Le coup de matraque lui a ouvert le crâne sur dix centimètres. Puis il s’est battu avec son patient, jusqu’à passer à travers la fenêtre du cabinet. Le Dr Patrick Suenen est généraliste à Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales). Il y a un mois, il a subi une violente agression. C’était un patient toxico, qu’il suivait depuis des années.

 

“L’agression s’est passée il y a un mois, à mon cabinet. C’est un jeune homme de 40 ans. Je le connais pour deux raisons. C’est le fils de l’un de mes amis, un ancien voisin que je fréquente depuis très longtemps et avec qui j’ai de très bonnes relations. C’est aussi un toxicomane qui venait me voir de temps en temps, pour que je lui prescrive du Subutex. Chose que je faisais sans jamais me poser de questions. Je ne le faisais même pas payer, parce que c’est le fils d’un ami, que je sais qu’il a des difficultés, qu’il est un peu instable. Quand il venait me voir, c’était assez clair qu’il n’avait pas de sous pour me régler. Ce n’est pas grave.

Ce vendredi-là, il est venu me voir sous prétexte qu’il avait mal à la jambe. Il vient vers 12h30. Il laisse passer les avant-derniers patients en disant qu’il sera un peu long. Je le reçois dans mon bureau. Il me dit “Bonjour Patrick”, comme d’habitude. Il est souriant. Moi, je lui tourne le dos pour passer derrière mon bureau. Dès que j’ai le dos tourné, il me met un coup de matraque en ferraille et m’ouvre le crâne sur 10 centimètres. Je ne suis pas K-O. J’ai encore le sursaut de survie de lui tenir la main et la matraque. Je me retrouve par terre, lui sur moi. En se battant, on passe à travers la vitre du bureau. Je me retrouve donc dehors. A ce moment-là, il sort une cordelette de sa poche. Je ne sais pas pour quoi faire : m’étrangler ? M’attacher ? Je ne sais pas. J’ai crié le plus fort possible.

 

On n’a même pas attendu ma déposition pour le faire sortir

Des patients, qui n’étaient pas très loin, ont entendu la vitre se briser et mes cris. Ils sont revenus le maitriser. Ils ont appelé la police, les pompiers. Lui, il a été embarqué par la gendarmerie. Moi, j’ai été embarqué par les pompiers. J’ai eu 10 points de suture et un scanner cérébral. Je n’ai pas de lésions cérébrales. J’ai eu un arrêt de travail de trois semaines. Je n’ai repris que le 2 janvier.

Après ça, les gendarmes m’ont dit de me reposer et de venir le lundi faire ma déposition. Le lundi matin, j’ai la surprise de savoir qu’il est déjà dehors ! On n’a même pas attendu ma déposition pour le faire sortir. Le procureur de la République avait déjà donné son aval pour le libérer. Je n’ai pas eu de protection. Le type, il est quasiment venu m’assassiner. Le lendemain, il était dehors. En plus, il sait où j’habite ! Il est déjà venu chez moi. Apparemment, il avait un casier vierge. J’ai déposé plainte. J’ai une convocation pour le mois d’avril. 

J’étais choqué. J’ai eu l’impression que j’allais y passer. J’ai fait un peu d’hypnose chez un psychiatre. Ça m’a aidé à effacer mes angoisses et les images violentes que j’avais dans la tête. C’est quand même quelqu’un à qui je rends service, que je ne fais pas payer, à qui je prescris ce qu’il demande… et qui vient me massacrer en pensant que j’ai quelques billets dans ma poche ! Il voulait de l’argent. Ce n’est pas pour de la drogue, puisque je la prescris. Un type qui me demande du Subutex, c’est qu’il est en manque. Jamais je ne dis non.

 

Je ne veux pas de caméra, de pistolet

J’ai revu les parents de mon agresseur. Je ne leur en veux pas, ils n’y peuvent pas grand-chose. Un fils de 40 ans, toxico… Il sait que je suis ami avec son père, que je sais que c’est son gamin. Il a pensé qu’il fallait qu’il m’assassine complètement ? Bien évidemment, j’y ai pensé. Ça me tarabuste encore. Comment voulez-vous qu’il s’en sorte, à moins de me tuer ? Et même. Dans la salle d’attente, il avait un comportement bizarre. Il masquait son visage dans une cagoule. Je pense que tous les patients de la salle d’attente s’en seraient rappelé, si j’étais mort.

Ça ne va pas changer grand-chose dans ma manière de travailler. Je vais juste être encore plus prudent. Le soir, si je reste faire de la paperasse à mon bureau, je ferme la porte. Pour le reste, je ne veux pas de caméra, de pistolet, rien. Je ne veux pas sombrer dans la paranoïa. Je suis une dizaine de toxicos. J’en suis certains depuis 20 ans. Je n’ai jamais eu ce genre de problèmes. Là, c’est une histoire d’argent.

J’ai signalé ça à l’Ordre. Ils m’ont dit que c’était triste, et qu’il fallait que j’envoie les papiers de l’hôpital. Je ne l’ai toujours pas fait. Je pense que ça ne changera pas grand-chose, c’est pour faire partie des statistiques.

 

Donc ma vie vaut moins qu’une grille de gendarmerie ? 

Pas un seul de mes confrères, sur les 6 ou 7 de la ville, ne m’a appelé. Pas un seul. Peut-être qu’ils ne le savent pas. Une pharmacie m’a appelé. Ils ont vécu déjà une agression, donc ils ont été sensibilisés. Les patients, eux, m’ont soutenu. Surtout quand ils ont vu le bureau avec la vitre éclatée, le sang partout.

Il y aura un procès le 28 avril. Je n’y vais pas avec plaisir. Comme une femme violée, elle ne va pas avec plaisir au tribunal. C’est exactement la même chose.

Dans la même semaine, il y a un type qui n’était pas content que son fils soit incarcéré. Il a pris un camion, et il est rentré dans la grille de la gendarmerie. Il a été en taule direct. Et il y est resté. Donc ma vie vaut moins qu’une grille de gendarmerie ? Lui, n’a agressé personne.”

 

Sécurité : l’Ordre promet des mesures

Le président de l’Ordre des médecins, le Dr Patrick Bouet, a été reçu par le ministre de l’Intérieur, Bruno Le Roux, mi-décembre, pour demander des mesures améliorant la sécurité des professionnels de santé. Une mission va être menée pour recenser les mesures en vigueur dans les départements, et leurs résultats. “La sécurité des professionnels de santé constitue un enjeu majeur tant pour les actions qu’ils conduisent en faveur de nos concitoyens, (…) que pour le lien social auquel ils prennent une part essentielle”, a assuré Bruno Le Roux.

L’Ordre des médecins rappelle aussi qu’il existe un numéro d’accès direct à la cellule de sécurité départementale réservée aux médecins, ainsi que la désignation d’un référent ordinal sécurité au sein des services de police et de gendarmerie.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier