Dans l’ouvrage qu’il vient de publier aux Editions universitaires européennes, La révolution thérapeutique sous les trente glorieuses. Faits et anecdotes, Claude Monneret, président de l’Académie de Médecine, revient sur l’essor de l’industrie pharmaceutique durant les années 1945-1975 et les formidables progrès thérapeutiques qui ont accompagné ces “Trente glorieuses”, avec la découverte de plusieurs grandes classes de nouveaux médicaments comme ceux permettant d’éradiquer la tuberculose ou de traiter les maladies inflammatoires. Mais ces profondes mutations vont s’accompagner de divers accidents sanitaires. Le premier scandale éclatera en 1952 avec l’affaire de la poudre Baumol.
L’immédiate période qui suivit celle de la seconde guerre mondiale, dite les Trente glorieuses, fut particulièrement riche sur le plan des progrès thérapeutiques. Les années 1950 coïncident avec la généralisation des systèmes d’assurance maladie. De ce fait on assiste à une croissance des marchés du médicament, stimulée par le baby-boom et l’élévation du niveau de vie. Du fait de la multiplication des innovations thérapeutiques, cette période sera qualifiée rétrospectivement de “révolution thérapeutique”. Entre 1950 et 1960, la consommation des médicaments en France est multipliée par trois, entre 1960 et 1970, pratiquement par quatre. Durant la période de l’après-guerre, la réglementation des produits de santé est encore assez floue mais de 1945 à 1994, la politique du médicament se met progressivement en place en France avec ses institutions et sa réglementation. Un certain nombre d’accidents sanitaires vont faire évoluer cette dernière, vers un meilleur encadrement du médicament. Parmi ces accidents, l’affaire de la thalidomide en 1960, du Stalinon en 1953, du talc Mohange en 1972, la première est celle de la poudre Baumol.
“La présence d’arsenic dans la poudre de talc”
Le Pr Claude Monneret la raconte dans son ouvrage*. “Le premier scandale sanitaire qui éclatera en cette période de l’après-guerre, en 1952 exactement, est celui de la poudre Baumol. En 1952, 73 bébés dont 69 petits bretons, étaient décédés, intoxiqués par la poudre Baumol. Ce jour-là, un autre drame, celui de la rupture du barrage de Fréjus, avait volé la vedette à cette affaire de sécurité sanitaire des médicaments.
Selon Annick Le Douget, auteure de Crime et justice en Bretagne et ancienne greffière du tribunal de grande instance de Quimper, “à l’époque, les services sanitaires du Finistère n’ont pas pris la mesure de la chose”. Les démarches communes de deux médecins, le Dr Dorval, de Pouldreuzic, et le Dr Colin, de Lesconil, étaient restées infructueuses. Conséquence : presque douze mois se seront écoulés entre la fabrication du lot de talc contaminé et les premières analyses. Les investigations ordonnées révéleront la présence d’arsenic dans la poudre de talc parfumée à la lavande, destinée à soigner l’érythème fessier des bébés. Elle ne faisait que les accentuer, allant jusqu’à brûler la peau recouverte de pustules. Un paradoxe qui conduisait, parfois, des mamans à insister dans l’utilisation de la poudre.
“Le stock avait été revendu à un autre pharmacien”
La cause de telles brûlures était due à une grossière erreur du fournisseur des établissements Daney de Bordeaux qui avait livré de l’arsenic à la place de l’oxyde de zinc. De son côté, Jacques Cazenave, le fabricant de la poudre Baumol avait omis de réaliser les analyses qui lui incombaient, à l’entrée des matières premières et à la sortie du produit fini de son laboratoire. Il avait même abandonné la fabrication du produit à son chauffeur-livreur. C’est dans ces conditions que, début 1952, 20 000 boîtes contaminées avaient été expédiées en Bretagne. Pire, alerté par la pharmacienne de Plozévet, Jacques Cazenave avait fait retirer le stock de poudre Baumol par son représentant. Le stock avait été revendu à un autre pharmacien. Jacques Cazenave sera défendu par Maître Floriot, un ténor du barreau de l’époque.
À défaut de mettre le doigt sur la lenteur de la réaction des autorités, ce scandale a toutefois, en partie, et comme l’affaire du talc Morhange quelques années plus tard, contribué à l’émergence de la notion de pharmacovigilance”.
Ces accidents sanitaires vont conduire à de nouvelles dispositions réglementaires visant à renforcer la sécurité du médicament et à la quasi-disparition des préparations officinales.
L’ouvrage du Pr Monneret contient également de nombreuses anecdotes liées aux découvertes des médicaments, comme celle qui met en scène le peintre Raoul Duffy qui fut l’un des premiers patients ayant expérimenté avec succès la cortisone et qui lui dédia, pour cela, un superbe tableau de fleurs, intitulé “La cortisone”.
En retraçant d’une plume alerte les 30 ans qui ont vu la thérapeutique entrer dans la modernité, Claude Monneret rappelle aux prescripteurs d’aujourd’hui les multiples chemins qui ont conduit aux immenses progrès dans la prise en charge des maladies. L’Histoire permet de mieux comprendre le présent.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Philippe Massol
* Claude Monneret (président de l’Académie de Pharmacie) : La révolution thérapeutique sous les trente glorieuses, Faits et anecdotes. Editions universitaires européennes (2016). 160 pages, 41,90 euros