Le programme du vainqueur de la primaire de la droite et du centre en matière de couverture maladie, visant à recentrer la Sécurité sociale sur les ALD et les maladies chroniques et à transférer le “petit risque” sur les assurances privées et les mutuelles est passé au crible par Philippe Rollandin*. Ce spécialiste de l’organisation des systèmes de santé l’estime injuste, inefficace et incohérent. Il explique pourquoi.

 

Depuis son élection triomphale, dimanche 27 novembre, à la primaire de la droite et du centre, François Fillon est à la fois le leader de l’opposition et la cible des médias. Pour lui, commence l’ère du bashing, selon les nouvelles et cyniques règles du jeu politico-médiatiques qui ne s’embarrassent ni du principe de la vérification des informations, ni de celle d’un minimum de respect, l’essentiel étant de cogner pour vendre et faire du buzz.

Le premier objet ou sujet de ce tir de barrage est son projet pour la Sécurité sociale que le désormais candidat des Républicains est accusé de vouloir casser au profit des assurances privées pour complaire à son ami Henri de Castries, qui est rien moins que l’ancien Président du groupe AXA et président du très libéral think thank Institut Montaigne.

 

Moins caricatural et plus redoutable

La réalité de ce projet est à la fois moins caricaturale et plus redoutable. Pour le comprendre, il faut remonter à la source, c’est-à-dire au programme de François Fillon candidat à la primaire, le seul texte de référence à ce jour. Le point positif est qu’il consacre 15 pages à la santé, ce qui est rare chez les politiques qui se contentent généralement de banalités sur le sujet autour de l’égal accès aux soins.

Le constat que l’ancien Premier ministre fait sur les dysfonctionnements, les blocages, les retards et le cloisonnement de notre système de santé est globalement juste.

Les solutions qu’il préconise sont intéressantes même si certaines relèvent de l’enfonçage de porte ouverte et reprennent des orientations mises en œuvre par Marisol Touraine comme le tournant libéral, la nécessité de décloisonner la ville et l’hôpital et le développement des maisons de santé pluridisciplinaires (le gouvernement en a programmé 1000 au risque de l’overdose…).

François Fillon insiste aussi sur la nécessité de mettre en place le DMP car on ne fait pas de médecine coordonnée sans circulation et partage de l’information.

Pour faire travailler ensemble hôpital et médecine libérale, il souhaite donner plus d’autonomie aux ARS. Sur ce point, il a un train, ou plus exactement une réforme, de retard puisque celle de l’actuelle ministre de la santé a « tué » les Agences au profit des GHT, qui consacrent l’enfermement des hôpitaux sur eux-mêmes et l’hospitalo-centrisme, soit le contraire de ce qu’il fallait faire.

 

La logique des trois I : injuste, inefficace et incohérent

Mais l’aspect le plus polémique de son projet concerne le financement de la santé et la couverture maladie.

Ce projet est articulé autour de 3 propositions :

1 – Basculer progressivement les cotisations maladie dites patronales vers un mix CSG/TVA.
2 – Introduire une franchise médicale universelle fonction des revenus dans les limites d’un seuil et d’un plafond, le reste à payer étant pris en charge par la prévoyance et les assurances complémentaires. Ce dispositif remplacera le ticket modérateur et la franchise de 1 € actuelle. Il visera à assurer la responsabilisation financière des patients et à répartir de façon plus juste le reste à charge. Des mesures incitatives pour les patients et pour les prescripteurs seront mises en place.
3 – Redéfinir les rôles respectifs de l’assurance publique et de l’assurance privée, en focalisant l’assurance maladie notamment sur les affections graves ou de longue durée : le panier de soins “solidaire”, et l’assurance complémentaire sur le reste : le panier de soins “individuel”. Le contenu de ces paniers de soins sera dynamique et pourra évoluer chaque année. Les moins favorisés ne pouvant accéder à l’assurance privée bénéficieront d’un régime spécial de couverture accrue.

Ces propositions relèvent de la logique des trois I, comme injuste, inefficace et Incohérent.

Injuste parce qu’il contraindra “les non pauvres, non grands malades” à souscrire une assurance-santé au 1er € alors qu’ils financeront la Sécu via la CGS et la TVA et – double injustice – par le biais des cotisations salariés qui sont maintenues. Ce sont les classes moyennes/supérieures qui vont trinquer. Ce qu’il est convenu d’appeler “le petit risque” est, pour les assureurs, “un grand marché” de plusieurs dizaines de milliards d’€, selon le niveau de revenu retenu pour basculer du régime de solidarité vers celui de l’assurance.
Inefficace
parce que, comme le dit François Fillon lui-même dans son diagnostic, 20% des assurés sont à l’origine de 80% des dépenses. Si on ajoute à cela le “panier de soins” accessible aux plus faibles, il ne reste pas grand-chose en dehors du régime de solidarité. Ce ne sera pas suffisant pour résorber le déficit. Mais cette part faible des dépenses laissée au marché est celle sur laquelle les assurances peuvent réaliser le maximum de bénéfices.
Incohérent.
D’un côté, François Fillon instaure un financement universel de la santé et non assurantiel (à travers les cotisations assises sur le travail) et de l’autre, il casse l’universalité de la protection sante et – double paradoxe et double incohérence – il veut rétablir l’universalité des allocations familiales en revenant sur la modulation selon les revenus décidée par François Hollande. On pourrait ironiser en remarquant que grâce aux allocations familiales qu’elles vont de nouveau toucher, les classes moyennes et moyennes-supérieures vont pouvoir financer leur assurance santé privée…

En réalité, avec ce programme, c’est un système à l’américaine qui se dessine avec ce que cela implique d’exclusion de toute couverture maladie. Contrairement aux idées reçues, les 17 millions d’Américains n’ayant pas d’assurance-santé ne sont ni les plus pauvres, ni les plus âgés. Les premiers sont couverts par le régime Medicare qui correspond peu ou prou à la CMU et les seconds par le régime Medicare qui correspond, dans le schéma Fillon, au recentrage de l’Assurance-maladie sur les affections longues et durables.

 

Du Robin des bois à l’envers

Les non couverts relèvent des classes moyennes inférieures, soumises à la précarité du travail, aux petits boulots et au chômage, considérées comme non-solvables par les assurances. C’est précisément ces catégories que l’Obamacare visait en leur donnant une aide à l’acquisition d’une assurance santé, ce que Donald Trump veut supprimer ou profondément reformer, ses déclarations à ce sujet étant quelque peu floues.

Le schéma Fillon s’apparente à celui-ci. Qu’en sera-t-il de ces travailleurs précaires-intérimaires, abonnés aux CDD, ubérisés, vrais-faux indépendants, face aux assureurs santé ?

Il faut être clair : revenir sur le principe d’une couverture santé solidaire et universelle dans laquelle chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins est une profonde remise en cause des fondements de la Sécurité sociale au sens des Ordonnances de 1945.

Issu du gaullisme social et du séguinisme, François Fillon est-il prêt à faire exploser ce qui est au cœur du contrat social français au nom de sa référence thatchérienne et de la doctrine – pour ne pas dire l’idéologie – libérale ?

La plus virulente charge contre ce programme est venue du chantre historique du libéralisme : Alain Madelin a déclaré dans Le Figaro que ce programme “C’est du Robin des bois à l’envers : prendre de l’argent aux pauvres pour le donner aux riches !

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Philippe Rollandin*

 

* Philippe Rollandin est consultant en communication, observateur de la médecine libérale et du système de santé. Ce texte a initialement été publié sur Lalettredegalilee.fr