Certains leaders politiques présentent indéniablement un tableau psychiatrique. Mais est-ce le pouvoir politique qui rend fou ou bien faut-il être fou pour réussir en politique ?

 

Avec l’élection récente de Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale s’est posée la question de la santé mentale du 45e président des Etats-Unis. Au-delà de ses prises de position radicales et politiquement incorrectes, certains commentateurs se sont risqués à des diagnostics. Psychopathe, personnalité narcissique ou histrionique… les supputations sur son profil psychologique vont bon train. Avec la crainte de l’impact que la santé mentale défaillante d’un leader politique peut avoir sur la vie de millions de personnes.

Quoiqu’il en soit, Trump ne serait pas le premier président américain à souffrir de troubles mentaux. Dans un article de 2006, paru dans Journal of nervous and mental disease, Davidson analysait les biographies des présidents américains depuis l’indépendance en 1776 jusqu’à 1974 : les cas étaient nombreux, d’un Lincoln dépressif à un Kennedy sujet à des variations de l’humeur induits par l’abus de substances stimulantes et la cortisone qu’il s’injectait pour sa maladie d’Adisson.

 

Dépression, dépendance à l’alcool, bipolarité…

L’article retrouvait chez 49 % des présidents américains des critères de troubles psychologiques allant de la dépression (24%) à la dépendance à l’alcool (8%) ou l’anxiété (8%). L’article relève des traits de bipolarité chez 8% d’entre eux, comme Theodore Roosevelt et Lyndon Johnson. Mais ces taux correspondent à ceux retrouvés dans la population américaine. A l’exception d’un plus fort taux de dépression : l’usure du pouvoir sans doute.

En France, les politiques n’ont pas fait l’objet d’études aussi précises. Mais régulièrement l’actualité vient nous rappeler que le pouvoir révèle la face sombre de certains politiques : des abus sexuels (Dominique Strauss Kahn ou plus récemment l’affaire Denis Beaupin, le responsable EELV accusé de harcèlement sexuel, aux paraphilies (le fétichisme de George Tron, qui massait les pieds de ses collaboratrices) ou l’exhibitionnisme de Robert Rochefort, vice-président du MODEM, qui a avoué s’être masturbé dans une grande surface, en passant par la fraude qui frise la mythomanie (Jérôme Cahuzac ou Thomas Thévenou qui a plaidé la phobie administrative.. “Le pouvoir est une drogue qui rend fou quiconque y goûte” assurait Mitterrand. L’homo politicus est-il un cas psychiatrique ? Mais faut-il être fou pour arriver au pouvoir ou est-ce le pouvoir qui rend fou ?

 

Maladie professionnelle

C’est la question que se posait Pascal de Sutter dans son livre Ces fous qui nous gouvernent paru en 2007. Le psychologue, professeur à l’université de Louvain-la-Neuve et expert à l’OTAN, écrivait : “La folie, chez un homme politique, c’est un peu comme la tuberculose pour les mineurs du siècle de Zola, une maladie professionnelle, un risque difficilement évitable“.

De Sutter paraphrasait le titre du livre à succès du Dr Pierre Rentchnick et de Pierre Accoce, Ces malades qui nous gouvernent, paru en 1976. L’ouvrage explorait l’état de santé physique des gouvernants et les répercussions sur leur politique. En ouverture du livre, cette citation de Montherlant : “on nous parle du nez de Cléopâtre, mais on ne nous parle pas des hémorroïdes de Richelieu”.

 

Psychologie politique

De son côté Pascal de Sutter, s’intéressait à l’aspect psychologique des grands de ce monde. Il mettait ainsi en avant une discipline peu connue, la psychologie politique. Née durant la 2de guerre mondiale, elle cherche à établir à distance des profils de leaders en se basant sur l’analyse verbale du discours, le discours non verbal (expressions et gestes) et les questionnaires des proches et des adversaires. Ceci dans un but stratégique et diplomatique : connaître ses ennemis et ses amis permet de mieux les manipuler.

 

Des traits de psychopathie utiles

Stress, dépression, mégalomanie, abus de substances… de nombreux troubles psychologiques peuvent être entraînés par l’exercice du pouvoir. Mais ils peuvent aussi précéder l’accession au pouvoir voire la favoriser. Un zeste de paranoïa permettrait de se méfier de ses ennemis ou de remporter l’adhésion par une vision manichéenne du monde. Des traits de psychopathie – soit notamment le défaut d’empathie – seraient utiles pour se faire une place dans la lutte politique tout en s’arrangeant avec sa conscience. Enfin la mythomanie peut être un avantage adaptatif pour esquiver certaines situations.

Ces traits peuvent être accentués, une fois arrivé au pouvoir : la victoire flattant le narcissisme des uns, la déférence, l’histrionisme des autres et l’impunité libérant les pulsions les plus sombres.

Certains de nos politiques étaient analysés dans le livre de Pascal de Sutter. Par exemple, Nicolas Sarkozy y était diagnostiqué comme un ambitieux-dominant narcissique compensatoire. Soit ayant une ambition dévorante, venant compenser des complexes sous-jacents anciens. “Il est probable que seul un grave échec personnel, comme se faire massacrer aux élections, pourrait le guérir.” affirmait le psychologue dans un entretien au journal suisse Le Temps, le 8 mars 2008. Sarkozy, sur la voie de la guérison en 2017 ? Ou dès 2016 ?

 

Un avantage en temps de crise

Selon de Sutter, un grain de folie initial pourrait aussi protéger les hommes politiques du pouvoir, “cette machine à broyer l’équilibre mental” et lui éviterait ainsi de tomber dans un état pathologique. Nassir Ghaemi, psychiatre américain et professeur au Tufts medical Center à Boston, va plus loin : il estime que les troubles psychologiques peuvent même servir les hommes de pouvoir dans les périodes de crise.

 

Churchill bipolaire

Dans son livre paru en 2011, Une folie de première classe. Les liens entre esprit dirigeant et maladie mentale, il écrit : “Lorsque les temps sont bons et que le vaisseau de l’État n’a besoin que d’aller de l’avant, les gens sains d’esprit sont de bons leaders politiques. Mais en cas de crise et de tumulte, ceux qui sont anormaux mentalement, voire malades, deviennent les plus grands leaders.” Face à Hitler, la lucidité d’un Churchill, bipolaire, est mise en avant par rapport à celle d’un Chamberlain sain d’esprit qui échoua dans la négociation des accords de Munich.

Quatre éléments clé peuvent servir les leaders en cas de crise : le réalisme, l’empathie, la résilience et la créativité. Pour Ghaemi, la dépression peut aider les leaders à être plus réalistes et plus empathiques, alors que la manie contribuerait à la créativité et la résilience. Les carrières de Churchill, Lincoln, Gandhi et Luther King montrent les liens existant entre la dépression et le réalisme et l’empathie. Tandis que les personnalités hyperthymiques de Roosvelt et Kennedy, aurait pu favoriser la résilience.

 

Le syndrome d’hubris : une nouvelle maladie ?

Le pouvoir peut amplifier des traits pathologiques préexistants. Mais l’ivresse du pouvoir est-elle une entité clinique à part entière ? C’est la thèse de David Owen, médecin et homme politique anglais, qui a développé le concept de syndrome d’hubris.

Owen n’a rien d’un anarchiste ou d’un révolutionnaire. C’est un politique de 1er plan, qui fut le plus jeune ministre des affaires étrangères anglais, membre du Parlement, puis membre de la Chambre des Lords. Un médecin qui connaît donc bien son sujet d’étude. Il définit ce syndrome dans un livre paru en 2008 et dans un article paru dans la revue Brain, co-signé avec le Dr Davidson. Dans la Grèce antique, l’hubris est synonyme d’orgueil démesuré : lorsque le succès monte à la tête des puissants.

 

Personnalité narcissique

Owen cherche à définir sa nouvelle entité : il décrit 14 caractéristiques (cf. encadré) notamment un mépris pour les critiques, la perte de contact avec la réalité ou encore un sentiment d’invulnérabilité. Trois caractéristiques parmi ces 14 sont nécessaires pour que l’ont puisse parler de syndrome d’hubris. Beaucoup recoupent les traits de caractère de la personnalité narcissique décrite dans le DSM 5. D’autres celle des personnalités histrionique ou antisociale.

Contrairement aux troubles de la personnalité qui sont stables à partir de la fin de l’adolescence, le syndrome d’hubris a pour particularité d’être transitoire, déclenché par le pouvoir et de s’estomper avec lui. Plus la durée du mandat est longue plus le risque de déclencher le syndrome d’hubris est fort. S’il peut être associé à des comorbidités psychiatriques, il peut aussi survenir sur un terrain neutre : c’est le pouvoir uniquement qui en est le facteur déclenchant.

Owen s’intéresse aux présidents américains et aux premiers ministres anglais sur une durée d‘un siècle. George W. Bush et Tony Blair présentent un syndrome d’hubris typique selon lui, notamment lors de leur engagement dans guerre en Irak.

 

Stars, hommes d’affaire ou gourou

Mais pourquoi les hommes politiques seraient les seuls affectés ? Pour l’auteur, le syndrome d’hubris peut atteindre aussi bien les stars, les hommes d’affaires ou encore les gourous.

Owen reconnaît des limites à son syndrome : notamment le fait que le peu de sujets concernés rende son étude complexe. N’ayant aucune validation scientifique, le syndrome d’hubris reste une simple hypothèse de travail.

Mais quand on sait quel impact peut avoir l’action démesurée d’un puissant sur la population qu’il commande, il est légitime d’envisager des pare-feux. Owen suggère des limitations possibles au syndrome d’hubris : la démystification du secret médical et la séparation bien marquée des pouvoirs.

 

Des fous qui nous ressemblent

Ainsi les politiques peuvent développer des troubles durant l’exercice de leur fonction, qu’il s’agisse de troubles psychiatriques induits (dépression, anxiété, abus de substances), d’un trait de personnalité préexistant renforcé par l’exercice du pouvoir (paranoïa, narcissisme, perversion) ou même un syndrome d’hubris. La question reste posée : pourquoi votons-nous pour eux ?

Après un “omniprésident”, les Français s’étaient choisi François Hollande avec sa posture de président “normal”. Mais il bat aujourd’hui des records d’impopularité. Quel sera leur prochain choix en 2017 ? Les Américains de leur côté ont voté : Donald Trump a été élu à la tête des Etats-Unis bien qu’il se soit présenté comme l’archétype d’une personnalité narcissique. Mais ne l’ont-ils pas justement choisi pour cela ?

De Sutter écrit : “le plus cocasse, c’est que si les fous sont au pouvoir, c’est parce que nous les y avons mis justement parce qu’ils sont fous”. Parce que les électeurs cherchent des leaders séducteurs, menteurs, ou manipulateurs. Nous recherchons à travers ces défauts, des hommes politiques qui nous ressemblent ou nous rassurent sur nous-mêmes. C’est peut-être cela le secret du populisme.

 

 

Les critères du syndrome d’hubris

Selon Owen, pour être atteint du syndrome d’hubris, il faut présenter au moins 3 des critères parmi les 14 suivants. Certains sont uniques (*), d’autres recoupent les critères de personnalité narcissique (PN) , antisociale (PA) ou histrionique (PH) :

– propension narcissique à voir le monde comme une arène où exercer son pouvoir et chercher la gloire (PN)
– prédisposition à engager des actions susceptibles de présenter l’individu sous un jour favorable c’est-à-dire pour embellir son image (PN)
– attrait démesuré pour l’image et l’apparence (PN)
– façon messianique d’évoquer les affaires courantes et tendance à l’exaltation (PN)
– identification avec la nation ou l’organisation, au point que l’individu pense que son point de vue et ses intérêts sont identiques à ceux de la nation ou de l’organisation (*)
– tendance à parler de soi à la troisième personne ou à utiliser le “nous” royal (*)
– confiance excessive en son propre jugement et mépris pour les critiques et les conseils d’autrui (PN)
– impression d’omnipotence sur ce que l’individu est personnellement capable d’accomplir (PN)
– croyance qu’au lieu d’être responsable devant ses collègues, le seul tribunal auquel devra répondre sera celui de l’histoire (PN)
– croyance inébranlable que le jugement de ce tribunal lui sera favorable (*)
– perte de contact avec la réalité, souvent associé à un isolement progressif (PA)
– agitation, imprudence et impulsivité (*)
– tendance à accorder de l’importance à leur “vision”, à leur choix, ce qui leur évite de prendre en considération les aspects pratiques ou évaluer les coûts et les conséquences (*)
– incompétence “hubristique”, lorsque les choses tournent mal parce qu’une confiance en soi excessive a conduit le leader à négliger les rouages habituels de la politique et du droit (PH)


Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Clément Guillet

 

Bibliographie :

Davidson J., et coll. Mental Illness In U.S. Presidents Between 1776 and 1974. A Review of Biographical Sources. The Journal of Nervous and Mental Disease. Volume 194, numéro 1, janvier 2006.

De Sutter Pascal. Ces fous qui nous gouvernent. Les Arènes, 2007.

Ghaemi Nassim. A First-Rate Madness : Uncovering the Links Between Leadership and Mental Illness. Penguine Press. 2011.

Owen D., Davidson J. Hubris syndrome : an acquired personality disorder ? A study of US Presidents and UK Prime Ministers over the last 100 years. Brain, numéro 132, 2009, p. 1396-1406.

Owen David. In sickness and in power : illness in heads of governement during the last 100 years. Praeger, 2008