mes visites, pour que je prenne tout de suite le rendez-vous, alors qu’il n’y avait pas d’urgence. En début d’après-midi, il s’est pointé à mon cabinet en disant aux patients qui étaient dans la salle d’attente qu’il allait me faire un scandale, ce qu’il a fait. J’en ai pris plein la figure ce jour-là… Je lui ai dit de se chercher un autre médecin, ce qui est plutôt difficile sur Dunkerque.

Il y a quelques mois, j’ai eu un autre souci avec des jeunes qui faisaient du bruit devant mon cabinet. J’ai reçu un œuf sur la tête. Et je suis régulièrement insulté par les gens qui se garent sur mon parking privé et à qui je demande de se garer ailleurs. La façade de mon cabinet est aussi taguée plusieurs fois par an. Le nettoyage est toujours pour ma pomme. Ça, ce n’est pas ciblé contre moi, mais c’est pénible… Ça commence à bien faire. Violence verbale, violences physiques de la part des patients, en un mois… Ça fait beaucoup.

Le nombre d’incidents augmente nettement dans le département du Nord. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que je suis agressé verbalement. Il y a deux ans, une dame est venue m’agresser en disant que j’avais tué sa mère avec des benzodiazépines, alors que la dame est décédée d’un cancer du pancréas d’origine alcoolique. Elle avait d’ailleurs aussi agressé le personnel de l’hôpital. J’avais déposé une main courante.

 

“Vous vous débrouillez, j’en ai besoin pour vendredi”

Je suis installé depuis 25 ans dans le quartier. Depuis 4 ou 5 ans, on a de plus en plus de problèmes d’incivilités. Ça se voit au téléphone, par exemple. Comme ils manquent de médecins, les gens sont mécontents sur les horaires de RDV. Pourtant, je me fais un point d’honneur à voir tous les gens malades le jour même. Je décale les renouvellements de traitement s’il le faut. Malgré cela, encore ce matin, un patient avait besoin d’un certificat médical pour le sport. Je lui propose samedi. Il me répond “Vous vous débrouillez, j’en ai besoin pour vendredi”. Bon…

C’est un changement de société. Les gens veulent tout et tout de suite. Ça ne concerne pas que les médecins. J’ai une patiente qui travaille dans une banque et qui s’est déjà fait insulter parce que les gens ne veulent pas attendre. La société devient de plus en plus violente. Tout au moins dans ma région. On a un niveau socio-économique qui a nettement baissé à Dunkerque, les gens sont en difficulté et deviennent agressifs.

En avril dernier, le Dr Pierre Goidin a aussi été agressé à son cabinet. Je l’ai rencontré le soir même de son agression. Il m’avait raconté. D’ailleurs, je l’ai contacté le jour de mon agression pour savoir comment il avait réagi à tout ça. Moi, je n’ai même pas de blessure mais ce n’est pas la blessure physique que je ressens, c’est la blessure morale. Le Dr Goidin m’a dit de garder le moral, m’a incité à ne pas laisser passer ça. Il m’a recommandé d’aviser la mairie, le Conseil de l’Ordre. J’ai eu un coup de fil du directeur de cabinet du maire de Dunkerque. Il m’a dit qu’il allait s’occuper de ces problèmes d’insécurité qui commencent à se répéter. Il m’a dit qu’il allait avertir le Procureur.

 

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Si je recevais à nouveau des violences verbales, je ne suis pas sûr que je resterai à Dunkerque. J’ai d’autres possibilités ailleurs, donc je n’hésiterai pas. Je connais deux endroits où je peux m’installer rapidement. Je n’ai pas envie de revivre ce que j’ai vécu à deux reprises en un mois. Ça commence à m’user. J’ai 53 ans, j’ai encore au moins une dizaine d’années à travailler. Je rencontre des gens charmants la plupart du temps, mais ces agressions sont décourageantes. C’est infime par rapport à tout le bonheur que je peux avoir sur le plan professionnel, j’aime mon métier, je suis content de voir la grande majorité de mes patients mais c’est le contexte dans lequel j’exerce qui m’énerve. Trop d’incivilités vont faire fuir les médecins. Un peu comme dans certaines régions parisiennes. Moralement, c’est trop pour moi. Et pourtant, j’exerce dans l’un des quartiers les moins défavorisés de Dunkerque. C’est dire…

 

“C’est un peu comme si on sortait d’une pathologie”

Sur le plan psychologique ça va, c’est passé. Le lendemain, ce n’était pas évident. Samedi je suis venu au cabinet avec des pieds de plomb. Heureusement, j’ai eu une demi-journée assez calme pour une fois. Samedi après-midi, je me suis détendu. J’ai pas mal de passions à côté de mon travail, donc ça m’aide. Je me suis occupé de mes prochaines vacances. Ça nous a fait penser à autre chose. Ça m’a permis de me fixer un objectif: mi-octobre je prends quelques jours.

Malgré tout, le sentiment qui domine aujourd’hui c’est de l’espoir. J’espère que ça va se calmer. Je n’ose pas imaginer que ça recommence. J’espère recommencer comme avant toutes ces histoires. C’est un peu comme si on sortait d’une pathologie, si on baisse les bras tout de suite, ce n’est pas bon.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier

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