Au 1er janvier, le tiers payant sera généralisé à toutes les consultations. Et pourtant de nombreuses craintes persistent chez les médecins. Pour sa thèse présentée en juin dernier, le Dr Adeline Liquière a interrogé plus de 180 généralistes de la région Midi-Pyrénées sur leur pratique du tiers payant. Certains passent jusqu’à 7 heures par semaine à pointer leurs remboursements. D’autres assurent perdre plus de 1 000 euros par mois.
 
 

 

Les conclusions en 4 points

Qui sont les généralistes qui pratiquent le tiers payant ?

– 94 % des généralistes de la région Midi-Pyrénées pratiquent le tiers payant, même en dehors des cas obligatoires. La part d’actes réalisée en tiers payant est évaluée à 31%.

– Pas de différence dans la pratique selon le sexe, l’âge, le type de cabinet, l’origine sociale.

 

Pourquoi le font-ils ?

– Faciliter l’accès aux soins aux patients les plus défavorisés, aux patients âgés, aux patients vivant en institution ou aux familles nombreuses

– Alléger leurs tâches administratives et comptables, ainsi ils ont moins de chèques et de sommes en espèces à encaisser ou à conserver au cabinet

– Diminuer le risque d’impayé en évitant les chèques sans provision

– Améliorer leur relation avec leurs patients en faisant disparaitre la relation commerciale

 

Quels sont les dysfonctionnements ?

– Une pratique chronophage : les vérifications des remboursements des actes effectués en tiers payant prennent en moyenne 1h20 par semaine. 32 % des médecins ne les contrôlent jamais, 43% ne les contrôlent que partiellement. Ils ne sont que 25% à vérifier tous leurs remboursements, et certains délèguent cette tâche.

– Une pratique coûteuse : 80 % des médecins estiment subir une perte de revenus. Ce déficit est variable : de 16 à 1 250 euros mensuels. Ces pertes sont évaluées à 187, 14 euros par mois en moyenne.

 

Quelle perception du tiers payant ?

– 60 % pensent que l’avance de frais pousse les patients à consulter de façon inadaptée aux urgences

– 85 % pensent que le tiers payant doit rester à leur appréciation et non obligatoire

– 85 % craignent que la généralisation du tiers payant y compris sur la part obligatoire soit une façon de dissimuler un transfert de la prise en charge par les régimes obligatoires vers les régimes complémentaires.

 


Tiers payant généralisé : ” Ce qui me fait peur, c’est plutôt les relations avec les mutuelles”

 

 

Egora :
Pourquoi avoir choisi ce sujet ?

Dr Adeline Liquière : En mai 2012, j’ai fait un stage chez un généraliste qui faisait du tiers payant. C’était bien avant la loi Santé. Il avait l’air d’être content de sa pratique. J’ai été interpellé ensuite par le fait que tous les médecins soient vent debout contre cette pratique. Moi-même, qui n’étais pas du milieu médical, je ne savais pas qu’on pouvait pratiquer le tiers payant en médecine générale.

Comme il pratiquait le tiers payant depuis longtemps, il savait avec quels organismes il pouvait le faire ou pas. Il le faisait avec certaines mutuelles et d’autres non. En fait il ne vérifiait même plus ses remboursements.

En commençant votre thèse, vous vous attendiez à ces résultats ?

J’ai été surprise par le temps que passent certains médecins à contrôler leurs remboursements. Certains y passent 7 heures par semaine ! D’autres ont mentionné des pertes très importantes. Pour le reste, je m’attendais à ce que beaucoup de médecins ne vérifient même plus leurs remboursements. La plupart de ceux que je côtoie ne regardent pas trop.

Quelles ont été difficultés rencontrées dans votre travail ?

Convaincre les gens de me répondre. J’en ai eu au téléphone qui me disaient qu’ils ne répondraient pas parce qu’ils étaient contre le tiers payant. Alors que je voulais vraiment faire une étude objective. Certains ont un refus idéologique au tiers payant. Dans leur opposition, je n’arrivais pas à leur expliquer ma démarche et comprendre leur refus. Ça a été aussi assez difficile d’évaluer les données, parce que beaucoup ne comptent pas leur temps.

Comment exercez-vous aujourd’hui ?

Je suis remplaçante. Je vais m’installer l’année prochaine, dans un cabinet de groupe en milieu rural. Donc je n’ai pas été directement confrontée au tiers payant pour le moment. Ce qui me fait peur, c’est plutôt les relations avec les mutuelles. Aux dernières nouvelles, le tiers payant ne se fera que sur la part obligatoire. Il va quand même falloir faire un choix : soit je délègue la partie vérification au secrétariat, soit je ne la fais pas. Déjà qu’il y a une forte demande médicale, je n’aurai pas le temps d’aller vérifier tous les remboursements. J’ai peur que ça me prenne beaucoup de temps.

Si vous aviez le choix aujourd’hui de pratiquer le tiers payant, vous le feriez ?

Si on est bien remboursés, qu’on n’a pas à pointer tous les soirs… Ça ne me gêne pas. Je sais que ça fonctionne bien sur les régimes obligatoires en général. Sur le principe, pourquoi pas sur la part obligatoire. Avec l’intrusion des mutuelles, on a peur d’une vision plus économique de la santé que médicale.

Après, je pense que cette loi ne va pas changer grand-chose concernant l’accès aux soins. Quand c’est nécessaire, les médecins le font déjà. Ou attendent pour encaisser les chèques. Le principal frein en matière d’accès aux soins en médecine générale, ce n’est pas le côté pécuniaire. Je pense que c’est plutôt la disponibilité des médecins, parce que beaucoup sont surchargés.

Certains disent que l’impression de gratuité va entraîner une inflation des consultations… Qu’en pensez-vous ?

Les gens consultent quand ils sont malades ou se sentent malades. La plupart du temps, c’est dur d’avoir un rendez-vous. Pour les médecins qui consultent sans rendez-vous, il y a trois heures d’attente. Il faut vraiment être motivé pour attendre autant. S’ils consultent, même si le médecin considère qu’il n’y a pas de motif médical, ça relève toujours de quelque chose dont il faut discuter avec le patient.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier