Quelques semaines après une journée de grève et de manifestations suivies par plusieurs dizaines de milliers de soignantes, 25 organisations infirmières (Ordre, syndicats, associations) ont lancé une pétition réclamant la révision du décret relatif aux actes et à l’exercice de la profession. Un plaidoyer en faveur de plus d’autonomie par rapport aux médecins, alors que les glissements de tâche sont nombreux. Les explications de Karim Mameri, cadre de santé en pédiatrie et secrétaire général de l’Ordre national des infirmiers.

 

Egora.fr : Le décret d’actes infirmiers n’a pas été actualisé depuis 2004, alors que les pratiques médicales ont évolué, soulignent les auteurs de la pétition. Comment se traduit ce décalage au quotidien ?

Karim Mameri : La dernière version du décret date de 2004, mais le contenu remonte en grande partie à 1993. L’exercice infirmier ne peut pas se réduire à une liste d’actes, c’est aussi des missions.Par exemple, depuis Kouchner, les infirmières ont un rôle accru dans la prise en charge de la douleur ; l’évaluation fait partie de leur rôle propre. Aujourd’hui, dans tous les services de pédiatrie de France, on utilise du Meopa pour les soins invasifs. D’après le protocole -qui est une prescription anticipée- l’infirmière devrait rendre compte de chaque utilisation au médecin. Elle devrait, mais elle ne fait pas. De même pour l’utilisation des patchs Emla, il n’y a jamais de prescription alors que c’est un médicament !

Il y a un décalage entre la pratique de soins et les compétences légalement reconnues. Il faut prendre en compte la réalité de l’exercice infirmier en 2016 et les nouvelles technologies. L’usage de bladder scan est un bel exemple. Il est communément utilisé avant sondage vésical par l’infirmière, pourtant ce n’est pas dans ses compétences. Et depuis 2008, et la mise en place des protocoles de coopération avec la loi HPST, on a vu se développer un certain nombre de missions. Le problème, c’est qu’on reste sur des compétences fermées, qui concernent seulement quelques individus, alors que l’objectif était de développer les coopérations entre professionnels de santé, notamment entre médecin et infirmière. Si un protocole avait démontré son efficacité et son intérêt, il devait pouvoir être intégré dans le programme de formation et intégré au champ de compétence infirmier. Sept ans après, ça n’a été le cas pour aucun d’entre eux. Alors que pour les manipulateurs radio, il y a eu récemment une avancée. Il y a une certaine frilosité à utiliser pleinement les compétences des infirmières.

Quelles compétences, transférées dans le cadre de protocoles de coopération, pourraient être intégrées au référentiel de formation des infirmières selon vous ?

Dans le cadre des protocoles de coopération, plusieurs dispensaires permettent aux infirmières de réaliser certains vaccins sans prescription. L’Ordre a publié une lettre ouverte dans Le Monde pour rappeler que les infirmières pourraient vacciner plus largement contre la grippe. Le lendemain, la ministre a déclaré devant l’Assemblée nationale qu’elle était favorable à un élargissement des compétences des infirmières. Comme pour les sages-femmes, il s’agirait d’autoriser les infirmières à vacciner l’entourage des personnes soignées. Cette compétence, avec la formation ad hoc, pourrait être intégrée dans le référentiel de formation des infirmières. De même, certains protocoles permettent à des infirmières de poser des cathéters veineux centraux. Pourquoi ne pas autoriser l’ensemble des infirmières à le faire ?

Ce qui libérerait du temps médical…

Oui, mais pour nous il ne s’agit pas de résoudre la problématique de la démographie médicale, mais de reconnaître les compétences des infirmières, dans le cadre de leurs missions : par exemple autoriser les infirmières libérales qui suivent les patients sous anticoagulants à prescrire des analyses biologiques, les infirmiers anesthésistes à prescrire certaines thérapeutiques… Je ne vais pas vous faire un listing, mais il y a un certain nombre d’exemples. C’est du bon sens. On ne doit pas faire 10 réunions pour savoir si un acte doit être réalisé par les infirmiers. Il faut assouplir un peu les choses.

La pétition évoque également la mise en place de consultations infirmières de première et deuxième ligne. De quoi s’agit-il ?

C’est une plus grande autonomie. Aujourd’hui, majoritairement, l’infirmière arrive en 2e position. Par exemple, l’infirmière libérale a le droit de prescrire des pansements, mais seulement si le médecin a prescrit leur réalisation. De même, l’infirmière peut réaliser les vaccinations, mais sur prescription. On pourrait très bien imaginer qu’une infirmière puéricultrice puisse réaliser les rappels sans passer par le médecin.

Dans le cadre de la loi de santé, l’infirmière peut prescrire des substituts nicotiniques. La difficulté, c’est qu’il n’y a pas de valorisation de cette compétence pour les libérales : ni l’échange initial avec le patient, ni le point fait une quinzaine de jours après ne sont aujourd’hui dans la nomenclature générale des actes professionnels.

Comment pourrait changer la relation médecin-infirmière ?

Il y a plus de 15 millions de patients chroniques, qui nécessitent une prise en charge pluri-professionnelle. Ni le médecin, ni l’infirmière, ni aucun autre professionnel ne pourrait prétendre s’occuper de tel patient de façon globale et entière. Par la mise à jour de ce décret de compétences, il faudrait que la subordination – le médecin délègue à l’infirmière – laisse place à une collaboration. Il y a des compétences qui peuvent être partagées. C’est le cas du suivi d’une plaie. Souvent, les médecins demandent conseil aux infirmières. Et pourtant, ces dernières n’ont pas le droit de prescrire un antiseptique si nécessaire… Il y a toujours ce décalage.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aveline Marques