Début décembre Marine Le Pen, candidate du Front National pour les prochaines élections présidentielles a esquissé le début d’un programme santé lors d’un discours. Le Dr Joëlle Mélin, député française au Parlement Européen et médecin rééducateur à la retraite s’occupe des questions de santé au FN depuis plus de 20 ans. Elle décrypte pour Egora le programme de la candidate frontiste.
Egora : Marine Le Pen a prononcé un discours le 9 décembre dernier sur le thème de la santé. Elle estime notamment que nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie. Que propose-t-elle pour réduire les inégalités ?
Joëlle Mélin : Ce discours donnait des pistes de réflexion dans le cadre du rendu des travaux du collectif Usagers de santé. Ces propositions seront à compléter par les travaux des comités d’action programmatique que je fais travailler depuis trois ans. Il faudra affiner le programme. Ce dernier sera rendu public autour du 1er février, lors de notre convention.
La gestion du problème de la santé est indissociable de celui de la protection sociale. Il y a deux problèmes d’égalité. Les déserts médicaux en sont un. Tout le monde pense aux déserts ruraux mais il faut aussi penser aux déserts sécuritaires des zones péri-urbaines.
La seconde inégalité concerne la prise en charge des soins. La cherté de la vie, le taux de pauvreté qui augmente, les déremboursements, les franchises font que beaucoup de nos concitoyens n’ont pas la possibilité de se payer des mutuelles complémentaires. On voit apparaître des renoncements aux soins pour de l’automédication. D’autres soins sont depuis toujours très mal remboursés, je pense à l’optique, au dentaire ou encore à l’auditif.
Les renoncements aux soins sont principalement liés à l’augmentation de la pauvreté. Un Français sur 8 est en-dessous du seuil de pauvreté. Il faudra donc qu’il y ait un grand programme global qui permette d’avoir des ressources mensuelles dignes dans tous les foyers. Il faut aussi une réorganisation en profondeur, mais pas une révolution, de la gestion des budgets. Tous régimes confondus, la santé représente 200 milliards d’euros pour 66 millions de Français, sachant que seuls 20% de la population consomme plus de 70% du budget. On devrait pouvoir équilibrer les comptes avec ces sommes là, malgré le vieillissement de la population, malgré les progrès médicaux et malgré le coût de certaines thérapeutiques innovantes qui sont extrêmement chères.
Pouvez-vous citer des mesures concrètes ?
Il y a forcément une meilleure gestion des masses financières éclatées et des financements croisés.
Ce n’est pas très clair…
Pourtant c’est la réalité. Je veux dire par là que la retraite se fait à partir de la caisse retraite mais aussi à partir des minima sociaux qui proviennent soit de l’Etat, soit des conseils généraux. En matière de santé il y a pas mal d’éléments qui font qu’il y a des compléments via les CCAS, via l’Etat, via des services multiples et via les minimaux sociaux.
Vous aimeriez donc une meilleure centralisation…
Je ne veux pas forcement que l’on regroupe tout cela, mais qu’on fasse les comptes et qu’on mette de l’ordre. Il s’agit de pistes de réflexion. Le préalable à tout sera de remettre de l’ordre dans les comptes et non de réduire les remboursements.
Sur l’autre point d’inégalité qui est la désertification médicale, que proposez-vous ?
Il faut déjà envisager qu’en ce qui concerne les déserts médicaux ruraux il s’agit aussi de déserts de services publics, de déserts de désindustrialisation et de déserts agricoles. Le pharmacien d’officine qui est le pilier institutionnel de tout cela ne peut plus avoir un salaire garanti. C’était pourtant la contrepartie que l’Etat avait garanti pour que les pharmaciens aillent s’installer dans les campagnes. Dès l’instant qu’il n’y a plus de pharmacie ou de service public de proximité, il n’y a plus de raison que les gens restent sur place. Par conséquent il n’y a pas non plus de raison pour que les médecins, leurs épouses et leurs familles viennent sur place aussi. Ce n’est pas aux professionnels de santé d’inverser cette spirale vicieuse. Les médecins, même si on leur construit des maisons de santé, ne peuvent pas à eux seuls remplacer à la fois les services publics, les agriculteurs et les industriels. C’est exactement pour cela que les maisons de santé ne marchent pas. C’est l’Ordre des médecins qui a soulevé ce problème. Les honoraires n’étant pas convenables, les médecins ne peuvent pas tenir le coup en maison de santé face aux frais qui leurs sont imposés.
Quelles sont les solutions du Front National ?
Si on se place au niveau des professionnels de santé, nous sommes favorables aux regroupements mais pas sous une forme imposée, ni payés avec de l’argent public. Ces cabinets médicaux incluraient les petits soins d’urgence non réglés, c’est-à-dire toutes les pathologies qui nécessitent une réponse rapide. Cela permettrait de diminuer les distances avec les hôpitaux et de désengorger les urgences. Cela permettrait aussi un réengagement des médecins libéraux vers une médecine plus large.
Cela pourrait se faire dans des maisons de santé…
Le problème des maisons de santé est qu’elles sont extrêmement encadrées et payées avec de l’argent public. Elles risquent aussi d’être agréées par des mutuelles. Nous craignions cette forme de privatisation rampante de la médecine de ville. Oui aux maisons de santé, mais en toute liberté et en toute gestion médicale et paramédicale, sans la trace de l’Etat ni des complémentaires.
Il faut aussi revoir tout ce qui est normatif, à savoir les quotas pour les infirmières et les kinésithérapeutes. Nous proposons aussi revoir le numerus clausus qui selon nous sera à abandonner pendant au moins la mandature de Marine Le Pen. Pour près de 8 000 entrants à l’heure actuelle, à la sortie il y a moins de 3 500 équivalents temps-plein. Avec le papy-boom et l’augmentation de la population française, c’est très insuffisant pour arriver à un taux de remplacement satisfaisant.
Mais il n’y a pas de moyens pour former des étudiants supplémentaires…
Bien sûr qu’il y a les moyens pour former les étudiants. Il n’y aucune difficulté à faire des téléconférences et des cours par internet. Cela supposera peut être de le faire progressivement et selon les ressources des universités mais il y a des ouvertures par les moyens modernes de communication. D’autre part, il va effectivement falloir que l’on organise autrement les services. Les jeunes étudiants devront aller plus tôt à l’hôpital, plus près du malade. Nous proposons aussi qu’il y ait des possibilités de remplacement par des étudiants de 6ème ou 7ème année.
Marine Le Pen a évoqué l’idée d’une obligation d’un stage d’internat en zone sous-dotée…
Ce serait une très bonne idée. Je pense que la possibilité d’aller sur le terrain beaucoup plus tôt serait une autre bonne idée.
Que pensez-vous de la proposition de certains parlementaires qui souhaitent obliger les jeunes médecins à s’installer quelques années dans un désert au début de leur carrière ?
Tout ce qui est contraignant n’est pas bon. Si l’on a des incitations et que parallèlement il y a une politique de ré-industrialisation, un politique de service public et une politique agricole, alors ça aura du sens. Il ne faut pas prendre le problème par le mauvais bout.
Marine Le Pen estime que le coût de la vie augmente plus vite que les tarifs conventionnels. Que propose-t-elle pour que les tarifs conventionnels suivent le coût de la vie ?
Je viens de prendre une retraite partielle mais j’étais médecin rééducateur jusqu’à l’an dernier. Mes honoraires étaient les mêmes depuis mai 1992. Comment fait-on pour rattraper 24 ans de retard… Il va falloir trouver une cote mal taillée qui fasse un rattrapage des honoraires pour que les médecins aient moins l’obligation de facturer des honoraires supplémentaires. Il faut que l’on soit dans des tarifs qui honorent le diplôme, la responsabilité, le temps passé et la fonction. Il faut revaloriser.
Avec quel argent ?
Avec l’argent de la bonne gestion.
Cet argent qui doit servir à ce que les Français soient mieux remboursés…
J’ai fait faire les calculs par mes experts. Le fait que les 80% des Français qui ne sont pas en ALD se voient rembourser les médicaments à 51% et non à 73%, coûte à peine 2,2 milliards d’euros. Ça n’est pas une somme folle. Je rappelle que les deux épidémies H1N1 et H5N1 ont fait perdre 2 milliards d’euros. La DREES estime qu’en 2013, l’Etat a dépensé 40 milliards d’euros de frais de fonctionnement pour la protection sociale, sur les plus 700 milliards de toute la protection sociale, dont la santé. Honorer les médecins convenablement doit pouvoir se trouver.
Faut-il conserver le paiement à l’acte ?
Nous sommes de farouches partisans du paiement à l’acte. L’acte gratuit entraîne immédiatement une surconsommation. L’AME c’est 5 fois plus et la CMU c’est deux à trois fois plus. L’acte médical doit être honoré. En revanche nous avons les moyens monétiques actuels d’avoir des cartes spécifiques santé où le remboursement pourrait se faire automatiquement.
En ce qui concerne l’hôpital, Marine Le Pen a dit dans son discours qu’il était “au bord de la faillite” et qu’il voit “peser le poids d’une immigration de plus en plus lourde”. Que faire ?
La comptabilité des hôpitaux est fragile. Le changement de gestion interne par la T2A, mal préparée, n’a pas eu un effet positif. Cela a fait fermer les petits hôpitaux de proximité parce qu’en leur coupant soit les urgences, soit les maternités, on a coupé leurs artères nourricières, à savoir leurs services à activité rentable.
Lorsqu’arrivent dans les hôpitaux par les urgences des populations immigrées régulières pour lesquelles on ne fait pas appel aux conventions internationales qui nécessiteraient que les pays d’origine payent les soins, on ne se fait pas rembourser. D’autre part, nous n’avons pas à soigner ni à prendre en charge les populations en situations irrégulières, à moins qu’il y ait une urgence vitale. Les soins pourraient se faire dans leur pays d’origine de manière quasiment équivalente.
L’idée est donc de supprimer l’AME…
L’AME n’a pas lieu d’être. Elle reconnait l’irrégularité. C’est tout de même invraisemblable. Si nous avions l’idée d’aller de manière irrégulière dans un pays, nous n’aurions pas l’outrecuidance de leur dire “je suis sur votre sol en situation irrégulière, payez moi ma sécu en plus”. Cela ne nous viendrait pas à l’esprit quand même. Les personnes en situation irrégulière doivent être reconduites aux frontières et c’est tout. Les gens qui viennent en France ne sont pas en situation urgente. Il s’agit de grands gaillards qui vont bien et qui ont des bras forts. Ensuite ils font le regroupement familial.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Bonin-Berrebi