La marchandisation étend son emprise sur les données de santé qui valent de l’or pour les géants du Net. Le traité de libre-échange (CETA) entre le Canada et l’Union européenne donne la possibilité à Google de s’emparer de ce pactole au mépris des règles éthiques et des réglementations visant à protéger la vie privée. La résistance des wallons a empêché un temps cette dérive. Mais pour combien de temps encore ?

 

Ils ont des chapeaux ronds, vive les Wallons. Il faut féliciter une fois, le gouvernement de la province francophone de Belgique d’avoir joué les Astérix en s’opposant et en bloquant – même provisoirement – la signature du Traité de libre-échange entre le Canada et l’Union Européenne, le désormais fameux CETA.

Certes, leur résistance a été de courte durée. Mais, elle a eu deux effets bénéfiques.

Le premier a été de mettre sur la place publique et de porter à la connaissance de l’opinion un traité, négocié dans la plus grande opacité et conclu dans la plus totale indifférence.

Le second est d’avoir obtenu des aménagements et des précisions sur des aspects sensibles dont le point commun est de rééquilibrer le rapport de force entre les multinationales et les Etats au profit des seconds.

 



“Supprimer toute entrave”

En effet, ce traité – comme celui en négociation avec les États-Unis – ne vise pas seulement, comme on a tendance à le vendre aux opinions, à favoriser le commerce international et à organiser des échanges économiques équilibrés dans un monde de bisounours. Son objet essentiel est ou était de supprimer toute entrave et réglementation régulant le commerce : plus de normes, plus de spécificité, plus de précaution.

La vigilance des wallons a permis d’obtenir que, dans le domaine agricole, l’Europe puisse mettre en place des clauses de sauvegarde en cas de perturbation sur les marchés et continuer à interdire l’entrée sur son territoire d’OGM autorisés au Canada ou aux États-Unis.

Mais la correction la plus importante acquise par les irréductibles belges francophones concerne le règlement des conflits entre des multinationales et des États.

En effet, le traité, dans sa version initiale, donnait la possibilité à une multinationale qui investirait à l’étranger de porter plainte contre un État adoptant une politique publique contraire à ses intérêts en faisant trancher le conflit par des tribunaux d’arbitrage privés.

 



L’affaire Tapie est éclairante

Ce système aurait permis à des multinationales de poursuivre en justice des États, comme ce fut le cas du cigarettier Philipp Morris qui attenta un procès devant un tribunal privé à l’État d’Australie pour l’introduction des paquets neutres. Cela pourrait être le cas aussi du paquet neutre qui sera effectif en France au 1er janvier 2017.

Le sujet n’est pas l’opportunité ou non du paquet anonyme mais la souveraineté des Etats car on sait ce qu’il en est de l’arbitrage privé : les intérêts économiques y sont dominants. À une échelle modeste mais significative, l’affaire Tapie est, à cet égard éclairante. Pour obtenir un arbitrage favorable, il a suffi à l’homme d’affaires de désigner les « bons » arbitres, c’est-à-dire des personnalités acquises à sa cause, ce qui a couté 400 M€ aux contribuables que – cet arbitrage ayant été annulé par la justice – le fisc tente de récupérer.

En d’autres termes, au niveau du commerce international, l’arbitrage privé revient ou reviendrait à donner les clés de la République à Google, Apple, Facebook, Amazon, les célèbres GAFA.

Et cela concerne directement la santé. Celle-ci est entrée dans l’ère du Big Data et, précisément ces géants du net, en particulier Google, sont les maîtres d’œuvre de cette révolution. Leur matière première et la source de leur fortune, c’est précisément l’information, la data et, c’est un enjeu économique majeur.

 



“1 000 milliards d’euros en 2020”

Selon une étude du Boston Consulting Group (BCG) “la valeur marchande des données personnelles (y compris de santé) laissées par les internautes et captées par les GAFA sera de 1 000 Md€ en 2020 “.

Cette valorisation économique montre bien que l’information est une marchandise comme les autres qui entre dans le champ des traités de libre-échange. Quid alors de la confidentialité et de la protection des données de santé ?

De même que les multinationales de l’agro-alimentaire n’ont que faire des appellations AOC qui protègent nos vins et nos fromages, les géants du numérique se préoccupent, comme d’une guigne, de la protection de notre intimité.

Il est assez évident que les digues érigées par l’Europe, les contrôles sourcilleux d’un organisme comme la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) ou encore la loi santé qui encadre l’accès aux données de l’Assurance maladie et des organismes de recherche ne résisteraient pas à un arbitrage privé. Autant ériger un château de sable pour empêcher un tsunami.

 



Y ajouter les informations issues du dossier médical personnel

Sur cette disposition concernant l’arbitrage, les Belges ont obtenu que les juges européens de ces tribunaux – il y aura aussi des Canadiens – soient nommés par les États-membres de l’UE, afin de s’assurer qu’ils ne soient pas issus des milieux d’affaires. Ces juges devront en outre être rémunérés par l’Union européenne et le Canada de manière permanente, un système qui devra progresser vers des juges employés à temps plein.

Il est scandaleux que ni la Commission européenne, ni les gouvernements des grands pays de l’Union, à commencer par la France – le pays des droits de l’Homme -, l’Allemagne ou l’Angleterre (qui est encore membre de l’UE) et du Canada n’aient soulevé cette question et étaient prêts à signer ce texte.

Mais, à peine ce danger extérieur était-il partiellement circonscrit, qu’un péril – intérieur – est apparu avec le fichier unique recensant tous les Français. Un décret du 30 octobre 2016 a officialisé “la création d’un traitement de données à caractère personnel commun aux passeports et aux cartes nationales d’identité”. Cette méga base rassemblera les données personnelles et biométriques de tous les détenteurs d’un papier d’identité – en réalité tout le monde puisque la CI est obligatoire – mais aussi des informations comme la photo numérisée du visage, les empreintes digitales, la couleur des yeux, les adresses physiques et numériques.

Il suffira, le moment venu, d’y ajouter les informations issues du dossier médical personnel et, mieux encore, du séquençage du génome et des données comportementales fournies par les objets connectés et la boucle sera bouclée.

 

*Philippe Rollandin est consultant en communication, observateur de la médecine libérale et du système de santé. Ce texte a initialement été publié sur Lalettredegalilee.fr.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Philippe Rollandin