François Fillon a donc gagné la primaire de la droite et du centre. Celui que les médias nationaux n’attendaient pas, mais que les internautes d’Egora.fr avaient placé en tête de la compétition depuis plusieurs semaines, devant Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, l’a emporté avec 66,5 % des suffrages sur un programme d’économies dur et net, radical même en matière de santé et protection sociale.

 

Tellement clivant, ce programme, que la gauche y voit un mince espoir de remobilisation autour de ses couleurs. Marisol Touraine n’a-t-elle pas tweeté, le soir du troisième débat télévisé, que le programme de François Fillon reviendrait pour chaque Français, à devoir dépenser 3 200 euros supplémentaires par an pour se soigner ? Le traitement théorique est si violent socialement que nombre d’experts pronostiquent, d’ores et déjà, l’obligation pour François Fillon en cas de victoire à la présidentielle, de réduire la voilure des réformes, sauf à générer un soulèvement du pays profond. Elu parlementaire pour la première fois à 27 ans, l’homme saura certainement lâcher du lest avant d’en arriver-là.

Dans une lettre ouverte envoyée le lendemain même de son élection, le Dr Marty, président de l’UFML, a rappelé au candidat, son engagement à consulter les professions de santé avant toute réforme. Et il est un fait que certaines d’entre elles risquent de susciter des remous. Passage en revue des dossiers les plus à risque, en protection sociale et en santé.

 

Assurance maladie

François Fillon veut édicter la règle d’or d’équilibre des comptes de l’assurance maladie, un principe avancé dans le passé par plusieurs politiques, à commencer par le centriste François Bayrou, mais qui n’a jamais été réalisé, faute de combattants. Il ne faut pas minorer la difficulté de l’exercice qui nécessite des ajustements annuels, touchant recettes et dépenses. Certes, le candidat veut dégraisser la fonction publique hospitalière non soignante et allonger le temps de travail de 35 à 37 heures sans augmentation salariale, mais y parviendra-t-il sans que l’hôpital se mue en machine de guerre syndicale ?

L’ancien Premier ministre ayant, à plusieurs reprises, assuré qu’il faudrait augmenter la rémunération des médecins libéraux, “moins payés qu’un plombier après 10 ans d’études, mais qu’il n’accepterait qu’une liberté tarifaire “encadrée” pour ne pas trop pénaliser les patients, voilà une équation de retour à l’équilibre qui touche à la quadrature du cercle.

Le candidat s’est engagé à réaliser 100 milliards d’économies par an sur les dépenses publiques, dont 20 % sur l’assurance maladie, il devra bientôt dire précisément comment.

 

Petit risque 

Du côté des patients, François Fillon président, veut supprimer le tiers payant généralisé, recentrer les remboursements de l’assurance maladie sur les pathologies chroniques et les ALD, dans un panier de soins “solidaire”, instaurer une franchise pour tous et laisser la prise en charge des soins de confort ou de la “’bobologie“, autrefois appelé “petit risque” aux organismes de protection complémentaire. Lesquels interviendraient dans un panier de soins “individuel”, à la carte. Pour l’ancien premier ministre, il n’est pas choquant que les Français qui le peuvent, mettent la main à la poche pour s’offrir des médicaments “de confort”. “C’est la mort de la sécurité sociale”, s’est étranglé le patron de la CGT, Pierre Laurent, qui ne cache pas son intention de ne pas laisser faire cette“casse sociale”.

S’exprimant à l’Assemblée nationale à l’occasion de la deuxième lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2017, Marisol Touraine n’a pu s’empêcher de dézinguer le programme du vainqueur de la droite. “Le choix sénatorial [de supprimer le TPG] traduit la menace qui pèse sur la protection sociale des Français, bien au-delà du tiers payant généralisé“, a-t-elle lancé. “François Fillon, candidat désigné de l’opposition pour la prochaine élection présidentielle, propose ainsi que les Français qui ne souffrentpas d’une ALD ou d’une maladie grave ne soient plus remboursés par la sécurité sociale. Son programme indique, je cite :je propose de focaliser l’assurance publique universelle sur les affections graves ou de longue durée, et l’assurance privée sur le reste”. Il s’agit ni plus ni moins qu’une privatisation du système de santé. Outre le retour en arrière sur les valeurs de la France, elle représenterait un surcoût massif pour les familles, notamment pour les personnes âgées et les familles avec des enfants” a-t-elle insisté.

Pour la ministre, manifestement en campagne, “ces familles doivent savoir que le cycle des angines et gastros hivernales, que les vaccinations, le traitement des caries, les consultations régulières chez l’ophtalmologue ou, pour les femmes, le gynécologue devront être payées de leur poche” a-t-elle lancé.

Dans le programme de François Fillon, les personnes à faibles revenus bénéficieraient d’une sorte de bouclier de sécurité leur assurant une garantie plancher et plafond de prise en charge. Mais la délimitation de ces nouveaux périmètres de prise en charge, ne sera pas chose aisée et ne pourra intervenir, en tout état de cause, qu’à l’issue d’une large concertation avec tous les professionnels concernés. Au lendemain de son élection, le candidat Fillon a réaffirmé son engagement pour que les personnes aux revenus modestes ne soient pas moins bien remboursées. “Je prends l’engagement de faire en sorte que toutes les personnes qui doivent être protégées, qui ont des revenus modestes ou moyens, ne seront pas moins bien remboursées“, a-t-il assuré ce lundi soir sur France 2, expliquant qu’il voulait “sauver la sécu”. Il a même assuré qu’il voulait “que les personnes les plus modestes et âgées” soient “mieux remboursées qu’aujourd’hui“. Interrogé ensuite sur le fait de savoir s’il parlait du remboursement par l’assurance maladie ou par les mutuelles, il a répondu “les deux”. 

Médecin de proximité, le président de MG France, Claude Leicher, se pose plusieurs questions. Certes, il approuve l’intention du candidat de poursuivre le programme de construction de maisons de santé, de recentrer le médecin généraliste sur son rôle de médecin traitant, mais ses projets en matière de protection sociale font bondir le médecin généraliste. “Son partage entre protection obligatoire ou complémentaire nous fait repartir 10 ans en arrière“, relève Claude Leicher. Soulignant qu’il existait déjà plusieurs dispositifs installés pour venir en aide aux patients en difficulté financière, Cmu, ACS et bientôt peut être les travailleurs pauvres, le président généraliste redoute une “vraie catastrophe en matière d’accès aux soins et une majoration importante des dépenses de santé”. Car s’ils sont mal pris en charge en ville, les patients iront se faire soigner à l’hôpital et, ajoute-t-il, il faudra probablement s’attendre à un renchérissement des complémentaires, “qui sera visible et rendra perceptible pour la population, la dégradation de l’accès aux soins’.

 

Suppression de l’Aide médicale d’Etat

François Fillon veut supprimer l’AME dans sa forme actuelle, et la réserver (hors mineurs) à quelques situations d’urgence et aux maladies graves et contagieuses. Il reprend ainsi à son compte un dossier longtemps plaidé par la droite, qui s’est efforcée au fil des années, de limiter le périmètre de l’AME par des franchises… immédiatement retirées par la gauche, une fois de retour au pouvoir.

Les dépenses de l’AME s’adressent aux résidents étrangers en situation irrégulière et précaire, depuis au moins trois mois en France, sous plafond de ressources. En 2014, les dépenses de l’AME, financées par le budget de la Santé, se sont élevées à 831 millions d’euros en 2014, contre 661 millions d’euros quatre années auparavant. Le montant annuel des dépenses par affilié est stable : 2 846 euros en 2007 contre 2 823 euros en 2014, c’est le nombre d’affiliés qui a considérablement augmenté. La ministre de la Santé a confié une enquête à l’IGAS pour s’assurer qu’il n’y a pas de fraudes massives.

Le Monde rappelle qu’en 2007, les Inspections générales des Finances et des Affaires sociales estimaient que la limitation des soins couverts ne constitue pas une piste réaliste, l’AME “ne couvrant pas les soins de confort”’. Claude Leicher, estime de son côté que l’AME rassure les soignants, qui trouvent ainsi le moyen de soigner les patients, tout en étant rémunérés. C’est également un moyen efficace de lutter contre les maladies contagieuses, un bon outil de santé publique qui répond à un “devoir de solidarité au plan international”.

En revanche, réfléchit-il, la suppression de l’AME “projetterait la charge des soins sur le soignant, sans qu’il sache vers qui se tourner pour leur financement, actes ou produits de santé”. Tout en gonflant les consultations hospitalières.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne