Le Dr Thierry Lardenois préside la CARMF depuis exactement un an, le 25 novembre 2015. S’inscrivant dans la droite ligne libérale de son prédécesseur, Gérard Maudrux, le médecin généraliste d’Angeville (Moselle), veut entretenir un climat de paix avec ses partenaires, syndicats ou tutelle. Il n’en défend pas moins avec véhémence ses projets de réforme. 
 
 

 

Egora.fr : En commentant la publication des revenus 2015, basés sur 106 111 déclarations enregistrées par la caisse de retraite, mettant en exergue une quasi-stagnation, hors inflation, des revenus depuis 2014, vous avez déploré le fait que “la médecine libérale soit sous oxygène”…

Dr Thierry Lardenois : Oui, et j’ajoutais qu’elle avait un risque d’être admise en réanimation, fautes de mesures efficaces et qui tiennent compte de l’état de la profession. Ce problème ne concerne pas que la médecine libérale. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec des responsables de la médecine hospitalière et ils sont très inquiets du moral des médecins, de l’évolution de la démographie chez eux, du personnel, du matériel, des soins. Il n’y a pas que les libéraux qui tirent le signal d’alarme. Nous vivons dans un système de santé totalement artificiel où on gère les choses au jour le jour, sans politique de long terme. Nous, libéraux, on a toujours pris notre part de manière très efficace, en dépit de toutes les critiques qui ont pu nous être faites, assénant notamment que nous étions intéressés par l’argent. Or, si tel avait été réellement le cas, au vu du nombre d’heures consacrées aux patients et les sacrifices familiaux et personnels consentis, il est certain que les médecins auraient fait un autre métier. On peut gagner plus en faisant moins.

Ce sont les gouvernements qui se sont succédé depuis de longues années que vous mettez en cause ?

Oui absolument. La politique menée a été gérée par les hauts fonctionnaires du ministère de la Santé, elle n’émane pas d’un gouvernement de droite ou de gauche. Ces personnes ont toujours considéré que la médecine représentait un coût et qu’elle ne rapportait pas forcément à la hauteur de ce qu’elle coûtait. Il y a quelques années, un haut fonctionnaire du ministère de la santé m’avait expliqué qu’un médecin, cela coûtait 1 ou 1,5 millions d’euros par an. Et donc, pour supprimer des dépenses, il suffisait de supprimer des médecins. Mais cela ne supprime ni les malades ni les maladies !

La réforme des honoraires libres, mise en place en 1980 dans le but précisément, de soulager les dépenses de l’assurance maladie, n’a pas été opérationnelle de ce point de vue-là ?

Absolument pas opérationnelle. Je suis d’une vieille famille de médecins, j’ai un oncle médecin et sur quatre frères, on est trois médecins. Je suis donc tombé dedans quand j’étais petit et cela me donne un peu de recul dans l’analyse, sans pour autant avoir plus de légitimité qu’un autre. On a toujours considéré que les médecins étaient des nantis alors que ce n’est pas le cas. Mon oncle était médecin, mon père, ingénieur. A l’époque, le différentiel de pouvoir d’achat de l’un à l’autre était de 1 à 3, en faveur du médecin. Aujourd’hui, il est égal, voir inférieur. Alors je dis que sans vouloir être mercantile, on n’attache pas les chiens avec des saucisses. Les jeunes font pour ce qu’on leur donne. Vous ne pouvez pas demander à un jeune de s’investir moralement, physiquement, intellectuellement dans son métier jusqu’à y laisser sa santé, alors que le jeune d’à côté qui a fait une bonne école d’ingénieur gagnera autant, plus les avantages en nature, et un téléphone qui ne sonne pas lorsqu’il rentre chez lui le soir. On n’a pas considéré notre métier à la hauteur du service qu’il rendait à la nation.

Lorsque les comparatifs sont faits entre les revenus des médecins libéraux et des cadres supérieurs, l’avantage que représente, pour les médecins du premier secteur, la prise en charge partielle du coût de la retraite par les caisses est toujours mis en avant…

Oui. Mais on sait bien ce que j’en pense. Je suis sur la ligne de Gérard Maudrux (qui avait longtemps prêché pour la suppression de l’ASV. Ndlr). Cette retraite, c’est une chaîne qu’on nous a mis. Si vous me donnez demain, l’argent que l’assurance maladie met soi-disant dedans, je vous l’investirais de manière bien plus efficace. Ici même, à la CARMF, nous avons des placements qui permettraient d’accorder aux confrères une rentabilité équivalente voir supérieure. Avec les chaînes en moins.

Mais cela n’est pas possible. La cotisation à la CARMF est obligatoire.

On est bien d’accord. En accédant à la présidence, j’ai pris l’engagement le jour de mon élection, de ne pas m’immiscer dans le champ conventionnel. Donc, je ne m’en mêle pas. J’ai bien entendu une opinion personnelle à l’égard de l’ASV, que je ne motive que lorsqu’on veut me faire dire que c’est bien, comme l’a fait Claude Leicher, le président de MG France lors de la dernière assemblée de la CARMF, pour vanter l’intervention syndicale qui a permis son sauvetage. Je n’ai évidemment pas pu le laisser poursuivre sans répondre car ce n’est pas la réalité. 

Certains prétendent donc que l’ASV est sauvé, d’autres qu’il n’en est rien. Donnez-nous votre avis. 

Je dis que pour l’instant, l’ASV a été équilibré, mais à quel prix ! La valeur de la cotisation proportionnelle d’ajustement à 3,90 euros, une augmentation colossale de la cotisation forfaitaire… Si vous comparez les évolutions du régime complémentaire avec les évolutions successives de l’ASV, nous sommes tout de même un peu plus performants ! Mais je ne veux par rallumer la guerre de l’ASV avec mes amis des syndicats. Mes opinions sont connues, je n’irai pas plus loin. Je veux faire la paix.

En revanche, vous avez porté la réforme du régime complémentaire, votée à l’unanimité par votre conseil d’administration, la fameuse retraite à la carte. Quand doit-elle entrer en vigueur ?

Nous espérons au 1er janvier 2017. Au départ, les syndicats étaient hostiles à la réforme, essentiellement pour une affaire de personne, il faut bien en convenir. Ils voulaient une baisse de la valeur du point de 13 % au lieu de 15 % à 68 ans pour qu’à 65 ans, le revenu soit égal. Nous avons fait un effort en direction des syndicats et à notre grande surprise, dans une entente collective que je salue, ils ont souhaité transposer la réforme dite “en temps choisi” dans le cadre de l’ASV. L’Etat a publié les décrets ad hoc, et nous attendons pour les jours qui viennent, les décrets concernant spécifiquement le régime complémentaire. Cela serait incompréhensible que l’Etat ne le fasse pas, et extrêmement pénalisant pour les confrères car nous serions obligés d’abaisser la retraite de 13 %, sans contrepartie.

J’ajouterai dans ce cadre, que j’ai fait voter lors du dernier conseil d’administration, le passage de 40 à 60 000 euros de l’indemnité forfaitaire de décès. Une augmentation de 50 %. La Carmf est aujourd’hui le seul organisme qui assure sans conditions, l’espace de vie entre 65 et 70 ans en cas de poursuite d’activité. Les confrères ne cotisent pas à fonds perdu. En cas de décès, c’est le conjoint survivant qui touchera cet argent.

Depuis plusieurs années, du fait de la démographie déclinante ou d’une insuffisance de revenus, des médecins arrivés à l’âge de la retraite choisissent de continuer à exercer sous le régime du cumul emploi-retraite. Quelle est votre analyse de la situation aujourd’hui ?

Compte tenu des décrets édictés par l’Etat sur le cumul emploi retraite, il s’agit d’une très mauvaise mesure qui s’est retournée contre nos confrères. Un très grand nombre d’entre eux qui ont débuté ce type d’activité, l’arrêtent assez rapidement compte tenu des charges. Puisqu’il y a un apport de revenus complémentaires, il y a une augmentation d’impôts importante, les confrères n’avaient pas compris qu’il s’agit d’un revenu fiscal. Il y a une déclaration à l’Urssaf, qui vient prendre sa part sur ce qu’ils gagnent et nous CARMF, nous sommes obligés de prendre une cotisation qui ne leur donnera pas de points. La réforme du temps choisi, visait à réparer ces injustices.

Les aménagements apportés par Xavier Bertrand et François Fillon, pour dépénaliser le cumul emploi retraite lors du précédent quinquennat n’ont donc pas été suffisants ?

Clairement non. On m’a fait comprendre que cette réforme ne plaisait pas au ministère des Finances. De toutes manières, ce ministère ne fait strictement aucun effort pour produire des textes qui amélioreraient notre situation. Bien au contraire puisque depuis le 1er janvier 2016, le régime de base prélève une cotisation minimale forfaitaire de 448 euros chez les confrères pratiquant le cumul emploi retraite dont les revenus sont nuls ou négatifs. Donc, les prélèvements s’alourdissent et les fonctionnaires du ministère des Finances font tout ce qu’ils peuvent pour empêcher ce cumul.

Il n’est un secret pour personne que les relations entre Gérard Maudrux, votre prédécesseur, et la Tutelle étaient épouvantables à la fin de son dernier mandat. La CARMF a également été mise sous tutelle, tout comme les autres caisses de professions libérales et la gouvernance a été remaniée. Quelles relations entretenez-vous avec le gouvernement  ?

Elles sont cordiales. Je n’ai pas le moindre sujet de conflit en cours. Je continue à faire valoir notre point de vue et les droits de la CARMF, mais les rapports sont courtois. J’ai pris l’engagement de ne parler que de la CARMF, ce que je fais dans mes éditoriaux. Néanmoins, nous avons toujours des points de désaccord et je déplore toujours que mes courriers soient rarement suivis d’une réponse. Je peux comprendre qu’après 15 ans à ce régime, le Dr Maudrux soit devenus plus agressif en fin de mandat.

 

Mis à jour le vendredi 25 novembre à 12 h 53.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne