Le café a été introduit pour la première fois en France par un négociant marseillais en 1644. A partir des années 1660, son importation et son commerce étaient devenus monnaie courante. Face au rapide développement de sa consommation, le corps médical marseillais, alarmé de voir le café qu’il considérait comme sa chose – à savoir un médicament – échapper à sa prescription pour devenir un outil de convivialité, décida de lui porter un coup d’arrêt en instruisant son procès à charge avec beaucoup de mauvaise foi. Ce procès du café est rapporté comme le premier débat médical connu sur le sujet en France.

 

Dans la chronique historique au programme des “Mardis de l’Académie de médecine”, lors de la séance du 8 novembre, Gilles Bouvenot (Service de Médecine Interne, Gériatrie et Thérapeutique, Hôpital Sainte Marguerite, Marseille – Membre de l’Académie nationale de médecine), suite à une suggestion des Amis du Patrimoine Médical de Marseille, a retracé à travers de nombreux textes anciens, l’histoire de l’introduction en 1644 du café en France. Et cette histoire est mouvementée. Jean de La Roque, voyageur et l’un des inspirateurs de la création de l’Académie de Marseille, explique dans son “Traité historique de l’origine et du progrès du café, tant dans l’Asie que dans l’Europe ; de son introduction en France, et de l’établissement de son usage à Paris In Voyage de l’Arabie heureuse par l’océan oriental et le détroit de la mer rouge” (André Cailleau, Paris, 1716), “l’imprégnation quotidienne” de Marseille par le café : “En l’année 1660, plusieurs marchands de Marseille … ne pouvant se passer de café, dont ils avaient fait une grande habitude, en apportèrent à leur retour et le communiquèrent à bien des gens qui s’y accoutumèrent comme eux … Les marchands droguistes, qui font à Marseille un fort grand commerce, s’avisèrent d’en faire venir quelques balles d’Egypte. Ce premier envoi contribua beaucoup à augmenter l’usage particulier qui s’en faisait déjà…”

 

“Cette dispute mémorable”

Dans les deux décennies qui suivirent, Jean de La Roque indique que “l’usage du café devint si universel à Marseille que les médecins s’en alarmèrent, dans la pensée que cet usage ne convenait point aux habitants d’un climat assez chaud et extrêmement sec, ce qui forma une espèce de dispute et de division dans la ville… Les choses en cet état, les médecins trouvèrent à propos, pour discréditer cette boisson, d’en faire le sujet d’une dispute publique et de se prononcer, pour ainsi dire, juridiquement sur son usage…”, explique Gilles Bouvenot. “Cette dispute mémorable mit en scène un dénommé Claude Colomb à qui l’on imposa en 1679, s’il voulait être agrégé au Collège des médecins de la ville, de soutenir une thèse sur les dangers du café”.

L’introduction de sa thèse est la suivante, déjà prometteuse : “Parmi nous déjà, il s’en faut bien peu que cette boisson, par les grandes qualités qu’on lui attribue, n’abolisse entièrement l’usage du vin, quoiqu’à dire le vrai, ni le goût, ni la couleur, ni l’odeur n’approchent pas seulement de la lie de cette excellente liqueur. Des médecins cependant n’ont pas craint de préconiser le café. Et pourquoi ? Parce que les Arabes l’ont appelé bon, parce qu’il est un produit de l’Arabie heureuse, et aussi parce qu’il a été révélé à l’homme par des chèvres ou des chameaux. Mauvaises raisons qui ne sauraient prévaloir contre un examen attentif des déplorables effets produits par cette pernicieuse boisson…”

 

“L’usage du café est nuisible à la plus grande partie des habitants de Marseille”

Claude Colomb poursuivit, dans un style et avec une véhémence qui ne sont pas sans rappeler ceux des menaces proférées par Monsieur Purgon à l’encontre d’Argan dans Le Malade imaginaire de Molière (1673) : “Les parties adultes dont il abonde… étant répandues dans la masse du sang, elles en entraînent d’abord toute la sérosité dans les réservoirs de l’urine et dans les autres parties du corps”. “De là, attaquant le cerveau, après en avoir dissous toute l’humidité… elles en tiennent ouverts tous les pores et empêchent que les esprits animaux qui causent le sommeil ne soient portés au milieu du cerveau lorsque ces pores viennent à se boucher. D’où il arrive que ces parties adultes causent, par leur qualité, des veilles si opiniâtres que le suc nerveux… venant à manquer tout à fait, les nerfs se relâchent, d’où résultent la paralysie et l’impuissance…” “Et par l’âcreté et la sécheresse d’un sang déjà entièrement brûlé, toutes les parties ensemble deviennent si épuisées de suc que le corps entier est enfin réduit en une horrible maigreur…”

La conclusion générale, que les adversaires du café attendaient avec ferveur, ne pouvait pas les décevoir : “De tout cela il faut nécessairement conclure que l’usage du café est nuisible à la plus grande partie des habitants de Marseille.”

Pourtant, malgré tous les efforts déployés pour convaincre, cette cérémonie n’eût guère d’impact sur le comportement de la population marseillaise et sur ses pratiques de convivialité, écrit Gilles Bouvenot. On observait bien encore quelques réticences des gens de bon ton à fréquenter les maisons de café, cabarets tenus par des levantins, mais l’ornementation de plus en plus recherchée de ces établissements, lieux de négoce, finit par emporter les derniers scrupules.

Mais le débat s’élargit. Philippe Hecquet, médecin de Port Royal des Champs, plus tard Doyen de la Faculté de Paris, admettait dans son “Traité des dispenses de carême” (François Fournier, Paris, 1710) que le café avait la précieuse vertu d’apaiser le feu des passions et d’être par conséquent d’un grand secours pour les hommes ayant fait vœu de chasteté. Nicolas de Blégny, médecin artiste (sic) du Roi allait dans le même sens en 1687 dans “Le bon usage du thé, du café et du chocolat” (Estienne Michallet, Paris, 1687), affirmant : “Il (le café) remédie très efficacement dans les deux sexes à toutes les espèces d’indisposition qu’on attribue aux vapeurs du foie, de la rate et de la matrice, et par conséquent aux maladies hypocondriaques et aux suffocations de matrice ou maux de mère, aux fureurs utérines et généralement à toutes les passions hystériques”.

Aujourd’hui, “plus de trois siècles après la thèse de Claude Colomb à Marseille, force est de constater que si le style et les mots de nos scientifiques et de nos médecins ont beaucoup changé, il demeure toujours beaucoup d’ombre, sinon d’incertitudes, sur la détermination des bienfaits du café, en particulier préventifs – et en fonction de la quantité de caféine ingérée – au regard de celle de ses méfaits sur l’état de santé de nos patients et de nos populations”, conclut Gilles Bouvenot.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Philippe Massol