De nombreuses preuves tendent à désormais considérer les maladies mentales comme des maladies de système ayant une origine biologique. Depuis une vingtaine d’années, un nombre croissant d’équipes dans le monde étudient les liens entre immunité et maladies psychiatriques. Le Pr Marion Leboyer, responsable du pôle de psychiatrie des Hôpitaux Universitaires Henri Mondor (Créteil, 94) et directrice de la fondation FondaMental*, explique ce concept, qui débouche aujourd’hui sur des essais thérapeutiques.

 

Egora.fr : Quels sont les éléments qui suggèrent un rôle de l’immunité dans les maladies psychiatriques ?

Pr Marion Leboyer : De nombreuses données épidémiologiques ont mis en évidence le lien qui existe entre toute une série d’affections immuno-inflammatoires et les maladies mentales. Par exemple, des études menées dans les pays du nord de l’Europe ont montré qu’une hospitalisation pour une infection ou une maladie auto-immune prédispose à l’apparition ultérieure de troubles de l’humeur ou d’une schizophrénie (voir notamment l’étude danoise de ME Benros et coll. Jama Psychiatry 2013). De même, une maladie auto-immune ou une hospitalisation pour infection au cours de la grossesse augmente le risque de survenue de troubles du spectre de l’autisme chez l’enfant (Chen SW et coll. Behav.Brain Res 2016, Atladottir HO et coll. J Autism Dev Disord 2010).

Par ailleurs, de très nombreuses études et méta-analyses ont montré une association entre l’élévation des marqueurs de l’inflammation (CRP, cytokines…) et la dépression, les troubles bipolaires, la schizophrénie ou les troubles du spectre de l’autisme. On estime qu’au moins un tiers des patients atteints de ces pathologies sévères présentent une élévation des marqueurs inflammatoires. De plus, des modèles animaux dits d’activation immunitaire chez la mère, au cours desquels une inflammation est induite par la voie d’infections durant la grossesse, déclenche l’apparition de comportements mimant l’autisme chez les descendants (Hsiao et coll, 2013). Enfin, les essais menés actuellement avec des anti-inflammatoires associés au traitement, en particulier dans la dépression résistante, nous confortent dans l’idée que cette piste immuno-inflammatoire est extrêmement prometteuse.

Comment l’immunité interviendrait-elle dans la physiopathologie de la maladie ?

Il est désormais clairement établi que les maladies mentales sont dues à l’interaction entre un terrain génétique et des facteurs environnementaux. Dans le cas de la dysimmunité, le terrain immuno-génétique de la personne ne lui permet pas de se défendre suffisamment efficacement contre des facteurs environnementaux précoces associés à la survenue des pathologies mentales, comme les infections ou le stress sévère, qui sont des facteurs pro-inflammatoires. Il en résulte l’apparition d’une cascade immuno-inflammatoire qui varie selon les pathologies. L’exposition à d’autres facteurs environnementaux qui se répètent tout au long de l’existence, comme des infections, des stress, un style de vie déséquilibré (alimentation, activité physique, sommeil…) entretient cette inflammation de bas niveau, qui aura des conséquences au niveau périphérique, au niveau cérébral et sur le tube digestif.

Tous les articles publiés actuellement sur le microbiote et les maladies mentales impliquent ce même mécanisme : l’inflammation augmente la perméabilité de la barrière digestive et laisse passer dans la circulation des antigènes qui, normalement, n’y pénètrent pas et vont provoquer l’apparition d’auto-anticorps et de maladies auto-immunes. C’est un phénomène qui se constitue progressivement, plus ou moins vite en fonction des expositions. Dans le cas de l’autisme, qui débute avant l’âge de trois ans, des facteurs pro-inflammatoires – infections ou maladie auto-immune – interviennent très probablement pendant la grossesse, entraînant chez les fœtus prédisposés génétiquement la cascade immuno-inflammatoire au niveau périphérique et central.

L’immunité joue-t-elle un rôle chez tous les patients ?

Probablement pas et nous espérons qu’en identifiant des signatures clinico-biologiques, à l’aide de la mesure de marqueurs sanguins de l’inflammation, nous allons pouvoir identifier les sous-groupes de patients qui pourraient bénéficier de thérapies anti-inflammatoires. En outre, l’inflammation varie au cours du temps. Nous sommes en train de montrer, grâce aux études de cohorte et aux études de suivi, que les marqueurs de l’inflammation dépendent du stade d’évolution de la maladie. Par exemple, dans le cas de la schizophrénie ou des troubles bipolaires, l’inflammation est beaucoup plus marquée au moment des épisodes de décompensation aiguë.

Est-ce que cela signifie que les personnes atteintes d’affections auto-immunes sont plus exposées aux maladies mentales ?

Tout à fait. On sait maintenant que les maladies auto-immunes peuvent prédisposer à l’apparition d’une maladie mentale, trouble de l’humeur par exemple, et que les patients atteints de troubles bipolaires ou de schizophrénie sont plus à risque de développer des pathologies somatiques comme le diabète, l’obésité, les maladies cardio-vasculaires. Il est très difficile de faire admettre, en France, que les maladies mentales sont des maladies comme les autres, qu’il faut concevoir, diagnostiquer et traiter de la même manière que les autres. Ce sont des maladies de système, qui ont une origine biologique et sont déclenchées par l’exposition à des facteurs environnementaux, en interaction avec des facteurs génétiques.

Où en est la recherche thérapeutique ?

Des essais de traitements anti-inflammatoires sont en cours, dans la dépression, mais aussi dans la schizophrénie, dans les troubles bipolaires et dans les troubles du spectre autistique. En ce qui concerne la dépression, ils se concentrent surtout sur les patients atteints de dépressions résistantes. Des marqueurs de l’inflammation sont identifiés chez certains patients, suggérant que l’inflammation de bas grade est probablement une des causes de la résistance, et qu’ils pourraient guérir si l’on associe un anti-inflammatoire au traitement antidépresseur. C’est encore du domaine de la recherche, mais un certain nombre de publications indiquent l’importance de sélectionner les patients qui pourraient bénéficier de cette stratégie thérapeutique sur la base de leurs signatures biologiques inflammatoires.

Y a-t-il d’ores et déjà des essais qui montrent la validité de cette approche ?

Absolument. Il y a une littérature abondante à ce sujet. L’une des études princeps est celle de Raison C.L. et coll. (Jama Psychiatry 2013), qui a montré que le traitement par anti-TNF- ? n’a pas d’effet sur l’ensemble des patients, mais en revanche, est efficace chez les patients ayant une CRP élevée. Les marqueurs biologiques d’inflammation les plus pertinents dans ces maladies sont l’élévation de l’IL-6, du TNF- ? et de l’IL 1 ?. Des études sont en cours, testant l’effet des anticorps dirigés contre ces cytokines. D’autres essais ont montré l’efficacité de l’association aux antidépresseurs, de médicaments comme l’aspirine, le célécoxib ou la N acétylcystéine. Ce sont des traitements peu onéreux pour des maladies extrêmement handicapantes et coûteuses pour la société.

Tels que vous décrivez ces recherches, on a l’impression que des traitements efficaces pourraient être développés rapidement.

Tout à fait. Mais il ne s’agit pas seulement de traitements. L’enjeu est aussi de mieux comprendre les mécanismes en cause et d’arriver à stratifier les patients sur la base de signatures biologiques. C’est l’avènement de la médecine de précision en psychiatrie, c’est à dire la caractérisation de sous-groupes par des indicateurs cliniques et biologiques, pour lancer des essais thérapeutiques reposant sur des hypothèses biologiques précises. Cela nous manque cruellement face à l’hétérogénéité extrêmement importante des maladies psychiatriques. Malheureusement, nous avons très peu de moyens en France pour faire de la recherche en psychiatrie. Dans les autres pays européens, aux Etats-Unis, en Australie, ces recherches sont très soutenues. En France, 2 % seulement du budget de la recherche biomédicale est consacré à la psychiatrie, alors même que les maladies mentales sont le principal motif de dépense de santé et la première source mondiale de handicap. Elles touchent 38 % de la population et constituent la première cause de décès chez les jeunes adultes.

 

* La fondation FondaMental est une fondation de coopération scientifique créé en 2007 par le Ministère de la Recherche pour soutenir la recherche sur les maladies mentales. Elle est reconnue d’utilité publique et est financée par les dons (www.fondation-fondamental.org).

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Chantal Guéniot