Des vacances au soleil offertes si vous mangez bio ? Un contrat d’assurance santé complémentaire qui sera lancé le 1er janvier prochain par l’assureur Generali France, propose de récompenser par des bonus les patients qui suivront les comportements vertueux recommandés, selon les données de leur questionnaire de santé. Médecins et représentants des patients s’alarment.

 

Les Allemands en profitent déjà depuis quelques mois, au tour des Français. En début de semaine, l’assureur Generali France a présenté à la presse hexagonale, un nouveau produit d’assurance santé inédit dans notre pays : Generali Vitality. Le contrat qui sera lancé le 1er janvier prochain, auprès des entreprises et de leurs salariés, se propose de récompenser sous forme de bons de réductions auprès des entreprises partenaires (Weight watcher, clubs de vacances notamment), les assurés volontaires qui auront accepté d’observer des comportements vertueux pour leur santé. Et surtout, qui auront eu des résultats.

 

“Une anonymisation irréversible des données”

Pourquoi pas un bonus sous forme de réduction de la prime d’assurance ? Parce que c’est interdit en France par la loi Evin, pour les contrats collectifs, construits sur le principe de la mutualisation des risques entre assurés, quel que soit leur état de santé. Aujourd’hui, Generali insiste sur le volontariat des participants, entreprises et salariés, l’ouverture à tous les patients, quel que soit l’état de santé et garantit la confidentialité des données recueillies tant vis-à-vis de l’assureur – qui n’y aura pas accès – que de l’employeur, qui ne sera destinataire que de données anonymisées.

“Quand le salarié décide d’arrêter le programme, il y a une anonymisation irréversible de ses données. Ni l’assureur, ni les employeurs n’auront accès aux données de santé et de bien-être des salariés”, ont assuré les représentants de la firme lors de la conférence de presse. Pour la France, la firme se fixe un objectif de 20 % de salariés sous contrat dans une entreprise. Si l’expérience est concluante, le mécanisme sera étendu aux contrats individuels, comme en Allemagne où la souscription est ouverte depuis juillet dernier. Dans ce pays, à l’inverse du nôtre, les réductions sont possibles sur le prix de la police d’assurance et peuvent aller jusqu’à 16 % de son coût, preuves à l’appui (ticket de caisse de marché bio, inscription à une salle de sport, justificatif de visites médicales préventives).

“Sur un plan éthique, c’est excessivement dangereux”, a réagi le Dr Luc Duquesnel, le président de l’UNOF (généralistes de la CSMF). “On voit bien comment les complémentaires poussent leurs pions. Ils ciblent les patients sans hygiène de vie, les cancéreux du poumon qui continuent à fumer, les diabétiques qui mangent du sucre, pour les exclure ou leur proposer des contrats bien plus chers. C’est dramatique, les assureurs vont porter des jugements sur l’hygiène de vie, alors que cela résulte de facteurs environnementaux ou d’éducation. Nous sommes en totale opposition avec cette démarche”, assure-t-il. “Elle est dangereuse et on peut raisonnablement se demander si elle ne touchera pas, demain, le régime obligatoire”. L’éthicien Emmanuel Hirsch ne dit pas autre chose. Interrogé par Pourquoidocteur.fr, le spécialiste de l’AP-HP critique l’approche de plus en plus normative et intrusive des assureurs “qui vont finir par expliquer ce qu’est le poids idéal, le bon taux de tel marqueur biologique, le mode de vie qui convient. Or, la prévention, c’est très socio-culturel (…) Une personne socialement vulnérable n’a pas la même capacité à assumer la responsabilisation de sa santé, car elle se néglige davantage que les autres (…) et ces personnes n’ont pas les ressources pour manger bio, par exemple”.

 

“Un recul des libertés individuelles”

De fait, pour s’inscrire, il faut remplir un questionnaire de santé. Il consiste en un bilan rédigé en ligne comportant plusieurs paramètres, qui permet de calculer l’âge Generali Vitality. A la suite de quoi, le patient reçoit des objectifs dans le cadre de son parcours personnalisé (cholestérol, glycémie, arrêt du tabac, indice de masse corporelle) et il est invité à s’engager sur la base des objectifs fixés et à suivre les recommandations du programme.

“Franchement, je ne comprends pas que des patients livrent à un assureur, des données de santé aussi stratégiques que celles qu’ils donnent spontanément”, commente le Dr Jean-Paul Hamon, le président de la FMF. “Le médecin qui est soumis au secret professionnel, se doit d’informer les patients sur les risques représentés par le décret 47 de la loi de Santé, qui a ouvert l’accès aux données de santé. C’est la porte ouverte à la commercialisation des données. L’assureur AXA s’inspire de la même démarche, lorsqu’il propose une consultation gratuite au téléphone, où les données de l’interrogatoire sont inscrites dans le fichier, avec la pathologie”.

Pour le président de la centrale qui a fait de ce thème un point majeur de son opposition à la loi de Santé, “plus les assureurs auront une meilleure connaissance du risque, plus nous assisterons à un recul des libertés individuelles”.

Pourtant la ministre de la Santé tient un tout autre discours. “En France, il n’y a pas de conditions mises à la prise en charge financière des patients et je ne souhaite pas qu’à l’occasion du développement des données de santé, certains assureurs viennent conditionner leurs remboursements au respect de certaines pratiques de vie des assurés”, avait-elle assuré au moment du vote de la loi de Santé.

Pourtant, interrogé dans Les Echos, Olivier Arroua, du cabinet de conseil Selenis, prévoit que dans les trois années à venir, l’offre de Generali “deviendra un standard de marché, parce que la seule possibilité pour les assureurs de se différencier aujourd’hui sur un marché de la santé très concurrentiel, passe par les services.”

 

“Quel peut bien être l’intérêt de l’employeur ?”

Certes, mais l’intérêt de Generali France est aussi de faire des économies sur les remboursements ultérieurs des contrats solidaires, confirme Magalie Leo, la spécialiste de l’assurance maladie au CISS, l’association de patients.

“L’avantage fiscal lié aux contrats solidaires n’interdit pas le recueil de données de santé dans le cadre de contrat collectif. C’est ce que fait l’assureur, il se situe sur le fil de la loi sachant que le contrat collectif exclut l’indexation du prix sur l’état de santé”, confirme-t-elle. “Si le programme est rentable – on dit que Generali France y a investi des millions d’euros – on peut aussi imaginer qu’il induise une baisse des cotisations. On peut toujours rêver”, sourit-elle. Pour elle, si l’assureur veut le faire demain pour les contrats individuels, il perdra l’avantage fiscal, mais “le jeu peut en valoir la chandelle”.

Se gaussant des promesses de Generali, promettant que l’assureur n’aura pas accès aux données de santé, et que l’entreprise qui souscrit le contrat collectif, et n’aura droit qu’à des données anonymisées, Magalie Leo se demande, faussement naïve, ” à qui donc est adressé le questionnaire en ligne alors ? Et quel peut bien être l’intérêt de l’employeur d’avoir connaissance de telles données ?”

La réponse étant dans la question, la spécialiste du CISS se dit inquiète pour les personnes en mauvaise santé, celles qui ne peuvent maigrir ou aller mieux sur commande.

“La bonne santé, ce n’est pas qu’une question de volonté”, remarque-t-elle. “Favoriser la prévention ne doit pas servir de prétexte à la sélection médicale” conclut pour l’AFP Jocelyne Cabanal, la secrétaire nationale de la CFDT.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne