Ne trouvant pas de médecin, Maxime Lebigot en a eu assez d’être rembarré au téléphone par des généralistes débordés. Infirmier hospitalier comme son épouse en Mayenne, il vient de créer un collectif desertsmedicaux@gmail.com, regroupant des patients qui, comme lui, ne trouvent pas de médecin traitant. Son initiative passionne les medias locaux et nationaux, et interpelle les politiques, à quelques mois de la présidentielle.
 

 

Egora.fr : Pourquoi un “collectif des citoyens mayennais sans médecin” ? 

Maxime Lebigot : Nous sommes arrivés à Laval en 2011, et tout de suite, nous avons rencontré des difficultés pour trouver un médecin traitant. Celui qui nous a finalement acceptés est parti en retraite en juillet dernier, après 40 ans de travail. Et la pédiatre de notre petit garçon de 5 mois, également débordée, nous a fait comprendre qu’il serait très compliqué pour elle de voir notre fils en cas de pathologie aigue. En gros, que nous ne serions pas prioritaires par rapport aux petits patients qui ont pris rendez-vous depuis un ou deux mois, pour le suivi régulier. Donc, en septembre, nous avons rappelé tous les médecins de Laval et agglomération pour trouver un généraliste, prioritairement pour notre petit garçon. Mais tous débordés, ils nous ont fait savoir qu’ils ne pourraient pas nous prendre. Ils nous ont proposé d’appeler l’ARS. Ce que nous avons fait. Et l’ARS nous a conseillé, en cas d’urgence, de nous rendre aux urgences pédiatriques de Laval. Or, nous sommes infirmiers mon épouse et moi, et nous savons bien que ces urgences sont débordées elles aussi, et que cela ne pouvait pas être la solution.

Au final, après avoir passé au moins 40 appels, nous avons trouvé un médecin généraliste qui acceptait de prendre notre enfant, mais pas nous, ses parents. Pour nous, c’est le statut quo, nous n’avons pas de médecin traitant. C’est très désespérant. Sur Laval, le cinquième de la population n’a pas de médecin traitant.

Donc, vous avez eu envie de recenser autour de vous, les témoignages allant dans le même sens.

Oui, tout à fait. En trois semaines, nous avons reçu une quarantaine de témoignages, dont deux, qui sont poignants pour nous, professionnels de santé. Le premier émane d’une jeune mère de famille de 38 ans, trois enfants, dont la dernière nécessite une surveillance pédiatrique particulière. A chaque fois qu’il y a un problème, elle va aux urgences pédiatriques. Elle a également besoin d’aides spécifiques pour la scolarité de sa fille, mais comme elle n’a pas de médecin, elle n’a pas pu présenter un certificat et elle a perdu tous ses droits. Depuis trois ans, elle ne trouve pas d’orthophoniste, car les professionnelles ne prennent plus aucun patient.

J’ai eu aussi le témoignage d’une dame qui habite un village où les deux médecins généralistes sont partis en retraite. Elle souffre d’hypertension, d’hyperthyroïdie et comme elle ne trouve aucun médecin pour renouveler son ordonnance, elle divise ses médicaments par deux. Tout cela va aussi se terminer aux urgences… L’ensemble des professionnels de santé est concerné par ce problème démographique. Pourtant, Laval est une ville attractive, bien desservie, avec le TGV, un réseau routier qui nous met à 50 minutes de Rennes, un hôpital, des activités qui se développent. Mais depuis 2012, il y a eu de nombreux départs en retraite et d’autre sont imminents sur l’agglomération. Voilà pourquoi je pousse ce coup de gueule. Le recours aux urgences, c’est des dépenses de santé considérables. On arrive à des situations aberrantes.

Comment votre initiative a-t-elle été prise ?

Depuis que le Courrier de la Mayenne a annoncé en Une, le lancement de ce collectif des citoyens mayennais sans médecins, je suis sollicité de toutes parts par les medias. Télés, radios, presse écrite, c’est parti à toute vitesse. J’ai donc l’intention, très vite, de fédérer le mouvement de manière officielle, sans doute sous forme associative. Ensuite, nous allons rencontrer tous les élus locaux et tous les candidats aux législatives, puisque c’est eux qui font et votent les lois. Ils nous ont fait savoir qu’ils allaient nous recevoir. Nous verrons aussi l’ARS des Pays-de-Loire, la Cpam notamment, pour faire le point, envisager des choses concrètes. Mon souhait, c’est que notre collectif soit représenté dans tous les groupes de travail des collectivités, du département, de la région, partout.

Comment, selon vous, donner envie aux médecins de venir chez vous ?

Je sais très bien qu’on ne peut pas obliger les médecins à s’installer quelque part, mais je sais très bien aussi qu’en tant qu’infirmier, on nous interdit de nous installer en libéral dans des régions où nous sommes trop nombreux. Il faudrait ce type de régulation pour toutes les professions médicales. Je discute avec les internes que je côtoie à l’hôpital : ils ne veulent plus s’installer seuls. Ils veulent des maisons médicales, des structures collectives.

Avez-vous l’intention de vous rapprocher des syndicats médicaux ? MG France veut interpeller les candidats à la présidentielle sur le problème de la démographie médical, notamment, pour imposer ce thème dans la campagne. Et le président de l’UNOF est un élu de Mayenne.

Oui. Nous sommes prêts à discuter avec eux, avec le conseil de l’Ordre des médecins de la Mayenne, avec l’ensemble des professionnels de santé. Je sais bien que les médecins sont très opposés aux contraintes à l’installation, qu’ils redoutent la mise en place du tiers payant généralisé. Tout cela freine une installation en libéral. Il faut réfléchir tous ensemble, sans idéologie. Il faut mettre le patient au centre du système de santé. Du fait du numerus clausus, on manque de médecins. En Mayenne, nous n’avons que 12 ophtalmos, 2 pédiatres et 3 gynécos libéraux. Sur Laval, les médecins ont tous 1 500 patients référents, sans compter les enfants et les patients en AME. On comprend bien que les médecins ne veulent plus travailler de 7 à 23 heures comme leurs ainés. Mais nous, sans médecins traitants, on est moins bien remboursés, cela crée une nouvelle fracture au sein de la population. Le collectif, c’est un coup de gueule, un moyen d’interpeller les décideurs pour qu’ils trouvent des solutions sur le moyen et le long terme.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne

 

Contacter le collectif : Maxime Lebigot 06 14 93 89 45 ou desertsmedicaux@gmail.com.