Une conférence internationale a fait le point sur les risques liés aux résidus médicamenteux dans l’environnement. L’impact de cette pollution insidieuse reste à évaluer. Les scientifiques appellent à intensifier les recherches.
On sait encore peu de choses sur les risques liés aux résidus de médicaments dans l’environnement, et la réglementation dans ce domaine est quasiment inexistante. Le premier exemple de détection de médicaments dans l’eau remonte à 1976, lorsque 29 µg/l d’acide salicylique et 7 µg/l d’acide clofibrique (métabolite du clofibrate) ont été mesurés dans une station d’épuration de Kansas City (Missouri), correspondant au déversement quotidien de 8,6 et 2,1 kg de ces molécules. Aujourd’hui des méthodes de dosage extrêmement sensibles sont disponibles et des quantités de l’ordre de nanogrammes par litre peuvent être détectées. Antibiotiques, anti-inflammatoires, antidépresseurs, antiépileptiques sont décelés régulièrement, mais à des concentrations très variables selon le lieu de prélèvement : quelques nanogrammes par litre dans certaines eaux potables, des dizaines de nanogrammes par litre dans les eaux superficielles et souterraines, et jusqu’à plusieurs centaines de microgrammes par litre dans les eaux de certaines stations d’épuration. Si des effets sur la faune et la flore ont été décrits, les risques pour l’homme de l’absorption chronique de ces très faibles doses est difficile à déterminer. “Il ne faut pas affoler inutilement. Mais il faut être actif”, a déclaré le Pr Yves Lévi (groupe Santé publique et Environnement, université Paris-Sud), résumant bien l’état d’esprit des participants à l’Icraphe 2016, première conférence internationale sur les résidus médicamenteux, organisée à Paris par l’Académie nationale de pharmacie.
Un deuxième plan Micropolluants 2016-2021
La France s’est impliquée depuis plusieurs années dans ce domaine, avec un certain retard par rapport à d’autres pays, comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. Cependant c’est le premier pays européen à s’être doté d’un plan (Plan national sur les résidus de médicaments dans l’eau 2010-2015). Par ailleurs Ségolène Royal a lancé au cours de cette conférence le deuxième plan micropolluant 2016-2021, déjà prêt depuis de nombreux mois. Celui-ci concerne toutes les substances indésirables présentes à très faible concentration dans l’environnement. Le plan sur les résidus médicamenteux a conduit à des campagnes nationales de mesure dans les milieux aquatiques et les eaux de boisson en France. Les premières évaluations des risques sanitaires ont été effectuées par l’Anses et l’ANSM. Les données concernant les eaux de boisson sont rassurantes. “En l’état actuel des connaissances et pour les molécules testées la marge de sécurité serait importante suite à l’ingestion de ces molécules par les eaux destinées à la consommation humaine, aux concentrations environnementales”, précise le plan micropolluants. Un rapport technique de l’OMS, publié en 2012, parvenait à la même conclusion. Cependant les études ont été menées pour la plupart en Amérique du nord ou en Europe et leurs résultats ne peuvent être extrapolés aux pays où les réseaux d’assainissement sont moins performants.
En France, l’Anses a recherché systématiquement 44 molécules dans des eaux de boisson et en a détecté 18 au moins une fois. Les concentrations étaient très faibles et la méthode d’évaluation appliquée à six médicaments humains (carbamazépine, ibuprofène, kétoprofène) ou vétérinaire (danofloxacine, florfénicol, tylosin) a montré des risques négligeables aux concentrations détectées dans les eaux de boisson. Pour les métabolites de la danofloxacine et de l’ibuprofène, les données étaient insuffisantes pour conclure. “Les évaluations réalisées aujourd’hui indiquent un risque très faible ou négligeable dans les eaux de boissons, mais avec un gros niveau d’incertitude”, a résumé le Pr Lévi. L’évaluation des risques est d’autant plus difficile que si l’on connaît bien les effets des médicaments, on dispose de beaucoup moins d’informations sur ceux de leurs métabolites et de leurs produits de dégradation. “Le chlore utilisé pour désinfecter l’eau peut donner des sous-produits chlorés dont personne ne connaît la toxicité”, observe le Pr Lévy. Par ailleurs les résidus médicamenteux dans l’eau ne peuvent être considérés isolément. Il faut tenir compte des autres sources d’exposition, notamment des résidus médicamenteux présents dans les aliments (pour comparaison dans les cas des pesticides, 10 % seulement des expositions proviendraient des eaux de boisson) et des expositions multiples à des cocktails de toxiques. Enfin les risques de très faibles doses à long terme sont totalement inconnus.
Des perturbations endocriniennes sur la faune
Les effets des résidus médicamenteux sur la flore et la faune sont plus visibles et pourraient affecter indirectement la santé humaine. Ainsi l’équipe du Pr Damia Barcelo, directeur de l’Institut catalan pour la recherche sur l’eau (Barcelone) a détecté des AINS et des antibiotiques dans des eaux de rivière et des nappes souterraines et, pour lui, il existe un risque réel de voir émerger des résistances bactériennes dans l’environnement. Le rapport ministériel sur l’environnement de 2014 indiquait que 67 % des masses d’eaux souterraines en France “sont en bon état chimique”, de même que la moitié des eaux de surface testées.
Les perturbateurs endocriniens constituent un cas particulier dans la mesure où leur action biologique n’obéit pas à la relation dose-effet classique. Des perturbations des organes sexuels et de la reproduction ont été observées chez les poissons de rivière. “C’est un thème extrêmement important, mais on a trop tendance à assimiler les perturbateurs endocriniens aux médicaments, a souligné le Pr Lévy. Le diclofénac, l’éthynil-estradiol sont des perturbateurs endocriniens, mais cela représente très peu par rapport à l’ensemble des perturbateurs endocriniens, à commencer par les plastiques”.
Ces incertitudes incitent à la vigilance et encouragent à développer, comme le font déjà certains laboratoires, des tests sur des modèles animaux pour rechercher d’éventuels effets biologiques.
Les résidus médicaments sont principalement ambulatoires
Les résidus médicamenteux peuvent provenir des traitements individuels, qu’ils proviennent de l’élimination des molécules absorbées ou des médicaments inutilisés et jetés. Une équipe de Poitiers a recherché un panel de médicaments dans les effluents de deux hôpitaux. Cinquante molécules ont été identifiées, à des concentrations allant de quelques microgrammes à des centaines de microgrammes par litre. Seuls les produits de contraste iodés atteignaient des concentrations de l’ordre de quelques milligrammes par litre. “Mais les hôpitaux contribuent seulement pour 15 à 20 % des résidus médicamenteux dans les villes, a déclaré le Pr Lévy. La part liée aux traitements ambulatoires est bien plus importante”. Dans certaines régions, ce sont les médicaments vétérinaires qui sont majoritairement retrouvés.
Recyclage, biomédicaments, nouvelles technologies de filtration des eaux…
Parmi les moyens de réduire les rejets médicamenteux, la prescription raisonnée et la récupération des médicaments non utilisés, mise en place en France par l’association Cyclamed, occupe une place d’autant plus importante que la France consomme 30 % de médicaments de plus que la moyenne européenne et trois fois plus que les pays européens les moins consommateurs.
L’industrie devrait être encouragée à développer un « chimie verte », utilisant moins de solvants et de réactifs dès les premières étapes de la synthèse, et privilégiant des molécules ayant une bonne biodégradabilité. Des mesures incitatives pourraient être efficaces, comme d’accorder des brevets plus longs ou d’augmenter le prix de vente des médicaments biodégradables. “Cela a déjà été évoqué”, a observé le Pr Lévy, tout en tempérant : “la priorité est de trouver des médicaments efficaces. Il ne faudrait pas que la crainte de produire des résidus freine la recherche pharmacologique et l’innovation”. Plusieurs intervenants ont souligné la difficulté d’obtenir des données de la part des firmes pharmaceutiques, qu’il s’agisse de données biologiques ou simplement de chiffres de vente. “Il faut travailler avec l’industrie pharmaceutique pour améliorer la transparence, a souligné Laure Souliac (Direction de l’eau et de la biodiversité, Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer). Cela ne peut se faire qu’au niveau européen”.
Enfin, concernant le traitement des eaux, des systèmes membranaires complexes, comme les nanofiltres ou les membranes d’osmose, se sont développés depuis dix ans, qui permettent de filtrer les résidus médicamenteux. Cependant ces traitements sont très onéreux et aucune technologie ne peut enlever tous les micropolluants. “Nous ne voulons pas mettre en place des traitements complexes dans toutes les stations d’épuration, a déclaré Laure Souliac. Cela coûterait extrêmement cher. Nous avons d’autres priorités, comme éviter les débordements en cas de fortes pluies.”
Classer les médicaments selon leur impact sur l’environnement
Le plan Micropolluants 2016-2021 a pour objectif de réduire les émissions à la source et de consolider les connaissances sur les rejets et leurs impacts. Plusieurs mesures sont centrées sur les médicaments :
– L’évaluation des dispositifs de collecte des médicaments non utilisés dans les établissements et centres de soins. L’analyse de cette gestion des déchets conduira à des propositions.
– L’incitation au suivi du guide de bonne gestion des déchets médicamenteux. Cela pourrait se faire par des actions de sensibilisation, mais aussi par le renforcement du caractère incitatif des aides accordées par les agences de l’eau.
– Le suivi de la dispensation des antibiotiques à l’unité, expérimentée actuellement dans quatre régions. Le rapport final de l’Inserm devrait être remis au plus tard en juillet 2017. Il permettra d’examiner l’opportunité d’élargir ce système à d’autres médicaments.
– L’étude de la pertinence d’appliquer en France l’indice suédois, qui classe les médicaments selon leur impact sur l’environnement. L’objectif de ce classement est d’inciter les prescripteurs à privilégier, à effet égal, les molécules les moins polluantes.
Ces mesures auront-elles une efficacité appréciable ? L’exemple des pesticides n’engage pas à l’optimisme. Le plan Ecophyto, lancé en 2008 lors du Grenelle de l’environnement, prévoyait une réduction de 50 % de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans un délai de 10 ans. Pourtant, malgré les actions mises en place, la consommation de ces produits a augmenté de 5 % entre 2009-2011 et 2011-2013.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Chantal Guéniot